Droits de douane américains : pourquoi les annonces de Donald Trump risquent de provoquer le retour de l'inflation
Une "déclaration d'indépendance économique" pour Donald Trump, mais le possible retour d'une poussée inflationniste aux Etats-Unis. Le président américain, élu en partie pour ses promesses contre la hausse des prix, a annoncé mercredi 2 avril une série de droits de douane particulièrement lourds, ciblant entre autres des économies asiatiques et l'Union européenne. "Depuis des décennies, notre pays a été pillé, saccagé, violé et dévasté par des nations proches et lointaines, des alliés comme des ennemis", a martelé le dirigeant populiste à Washington (Etats-Unis).
A l'heure d'un ralentissement de l'inflation outre-Atlantique, "ces premières mesures vont de manière quasi certaine augmenter la hausse des prix" et ce "très sensiblement", prévient l'économiste indépendante Véronique Riches-Flores. "Il est très difficile d'imaginer qu'il n'y ait pas un choc d'inflation." Pour cette spécialiste, "tous les biens, notamment de consommation, devraient augmenter" en fonction "de ce que les entreprises pourront absorber dans leurs marges". "Vu l'ampleur du choc", une répercussion sur les prix semble inévitable, anticipe-t-elle.
Une flambée des prix de 1 à 2%
"Une grande partie de cette hausse des droits de douane est reportée sur les prix de vente des biens importés", appuie Jean-Marc Siroën, professeur émérite d'économie à l'université Paris-Dauphine. Des produits fabriqués sur la base de pièces importées risquent à leur tour de devenir moins accessibles. "Si une firme automobile doit acheter ses pièces détachées plus cher, du fait de ces droits de douane, au final, la voiture risque d'être plus chère", illustre-t-il.
"Le consommateur va payer en grande partie ces droits de douane."
Jean-Marc Siroën, professeur émérite d'économieà franceinfo
Des analyses confirmées par une récente étude du cercle de réflexion Tax Foundation. "L'histoire montre que les droits de douane augmentent les prix et réduisent les quantités disponibles de biens et de services pour les entreprises et consommateurs américains", écrit-elle. La fondation américaine cite – entre autres – une étude de l'université de Chicago sur des droits de douane visant des lave-linge, au cours de la première présidence Trump. Les prix de ces machines avaient augmenté en moyenne de 86 dollars.
Si l'ensemble des droits de douane annoncés cette année par Washington entrent en vigueur, les prix devraient augmenter de 2,3% à court terme aux Etats-Unis, selon une analyse de l'université Yale. Cela représente une perte moyenne de 3 800 dollars par ménage en un an et de 1 700 dollars pour les familles les moins favorisées. Les seules annonces de mercredi, si elles sont appliquées, risquent d'entraîner une hausse rapide de 1,3% des prix, soit une perte d'environ 2 000 dollars sur l'année pour les foyers américains.
Des vêtements et des voitures plus chers
Le secteur de l'habillement sera durement touché, anticipe l'université. Les prix des vêtements pourraient augmenter de 8% sur la base des annonces de mercredi et de 17% si l'ensemble des droits de douane promis sont mis en œuvre. L'alimentation, à son tour, sera directement affectée, tout comme le secteur de l'automobile. Pour Véronique Riches-Flores, les surtaxes de 25% sur les voitures importées aux Etats-Unis risquent d'entraîner une nette hausse des prix. L'économiste alerte en outre sur les prix de produits fabriqués dans des pays asiatiques, plus durement ciblés par l'administration Trump.
"Cela touche un panel de produits beaucoup plus large, et cela risque d'affecter particulièrement les classes moyennes et les plus démunies. Elles sont les plus consommatrices de ces biens [issus d'Asie] à bas coût."
Véronique Riches-Flores, économisteà franceinfo
Des perspectives qui inquiètent, après plusieurs années d'inflation aux Etats-Unis, puis un net ralentissement. La hausse des prix a en effet atteint 4,7% en 2021, 8% en 2022 et encore 4,1% en 2023, rappelle la Banque mondiale. En février, l'indice des prix à la consommation avait augmenté de 2,8% sur un an, selon les données du département du Travail aux Etats-Unis.
Les Etats-Unis sont en première ligne face aux conséquences du protectionnisme de Donald Trump. L'Europe, elle aussi touchée par une forte inflation ces dernières années, pourrait également en ressentir les effets. Selon Véronique Riches-Flores, ces droits de douane "risquent de perturber les chaînes de production et d'approvisionnement", entraînant des tensions sur l'offre de matières premières et sur certains biens de consommation. Avec une possible poussée inflationniste à la clé.
Une croissance ralentie en Europe ?
Face à cette escalade protectionniste, l'UE pourrait riposter en augmentant ses propres droits de douane sur les importations américaines, alimentant ainsi la hausse des prix sur son territoire.
"La manière de procéder de l'administration américaine est tellement agressive, et les hausses de droits de douane tellement importantes, que les pays partenaires en Europe ou en Asie n'auront guère d'autre choix que de répliquer."
Véronique Riches-Flores, économisteà franceinfo
Toutefois, "l'Europe importe beaucoup moins de biens que les Américains, donc l'impact direct sur les prix serait plus contenu", nuance cette spécialiste. Une idée partagée par Jean-Marc Siroën, pour qui "les droits de douane américains n'auront pas forcément une influence majeure sur l'inflation européenne".
Pour lui, le risque principal réside ailleurs : "La priorité, c'est la difficulté qu'auront les exportateurs européens à vendre leurs produits aux Etats-Unis. Cela pourrait ralentir la croissance européenne, voire provoquer une récession", prévient-il. Et l'Europe ne pourra pas compter sur l'Asie pour compenser. La région, frappée par des droits de douane américains de 34% sur les importations chinoises et de 46% sur les produits vietnamiens, risque de connaître un ralentissement de la demande.
Une baisse de l'investissement pourrait également aggraver la situation. "L'imprévisibilité de la politique américaine joue un rôle clé. Lorsqu'on manque de visibilité, les entreprises hésitent à investir, ce qui peut entraîner une baisse de la production", résume Jean-Marc Siroën. Un scénario qui pèsera durablement sur la croissance européenne.