Financer les futures dépenses militaires : nouvel affrontement politique en vue
Son budget tout juste adopté, François Bayrou doit déjà plancher sur un nouveau casse-tête budgétaire. Face à la "menace russe", le président de la République, Emmanuel Macron, a fait part de sa volonté, mercredi 5 mars, d’augmenter les dépenses militaires de la France.
Selon lui, les Européens doivent porter leurs dépenses militaires à 3 % ou 3,5 % de leur richesse nationale, contre 2 % actuellement en France. C'est donc une trentaine de milliards d'euros supplémentaires par an qu’il s’agit de trouver. "De nouveaux investissements qui exigent de mobiliser des financements privés, mais aussi des financements publics", mais "sans que les impôts ne soient augmentés", a prévenu Emmanuel Macron.
"Pour cela, il faudra des réformes, des choix, du courage", a-t-il martelé, affirmant que "les solutions de demain ne pourront être les habitudes d’hier".
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"Les ressources budgétaires de l’État, c’est l’impôt et l’emprunt. Et pour faire face aux contraintes budgétaires en temps de crise, les gouvernements de tous les pays occidentaux ont toujours eu recours à ces outils en faisant preuve d’innovation. Dans la situation actuelle, l’idée pourrait être de mobiliser l’épargne, ce serait assez nouveau", juge Laure Quennouëlle-Corre, historienne, directrice de recherche au CNRS, qui a co-dirigé l’ouvrage "Une fiscalité de guerre ? Contraintes, innovations, résistances" (CHEF/IGPDE, 2018).
Cette piste semble tenir la corde, selon Le Point, qui évoque la création par Bercy d’un nouveau livret réglementé entièrement consacré au financement de la défense. Invité jeudi matin sur France Inter, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a reconnu que le gouvernement explorait une telle option.
"Il y a des pistes intéressantes de mobilisation volontaire de l’épargne des Français. (…) Pour les Françaises et les Français qui veulent placer de l’argent de manière patriotique (…), se dire que cet argent va permettre de réarmer le pays, je trouve que c’est intéressant", a-t-il déclaré.
"Être capable de recentrer l’État sur ses missions"
Mais le ministre a dans le même temps évoqué en filigrane de futures coupes budgétaires, estimant qu’"au moment où on doit faire des choix, il faut être capable de recentrer l’État sur ses missions et ce pourquoi nous levons l’impôt".
"Parfois l’État se donne des missions qui ne sont pas les siennes, a ainsi affirmé Sébastien Lecornu. Quand on a fait un plan vélo à plusieurs milliards d’euros pour aider les collectivités locales alors que ce sont les missions des mairies que de s’occuper des pistes cyclables, on peut dire que l’État s’est décentré de son rôle principal."
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Mais alors que le budget 2025 comporte déjà de nombreuses coupes, et notamment dans le budget du ministère de la Transition écologique, la gauche met en garde contre de nouvelles réductions des dépenses sociales.
"Viser l’autonomie stratégique de l’Union européenne doit être l’objectif. S’en donner les moyens ne peut pas passer par de nouveaux sacrifices pour les Français, la dégradation de nos services publics et l’abandon de la transition écologique", a réagi sur X le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, après l’allocution télévisée d’Emmanuel Macron.
"Ne soyons pas naïfs : sans augmenter les impôts des plus riches, Emmanuel Macron ne pourra ni financer cet effort de guerre ni le faire accepter à la population. Car si la solidarité avec l’Ukraine n’est pas financée de manière juste et se traduit par des coupes budgétaires supplémentaires dont les plus vulnérables seront les premières victimes, le soutien à l’Ukraine chutera dans l’opinion", a de son côté mis en garde Marine Tondelier, la patronne du parti Les Écologistes.
Le recours à l’impôt en temps de crise
"La Première Guerre mondiale, ça a été la naissance en France de l'impôt sur le revenu. La Deuxième Guerre mondiale aux États-Unis, avec Roosevelt, ça a été une multiplication par 20 de l'impôt sur le revenu et une multiplication par 16 de l’impôt sur les sociétés", a pour sa part souligné, jeudi matin sur RTL, l’ancien député insoumis François Ruffin, qui siège désormais au sein du groupe écologiste.
"C’est vrai que l’impôt a connu des avancées lors des situations de crise avec un consensus pour les augmenter. Lors de la Première Guerre mondiale, il y a eu l’impôt sur le revenu, mais aussi la création d’une contribution exceptionnelle sur les bénéfices de guerre et des taxes sur la consommation. Néanmoins, la levée de l’impôt ne se fait pas du jour au lendemain et les niveaux de prélèvements existants aujourd’hui n’ont rien à voir avec ceux de l’époque", rappelle Laure Quennouëlle-Corre.
Face à ce constat, la taxe Zucman, qui cible justement les "ultra-riches" échappant à l’impôt sur le revenu et non la majorité des Français, pourrait arriver dans le débat. Votée à l’Assemblée nationale le 20 février, cette taxe entend instaurer un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des 0,01 % des contribuables les plus aisés et pourrait rapporter entre 15 et 25 milliards d’euros, selon l’économiste Gabriel Zucman, qui a inspiré la proposition de loi portée par la gauche.
Emmanuel Macron et le gouvernement y sont opposés et la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, a redit jeudi soir sur BFMTV que "ce n'est pas par encore plus d'impôts dans le pays (...) que nous trouverons le chemin du financement de ce qui doit être garanti". Relancée sur les moyens de financer l’effort de défense, la ministre a répondu ne pas pouvoir "dire comment on finance des besoins qui n'ont pas été pour l'instant explicités, dont on ne connaît pas le calendrier, dont on ne sait pas ce qui va être fait au niveau européen et au niveau national et surtout dont on ne sait pas ce qui doit dépendre de l'argent public, qu'il soit national ou européen, ou (...) de l'argent privé des épargnants ou des banques".
Invité sur Europe 1 et CNews vendredi matin pour un entretien d’une trentaine de minutes, le Premier ministre François Bayrou aura peut-être davantage de réponses à donner aux Français.