Budget 2026 : "Il faut faire attention aux chiffres sur le temps de travail, chez les actifs, 25-55 ans, on est à peu près au même niveau que nos partenaires européens", pointe Anne-Sophie Alsif, économiste
Le budget 2026 présenté mardi par François Bayrou, a "la vertu du courage, de l'audace et de la lucidité", selon les mots d'Emmanuel Macron, rapportés mercredi par la porte-parole du gouvernement. Mais ce projet suscite une levée de boucliers et reste controversé. Pour y voir plus clair, Anne-Sophie Alsif, économiste et cheffe du bureau BDO France, livre son avis sur le plan proposé par le Premier ministre, interrogée par la journaliste Zohra Ben Miloud dans "La Matinale" du 17 juillet.
Ce texte correspond à la retranscription d'une partie de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.
Zohra Ben Miloud : François Bayrou a expliqué qu'il fallait que toute la nation travaille plus, et l'on parle beaucoup de ces jours fériés. C'est une mesure qui fait réagir, puisque les Français ont compris qu'ils allaient en moyenne travailler 14 heures de plus. Mais est-ce que c'est une mesure qui va faire la différence selon vous ?
Anne-Sophie Alsif : C'est une mesure qui peut faire la différence, parce que ça va rapporter un petit peu d'argent. Vous avez compris, on essaie de trouver de l'argent par tous les moyens. Donc, en plus avec les annonces du président de la République sur l'Europe de la défense, et le financement des dépenses de défense, - on voit que c'était 2 à 3 milliards en plus -, là, il y a l'idée du jour férié. Ça permettrait, là aussi, d'éponger et de financer notamment tout ce qui est Europe de la défense. Donc c'est un plus dans ce budget. Mais il a parlé de deux jours, l'idée serait peut-être d'arriver sur un jour, pour avoir à peu près plus d'un milliard d'euros.
Mais ça n'a pas été choisi au hasard puisque les Français travaillent moins que nos voisins européens, 200 heures en moyenne de moins.
Il faut faire attention par rapport à ces chiffres. Le grand problème, c'est le taux d'emploi des jeunes et des seniors. Chez les actifs, on va dire 25-55 ans, on est à peu près au même niveau que nos partenaires européens. Par contre, on a en effet un taux d'emploi chez les moins de 25 ans et chez les plus de 55 ans, qui est beaucoup plus faible que dans les pays nordiques, et notamment en Allemagne.
Vous parlez des seniors, est-ce qu'il y a tout à revoir concernant le travail des seniors en France, notamment avec, peut-être, plus de formation ?
Le grand problème, c'est qu'on a une augmentation de l'espérance de vie, ce qui est une très bonne nouvelle, il faut encore le rappeler, en plus en bonne santé. Donc, d'un côté, en effet, si à 50 ans vous êtes considéré comme âgé et que vous devez encore travailler, 15-18 ans, c'est quand même compliqué quand vous avez une augmentation de départ à la retraite. Il faudrait vraiment avoir des formations, continuer à former après 50 ans.
C'est ce que font nos voisins, par exemple ?
En effet, les pays nordiques forment plus et aussi parce qu'on a des partenaires qui sont plus puissants. Les taux de syndicalisation dans les pays nordiques sont très importants, et les syndicats ne se concentrent pas uniquement sur les augmentations de salaire, mais également sur les conditions de vie des salariés, et sur la formation.
"Le grand problème de l'aide à l'emploi des jeunes, c'est le ciblage"
Vous parlez des jeunes aussi. Là, on a une carence avec les jeunes, avec les alternances, les formations pour eux aussi. Ça se passe mieux dans les pays nordiques, par exemple ?
Là aussi, c'est vrai que dans les pays nordiques, notamment ceux du Nord, comme ce sont aussi des pays plus industrialisés, vous avez un partenariat beaucoup plus important entre les entreprises, notamment industrielles, et en effet les formations. L'exemple, c'est le fameux modèle allemand : comme le pays avait été détruit après la Seconde Guerre mondiale, c'était vraiment les entreprises régionales qui se sont un peu occupées de la formation, et donc qui ont embauché. C'est vrai que vous avez des canaux qui sont beaucoup plus développés pour les jeunes, pour aller directement dans l'emploi et dans l'industrie, ce qui n'est pas le cas en France, puisqu'on est très désindustrialisés.
Alix Bouilhaguet : Emmanuel Macron, sur l'alternance, il a mis le paquet, si je puis dire...
Anne-Sophie Alsif : Pour baisser le taux de chômage, qui était très important, 4 milliards... Mais le grand problème, c'est le ciblage. C'est-à-dire que comme c'est toujours très compliqué de dire qui a vraiment besoin, on a donné beaucoup, et surtout, on a mis en alternance des jeunes qui n'avaient pas de problème d'employabilité.
Zohra Ben Miloud : On comprend qu'il y a un problème de suivi finalement chez les seniors et chez les plus jeunes.
Il faut davantage cibler ces jeunes qui sont en décrochage ou qui ont vraiment des problèmes de qualification.
"Quand vous regardez les entreprises et le capital, il faut toujours avoir une vision européenne et mondiale"
Delphine Liou : On évoquait les entreprises justement, l'ensemble des organisations patronales, dont le Medef et la CPME, a salué globalement ce plan. C'est vrai que, finalement, François Bayrou n'a pas vraiment alourdi la fiscalité des entreprises. Est-ce que ces entreprises, finalement, ne sont pas les grandes gagnantes ou en tout cas les plus épargnées par ce plan de redressement ?
Anne-Sophie Alsif : Je ne dirais pas que ce sont les grandes gagnantes, parce que quand vous regardez les entreprises et le capital, il faut toujours avoir une vision européenne et mondiale. Malheureusement, on n'est pas seuls au monde et c'est vrai que ces entreprises, on a souvent parlé de ces fameuses aides aux entreprises qui sont décriées. C'est 80 milliards et un prêt garanti par l'État, vous devez le rembourser. Ce n'est pas un don, ce n'est pas une aide. Donc ça, c'est important. Et quand on regarde, en effet, c'est vrai qu'il y a une politique de l'offre qui a été mise en place, qui, à mon sens, a été efficace, qui prend du temps. Les politiques de l'offre, c'est souvent 7 à 8 ans. C'est souvent le prochain président ou le prochain élu qui en bénéficie. Et certes, ça a eu un coût, mais un coût pour créer plus de croissance. Là, on n'a pas eu toutes les retombées. On a aussi eu quelques crises. Mais l'idée, c'était surtout de revenir au même niveau que nos partenaires des pays développés, où là, on avait vraiment des taux de fiscalité, notamment sur la production, qui étaient beaucoup plus bas.
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