"La politique incohérente des Etats-Unis a fissuré la confiance des marchés" : pourquoi Donald Trump repousse encore l'échéance sur ses tarifs douaniers

Si c'était un film, il s'appellerait Le Retour des droits de douane : la menace fantôme. Les Etats-Unis attendent désormais le 1er août pour appliquer des surtaxes sur leurs tarifs douaniers aux pays qui n'ont pas réussi à finaliser un accord avec Washington, a annoncé Donald Trump, lundi 7 juillet. Le 2 avril, le président américain avait annoncé la mise en place de "droits de douane réciproques" comprenant un tarif plancher de 10%, ainsi que des surtaxes ciblées pour de nombreux pays, allant de 10 à 104% (24% pour ceux de l'Union européenne).

Ces taxes ont finalement été suspendues quelques jours plus tard, officiellement pour laisser le temps à la négociation, mais surtout pour contrer la chute des marchés financiers. Le président américain a alors fixé la date butoir du 9 juillet, avant de revenir dessus vendredi, dans un message posté sur son réseau Truth Social. Il a signé lundi un décret repoussant la mise en œuvre de ces nouveaux tarifs. Franceinfo vous explique pourquoi Donald Trump a de nouveau changé d'avis et repoussé l'échéance de plusieurs semaines.

Parce que le président américain ne veut pas perdre la face

Depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump a fait des droits de douane un axe central de sa politique économique. Le président américain, qui estime que les accords commerciaux étaient jusqu'à présent défavorables aux Etats-Unis, est obsédé par l'idée d'obtenir la signature de nouveaux "deals". Mais pour l'instant, seuls deux pays ont signé un accord avec Washington : le Royaume-Uni et le Vietnam. "Et encore, il ne s'agit que de déclarations d'intérêts de deux pays très dépendants, politiquement pour l'un et économiquement pour l'autre, des Etats-Unis", souligne auprès de franceinfo Sébastien Jean, professeur d’économie au Conservatoire national des arts et métiers et directeur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri).

L'absence d'accords au 9 juillet, notamment avec l'UE, aurait donc pu apparaitre comme un échec, alors qu'une majorité d'Américains ont une opinion négative de l'action de leur président, selon l'agrégateur de sondages du New York Times. "Le grand négociateur est visiblement à court d'accords commerciaux", s'est ainsi exclamé The Economist, dans un article publié mardi. "Donald Trump se rend compte que les choses prennent plus de temps que prévu, il n'anticipait pas qu'il allait notamment falloir s'occuper de la situation au Moyen-Orient", analyse pour franceinfo Arnaud de Nanteuil, professeur de droit international à l'université Paris-Est Créteil.

Parce qu'il faut plus de temps pour négocier 

Repousser une nouvelle fois l'entrée en vigueur des droits de douane est aussi une façon de se donner un peu de marge de manœuvre. L'annonce de nouveaux taux qui s'imposeront à certains pays comme le Japon et la Corée du Sud, combinée à un envoi de lettres quelque peu théâtral, est "une façon de maintenir la pression", selon Sébastien Jean. "C'est la méthode Trump, résume de son côté Arnaud de Nanteuil. Cela consiste à balancer une énormité pour pousser à la discussion. En réalité, il parle beaucoup, mais il ne fait pas tant que ça." Quant aux nouveaux taux imposés à certains pays, Donald Trump s'est encore montré évasif. "S'ils appellent avec une autre offre et qu'elle me plaît, alors nous le ferons", a-t-il concédé.

Une façon de maintenir le flou... et la pression sur les négociations, toujours en cours avec la Chine et l'UE, partenaires commerciaux principaux des Etats-Unis. Les échanges entre les Européens et les Américains représentaient à eux seuls en 2024 30% des échanges commerciaux mondiaux et pesaient pour 43% du PIB mondial, selon les chiffres du Conseil européen. Lundi, la Commission européenne a fait état d'un "bon échange" téléphonique, qui s'était tenu la veille, entre Ursula von der Leyen et Donald Trump. "Comme les discussions se poursuivent avec l'UE, j'y vois un signe que les négociations avancent et qu'on souhaite se laisser du temps", estime Arnaud de Nanteuil. 

Parce que l'administration Trump veut (et doit) préserver les marchés

Le gouvernement américain a probablement encore en tête la tempête déclenchée sur les marchés financiers mondiaux par l'annonce des surtaxes en avril dernier. Le risque de récession mondiale avait alors poussé Donald Trump à revenir sur ses annonces, même s'il s'en était défendu. "Il est difficile de dire dans quelle mesure la réaction des marchés a guidé la décision de Donald Trump, mais il faut quand même souligner qu'il existe une fébrilité de l'économie américaine en ce moment", pointe Arnaud de Nanteuil. Réagissant aux dernières annonces du président américain, les bourses mondiales ont en tout cas évolué dans le vert mardi matin, les investisseurs se concentrant sur le report de l'entrée en vigueur des nouveaux droits de douane.

L'économie américaine, elle, se porte mieux que prévu, notamment sur le marché de l'emploi, qui a connu une embellie en juin, rapporte CNN. Cependant, "la hausse des droits de douane, la politique monétaire restrictive et les inquiétudes concernant une nouvelle intensification de la guerre commerciale pèsent lourdement sur la demande de main-d'œuvre", a estimé lundi le directeur de Pantheon Macroeconomics, Samuel Tombs, dans une note d'analyse.

Sébastien Jean pointe un autre risque, pesant sur le marché obligataire : "La politique incohérente et désordonnée des Etats-Unis a fissuré la confiance des marchés dans la dette américaine, c'est une menace toujours très présente". La dette américaine s'établit désormais à plus 37 000 milliards de dollars, soit 122% du PIB américain (des chiffres qui donnent le vertige et que le site US Debt Clock suit en temps réel). Une déstabilisation des marchés pourrait faire augmenter sensiblement le taux de remboursement des emprunts américains et mettrait l'administration américaine dans une position difficile.