Face au retour au pouvoir de Donald Trump, le gouverneur de la Banque de France appelle à "un vrai réveil pour l'Europe"

"L'arrivée du programme Trump aux Etats-Unis doit être un vrai réveil pour l'Europe", a déclaré mardi 21 janvier à franceinfo le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, en marge du Forum économique de Davos, en Suisse, au lendemain de l'investiture du président américain à la Maison Blanche. Le gouverneur de la Banque de France appelle à "faire sauter un certain nombre d'obstacles intérieurs" au sein du marché européen pour répondre aux mesures de l'administration Trump. 

Franceinfo : Le président Donald Trump a été investi lundi, avec un discours extrêmement déterminé. Que pensez-vous de son retour et sur son effet sur la croissance américaine et mondiale ? 

François Villeroy de Galhau : Il n'y a pas eu de surprise dans le discours d'hier car celui-ci correspond aux intentions affichées depuis plusieurs mois. Il y a d’abord des incertitudes accrues sur l'économie mondiale parce que c'est un programme qui a des contradictions, y compris pour l'économie américaine. Ce qu'on peut attendre pour l'économie américaine, c'est sans doute un peu plus de croissance à court terme, y compris avec le soutien au business, ce qu'on appelle la déréglementation, et sans doute plus d'inflation, surtout s'il introduit des droits de douane qui augmentent les coûts pour les consommateurs américains. En tout cas, l'inflation, qui était en train de baisser, pourrait s'arrêter de baisser. 

"Côté européen, on va voir. Mais il y aura probablement beaucoup moins d'effets inflationnistes car je crois que la victoire contre l'inflation est en cours de façon solide en France et en Europe."

François Villeroy de Galhau

à franceinfo

Il faut avoir une vigilance, mais la banque centrale devrait continuer à baisser ses taux. En revanche, côté croissance, c'est une menace, car c'est lié à l'incertitude. On va voir s'ajouter l'incertitude de la guerre en Ukraine, l'incertitude de la politique américaine et certaines incertitudes sur la politique budgétaire française. Tout cela n'est pas très bon pour la confiance des entreprises, qui retardent leurs investissements, ou pour la confiance des ménages qui peuvent retarder leur consommation. 

Vous avez parlé de la croissance, qui va continuer à ralentir, sachant qu'elle est déjà atone : on attend une croissance en dessous de 1% en France en 2025. 

Oui, mais ce n’est déjà pas si mal car, rappelez-vous, il y a deux ans ou trois ans, on craignait que pour combattre l'inflation, on doive le payer par une récession. Or en France, on a une croissance autour de 1%. Ce n'est pas assez, mais ce n'est pas si mal. Cette croissance devrait être un peu gênée par les mesures Trump, mais être aidée en sens inverse par la baisse de l'inflation, car cela veut dire plus de pouvoir d'achat. On s'attend à une reprise progressive à partir de l'an prochain. Mais de toute façon, qu'on soit à 1% ou 1,5%, cela ne suffit pas. Il faut que l'Europe se réveille, c'est ce qu'a dit le rapport Draghi, c'est aussi ce qu'a dit la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen dans un discours fort, ce mardi matin à Davos. Les temps contiennent de l'inquiétude et de l'incertitude, mais les temps appellent de la détermination. Je trouve très bien que les dirigeants européens soient davantage déterminés. Peut-être que nous nous étions un peu assoupis dans un monde plus paisible et forts des succès européens passés. L'idée que maintenant l'Europe doit compter sur ses propres forces et pas seulement sur le gaz russe et sur la sécurité américaine, cela me paraît une évidence. L'arrivée du programme Trump aux États-Unis doit être un vrai réveil pour l'Europe. La dernière fois que nous l'avons fait, nous avons réussi la monnaie unique et le marché unique, donc nous savons faire, mais il faut se réveiller. 

Justement, par quoi doit passer la réponse européenne ? Quelles sont les mesures à prendre ? 

Nous avons trois atouts, dont aucun ne coûte de l'argent public : nous avons un grand marché, ce qui est un héritage de Jacques Delors, mais il doit aussi nous servir au XXIe siècle. Le marché européen pèse autant que le marché américain, mais il est beaucoup moins attractif car il est beaucoup plus cloisonné et divisé. Faisons sauter un certain nombre d'obstacles intérieurs. Deuxièmement, nous avons beaucoup d'épargne privée. La présidente de la Commission a cité ce mardi ce chiffre : 300 milliards d'euros chaque année d'épargne européenne qui va s'investir en dehors d'Europe, y compris aux États-Unis. Utilisons cela pour financer nos investissements climatiques et numériques. Le troisième atout, c'est l'innovation.

"L'Europe a énormément de talents, nous savons maintenant faire naître des start-ups mais il faut les faire grandir en Europe, et pour cela il faut probablement avoir un environnement un peu plus simple pour les entreprises."

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France

à franceinfo

Je crois profondément aux règles sur le changement climatique, tous les objectifs que nous donnons à notre société européenne, mais on n'a pas besoin d'avoir une telle accumulation de règlements complexes. Nos concitoyens ou les patrons de PME souhaitent des simplifications, il faut le faire très sérieusement.