Droits de douane, dépréciation du dollar… "Donald Trump a un véritable projet de transformation de l'économie américaine", analyse un économiste
Le président américain Donald Trump n'a pas chômé depuis son arrivée à la Maison Blanche il y a 100 jours tout pile, mercredi 30 avril. En un peu plus de trois mois, il a considérablement bousculé l'ordre économique mondial et le commerce international, en annonçant notamment l'instauration de droits de douane prohibitifs sur les produits en provenance de Chine.
Au-delà des discours "Make America great again", de sa volonté, dit-il, de faire revenir l'industrie aux États-Unis, de produire américain en augmentant notamment les tarifs douaniers, est-ce la stratégie de la terre brûlée, du chaos imprévisible ? Ou au contraire y a-t-il une vraie ligne directrice, une vraie politique économique sérieuse et cohérente ? Charles-Henri Colombier, économiste, directeur du pôle Conjoncture et Perspectives de l'institut Rexecode, spécialiste des États-Unis, analyse la politique économique de Donald Trump.
Franceinfo : Que pensez-vous de sa politique économique de Donald Trump ?
Charles-Henri Colombier : Après la réélection de Donald Trump, il y avait deux scénarios envisageables. Soit on avait affaire à une part importante de bluff, à visée électoraliste, à visée de négociations avec les partenaires commerciaux des États-Unis. Soit on avait vraiment affaire à une stratégie de transformation des grands équilibres de l'économie américaine et mondiale. Et après 100 jours, je crois qu'on est en mesure de répondre que c'est plutôt le deuxième scénario qui s'impose. Alors, quelle est cette stratégie ? Elle repose sur un certain nombre de points de diagnostic. Essentiellement au nombre de trois. D'abord, le déficit commercial et le déficit public américain, je le rappelle, c'était plus de 7% du PIB en 2024, sont des problèmes majeurs qu'il faut absolument résorber. Deuxièmement, il faut absolument réindustrialiser, parce que la réindustrialisation bénéficiera à la classe moyenne et parce que les États-Unis sont trop dépendants de la Chine, avec un risque de confrontation qui ne fait que progresser. Et puis, dernier point, la mondialisation heureuse, telle qu'elle se déroule depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, ne serait désormais plus au bénéfice des États-Unis et il faudrait donc changer les règles du jeu, les règles du jeu commercial, les règles du jeu monétaire.
Donc il y a une ligne directrice, contrairement à tout ce qu'on peut penser quand on voit les retours en arrière sur l'instauration des droits de douane, notamment ?
Absolument, derrière les décisions, les comportements, les discours un peu erratiques de Donald Trump, il y a autour de lui une équipe structurée qui l'accompagne et qui a développé une doctrine, une doctrine économique, une doctrine sociétale. Il y a un véritable projet de transformation de l'économie américaine avec deux leviers principaux qui sont les tarifs douaniers. Les tarifs douaniers, je rappelle le plus beau mot du dictionnaire selon Donald Trump lui-même, qui permettraient à la fois de renflouer les caisses de l'État américain, mais également de réindustrialiser. Et puis l'idée qu'il faut provoquer une dépréciation du dollar qui serait trop cher et qui pénaliserait les exportations américaines.
Sauf que le PIB a reculé au premier trimestre aux États-Unis, les chiffres sont tombés aujourd'hui. Les embauches ont ralenti et les investisseurs attendent avec inquiétude les résultats d'Amazon et de Méta.
Le hic, c'est que cette stratégie de Trump, elle produit à coup sûr des dommages à court terme. Et d'ailleurs, c'est assumé puisque Trump lui-même a parlé de quelques dommages ou quelques perturbations qui interviendraient dans un premier temps, avant un potentiel nouvel âge d'or de l'économie américaine.
Donc, il n'y a pas lieu de s'inquiéter ?
Si, parce que cette stratégie de Trump, elle comporte quelques problèmes, quelques contradictions internes. D'abord, il a promis qu'il allait faire baisser l'inflation. Or, les tarifs douaniers et la réduction de l'immigration, ce sont des mesures qui vont être inévitablement inflationnistes.
Donc, il va y avoir des dommages collatéraux. Il va y avoir une hausse des prix pour les produits et les Américains vont être les premières victimes, avec une hausse de leurs téléphones portables, de leurs voitures, etc.
Et les ménages américains sont inquiets. Les indices de confiance de ceux-ci sont en très forte baisse. Le deuxième hic, c'est que l'expérience économique montre que monter les tarifs douaniers, ça ne permet pas de rétablir la balance commerciale. C'est un outil qui produit par ailleurs des dommages économiques, a minima sur l'économie mondiale, si ce n'est sur l'économie américaine. Et ce n'est pas suffisant pour arriver au but souhaité. Et puis le fait de générer une défiance vis-à-vis des États-Unis et du dollar, ce qui est quand même ce qui se passe de manière extrêmement forte.
"On a vu par exemple la chute des arrivées de touristes aux États-Unis, qui est assez spectaculaire, génère une défiance sur le dollar au moment même où les États-Unis ont encore un grand besoin de capitaux étrangers pour financer leur dette publique. C'est pour le moins risqué."
Charles-Henri Colombiersur franceinfo
Est-ce que vous pensez que les investisseurs peuvent avoir une défiance de long terme vis-à-vis de la monnaie refuge qu'a toujours représenté le dollar et la dette américaine, ou est ce que finalement la solidité de la dette américaine et de l'économie américaine suffisent ?
Il y a des forces de rappel, on l'a vu effectivement. Qu'est ce qui a fait faire machine arrière à Donald Trump ? Ce sont les tensions sur les taux d'intérêt de la dette publique américaine qui avait fortement augmenté. Il a résisté à la pression sur la baisse des indices actions. Mais en revanche, on ne plaisante pas trop avec les obligations du Trésor américain. Et de ce point de vue, il y aura effectivement des forces de rappel. Néanmoins, le projet de transformation est là, il est là pour durer et je ne pense pas qu'il y aura de machine arrière rapidement.
Sauf qu'il ne peut pas tout faire tout seul. Vous avez vu le bras de fer qu'il y a entre Donald Trump et entre le directeur de la Banque centrale américaine, la Fed, Jérôme Powell. Qui a raison ?
Absolument. Je pense que le fait de remettre en cause l'indépendance de la Banque centrale américaine, qui était un des fondements des grands équilibres financiers internationaux, est une stratégie qui est périlleuse et que Wall Street n'apprécie guère. Maintenant, C'est là qu'il faut distinguer la tactique et la stratégie.
"La stratégie, elle est là, elle est claire, elle ne va pas changer. En revanche, Trump est un tacticien et donc des allers-retours, de l'incertitude permanente. Je pense que c'est ce qui nous attend pour les mois à venir."
Charles-Henri Colombiersur franceinfo
Face à cela, quelle doit être l'action des États en Europe, des investisseurs et évidemment des entrepreneurs ? On a vu qu'Emmanuel Macron a demandé aux entrepreneurs français d'avoir une sorte de patriotisme en stoppant leurs investissements. Qu'est-ce que vous en pensez ?
Oui. Après, chacun, évidemment, a un discours qui peut se comprendre de son point de vue. Ce qui est certain, c'est que l'option préférentielle pour les Européens, c'est de faire redescendre les tensions. Et donc on a vu que c'est la carte qui est jouée par la Commission européenne, en essayant de donner des gages ou des incitations à l'administration américaine pour arriver à un accord. Il y a des choses que l'on peut faire et qui ne sont pas extrêmement coûteuses. Exemple, s'engager à des achats de gaz naturel liquéfié américain sur la durée, ce qui aura un impact positif sur la balance commerciale américaine. C'est un gage qui n'est pas extrêmement coûteux et qui peut permettre à Donald Trump de revendiquer une victoire.
Et donc d'avoir une réponse graduée...
Maintenant, face à Trump, je pense qu'il faut aussi se faire respecter. Et il n'est pas du tout improbable qu'assez rapidement, on arrive à une étape. Il faudra escalader dans les répliques et là il faudra être intelligent, pas faire ce que fait Trump, c’est-à-dire monter les tarifs douaniers de manière univoque sur tous les produits, mais être assez ciblé, par exemple sur les produits sur lesquels il y a des substitutions par des produits européens qui sont possibles, viser les exportations de services américains. On parle beaucoup de balance commerciale. Trump oublie un peu de voir que les États-Unis sont en excédent sur les échanges de services avec l'Europe.
Donc il faut taxer davantage les services américains, les Google, Amazon ?
On parle de la tech et des services financiers. Évidemment, ça devrait être considéré sans doute à une certaine étape du processus.