Budget 2026 : "Le Premier ministre va faire payer aux malades les incompétences de gestion de l'État, il faut rétablir une gestion de la santé au niveau local", tance Arnaud Chiche, médecin anesthésiste
Parmi les coupes budgétaires annoncées par François Bayrou mardi 15 juillet, certaines concernent les dépenses sociales et de santé, et permettraient de récupérer 5,5 milliards d'euros. Bruno Mégarbane, chef du service réanimation à l'hôpital Lariboisière, et Arnaud Chiche, médecin anesthésiste, président fondateur du collectif Santé en danger, réagissent à ces annonces, interrogés par la journaliste jeanne Baron dans le "11h/13h" du mercredi 16 juillet.
Ce texte correspond à la retranscription d'une partie de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.
Jeanne Baron : On va reprendre point par point ce qui a été proposé par le gouvernement. Est-ce que vous pensez globalement que si on dit que le pronostic vital de l'État est engagé, le pronostic vital de la santé ne va pas beaucoup mieux ?
Bruno Mégarbane : Oui, malheureusement, l'État est déficitaire et vit au-dessus de ses moyens. La Sécurité sociale est également en grand déficit, avec 22 milliards d'euros de déficit, et les choses se creusent avec une estimation d'une augmentation des dépenses de plus de 10 milliards. Il faut donc faire des économies, c'est-à-dire réduire les dépenses inutiles pour la santé.
On n'a plus le choix ?
Malheureusement, il faut savoir que la population vieillit, les maladies se complexifient, le coût des traitements augmente, la population se paupérise, et le diagnostic se fait de plus en plus en retard car les moyens de prévention sont faibles. Il y a donc une augmentation des besoins. Encore faut-il orienter l'argent dont on dispose vers les bonnes cibles et réduire les dépenses inutiles ou, en tout cas, les limiter au maximum.
"Si on dit à des patients (...) que certains médicaments ne peuvent plus être remboursés, ils ne les prendront pas"
Arnaud Chiche, lorsque le ministre hier explique deux pans, d'abord ce fameux forfait ticket modérateur passant de 50 à 100 euros dans l'année, et puis tout ce qui concerne les affections de longue durée, notamment sur le déremboursement de médicaments qui ne seraient pas en lien avec cette pathologie, qu'est-ce que ça vous évoque ?
Arnaud Chiche : Ça m'évoque en fait que le Premier ministre va faire payer aux malades les incompétences de gestion de l'État. Parce que, si les malades doivent porter une charge pharmaceutique plus élevée, encore faut-il qu'ils aient accès à une pharmacie, puisqu'on est aussi en train de faire la fête [aux] pharmaciens, et qu'il y a des pharmacies qui vont fermer. Et si on dit à des patients qui sont atteints de maladies chroniques que certains médicaments ne peuvent plus être remboursés, ils ne les prendront pas. Parce que la précarité, c'est ça, Madame. Moi, je bosse dans le Pas-de-Calais : ils ne les prendront pas. Ça veut dire qu'on entrave le curatif alors même, comme vient de le dire mon maître Bruno Mégarbane, qu'on ne fait rien pour le préventif. Donc moi, je prétends avec beaucoup de conviction que ça va être encore pire. Il n'y avait déjà pas assez de médecins. Il y a déjà des déserts médicaux. Il y a déjà des infirmiers libéraux qui bossent pour des pacotilles. Il y a déjà des médecins généralistes qui sont dans la rue depuis deux ans. On ne valorise pas le travail de nuit. Et là, on vous dit qu'on va faire des économies. Alors moi, je prétends que ces gens-là sont des nullards, et qu'ils ne savent pas faire, et que tant qu'on confiera aux politiques l'organisation de la santé en France, on s'exposera à des décisions complètement hors sol. Ils ne savent pas, ces gens-là à Paris, entourés de trentenaires qui sortent de l'école, ce que c'est aujourd'hui une EHPAD. Ils ne savent pas ce que c'est un brancard sur un service d'urgence. Ils ne savent pas à quoi sert une pharmacie dans un petit village de Corrèze, quand la pharmacienne va prendre sa voiture pour apporter des médicaments à des gens qui ne peuvent même pas se déplacer. Ils sont déconnectés, je suis pour rétablir une gestion de la santé au niveau local, préfectoral, avec les élus locaux, et qu'on arrête de les laisser faire. Ils font n'importe quoi.
"Cinq ans après le Covid, quel bras d'honneur on fait aux Français ?"
Ce n'est pas gagné avec les collectivités locales qui vont avoir moins de financement, s'occuper aussi de la santé, est-ce que ce n'est pas un peu utopique, même si on peut vous rejoindre sur beaucoup de points ?
Je prône une dépolitisation totale, en tout cas une dépolitisation parisienne de l'organisation de la santé et des territoires. Je suis sûr d'avoir raison, Madame. En fait, oui ce n'est pas gagné, mais c'est parce qu'aujourd'hui, on ne sanctuarise pas. Vous voyez, François Bayrou, on aurait dû être dans un système qui l'empêche de prendre ces décisions-là, en ayant face à lui les maires des villes, des syndicalistes, des préfets. Mais vous savez, encore une fois, on est en train de restreindre le curatif. Alors que, comme l'a déjà dit le professeur Mégarbane, on soigne déjà les gens en retard. Et enfin, cinq ans après le Covid, quel bras d'honneur on fait aux Français ?
Il faut dépolitiser cette gestion de la santé, vous rejoignez Arnaud Chiche ? Est-ce qu'en fait, on est avec des dirigeants politiques qui ne comprennent rien à votre métier et à ses enjeux ?
Bruno Mégarbane : Je serai un peu plus nuancé qu’Arnaud. En fait, nous sommes dans un système de financement solidaire de la Sécurité sociale. C'est un avantage que nous avons tous, c’est-à-dire que, quel que soit notre revenu, on peut bénéficier de la même qualité des soins aujourd'hui. Le risque, c'est qu'avec les déficits qui s'approfondissent, ce système malheureusement s'effondre, et qu'on aille vers un système à l'anglo-saxonne, où chacun cotise pour lui-même. Et donc, cela va avantager ceux qui ont des moyens financiers, et tout le reste devra attendre pour se faire opérer ou pour avoir les bonnes thérapeutiques.
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