Droits de douane américains : "Ces décisions vont poser des problèmes un peu à nous, beaucoup aux Américains", estime le directeur général d'Euronext

Donald Trump a suspendu pour un mois son projet d'imposition de droits de douane au Canada et au Mexique et doit s'entretenir avec Pékin, alors qu'il a augmenté les taxes de 10% sur les produits importés de Chine vers les États-Unis.

franceinfo : Comment voyez-vous les mesures prises par Donald Trump ?

Stéphane Boujnah : Avec beaucoup d'inquiétude et pour deux raisons. La première c'est que ça remet en cause des règles collectives qu'on s'était tous fixées pour que les échanges se passent mieux et que le monde aille mieux et chaque fois que quelqu'un prend des décisions unilatérales, désinhibées, ça pose des problèmes aux autres. La deuxième, c'est, je pense, que les choses vont évoluer de manière un peu difficile aux États-Unis. Le virus de l'inflation est injecté là depuis quelques jours dans le corps de l'économie américaine, parce que quand vous rendez l'immigration plus difficile, le coût du travail va augmenter. Quand vous mettez des droits de douane plus élevés, le coût des facteurs, qui sont nécessaires à l'industrie et à la vie économique américaine, va augmenter. Quand vous diminuez les impôts et quand vous augmentez la dépense publique à moyen terme, dans les 12 mois qui viennent 18 mois qui viennent, vous aurez une inflation significative qui va se développer aux États-Unis. Donc ces décisions très unilatérales, très disruptives, vont poser des problèmes un peu à nous beaucoup aux Américains.

Que doivent se dire les marchés, les investisseurs européens ?

Les marchés ont une relation ambivalente avec ce qui se passe aux États-Unis. D'une certaine manière, vous avez tout un buzz, un bruit sur l'avenir est dans les investissements aux États-Unis, la croissance est là-bas. En réalité, la valorisation de tous les actifs américains est extrêmement élevée et les investisseurs, à la fois en Europe et aux États-Unis, commencent à se rendre compte que ce qu'on appelle les multiples de valorisations, le prix auquel on paie toutes les choses aux États-Unis devient extrêmement élevé par rapport à des actifs européens.

Donc l'Europe est moins chère ?

Il faut penser à par analogie avec un marché immobilier. Quand les appartements deviennent beaucoup trop chers dans un quartier et certains quartiers qui apparaissent beaucoup moins chers, on se dit que la différence de qualité des biens ne justifie pas la différence de prix. C'est un peu le raisonnement qui est en train de s'installer chez un certain nombre de gestionnaires d'actifs qui estiment que les perspectives de croissance des actifs aux États-Unis ne sont pas suffisantes pour justifier l'écart de valorisation.

Cela signifie que l'Union européenne va devenir plus attractive que les États-Unis?

Oui, en particulier les actifs qui sont sous-valorisés, c'est-à-dire dont une partie très importante de l'activité est mondiale, sont valorisés moins parce qu'elles sont en Europe qu'aux États-Unis alors même que leurs perspectives de croissance ne sont pas aussi inférieures que ne semble l'indiquer l'écart de valorisation. Donc les choses sont plus nuancées qu'elles n'apparaissent au premier abord.

Peut-on parler de risque français ?

Je ne sais pas si on peut parler de risque français, mais il est vrai que quand on parle des marchés, il y a les investisseurs qui achètent des actions des sociétés françaises et puis il y a les investisseurs qui achètent les obligations ou la dette des sociétés françaises, mais aussi de l'État français. Or, cette année, l'État français émet environ 350 milliards d'euros de dette, c'est-à-dire un peu plus de 10 % du PIB, de la richesse nationale, et c'est quelque chose qui préoccupe beaucoup les investisseurs.

Le taux auquel le reste du monde prête à la France ne cesse d'augmenter, certes assez lentement, de manière homéopathique, mais aujourd'hui quand l'État français emprunte il doit payer plus que l'Espagne, il doit payer plus que la Grèce, quand il emprunte à 5 ans en tout cas, et bien sûr beaucoup plus que l'Allemagne.

Face à cette situation, François Bayrou a engagé la responsabilité de son gouvernement sur le budget de l'État et le budget de la sécurité sociale. Il s'expose à une motion de censure. Vous, que dites-vous ? Il faut de la stabilité ?

Oui. Alors, la très bonne nouvelle, c'est que grâce au travail qu'a accompli Éric Lombard, le ministre de l'Économie, on a désormais un budget qui sera probablement voté si la motion de censure n'est pas adoptée. La mauvaise nouvelle, c'est que rien n'est réglé de manière structurelle. Pourquoi les taux augmentent ? Pourquoi l'année prochaine nous allons payer approximativement 70 milliards d'euros de la dette ? L'année dernière c'était 50 milliards. La différence entre 50 milliards et 70 milliards c'est à peu près 20 milliards. Les 20 milliards de plus qu'on va payer en intérêt de la dette, c'est l'équivalent de tout ce que nous dépensons chaque année pour payer pour entretenir la police et la gendarmerie.

Si c'était vous, que feriez-vous ?

Le reste du monde a une vision très simple. 1 600 à 1 700 milliards de notre dépense publique. La moitié à peu plus de 800 milliards, ce sont des dépenses sociales. La moitié de cette moitié à peu près 450 milliards, ce sont les retraites. Le plus gros sujet qui détermine notre capacité à reprendre le contrôle de nos finances publiques, c'est comment faire en sorte de faire accepter à la population de travailler un peu plus, parce que quand on travaille un peu plus, on verse moins de pensions de retraite et on cotise plus de cotisations. Donc les déficits se réduisent et surtout il y a plus de croissance. Le reste de nos voisins travaille de 65 67 ans. On a un une originalité française qui est que nos retraités français sont en moyenne beaucoup mieux payés que les autres retraités européens, alors même que les infirmières et les instituteurs en France sont beaucoup moins payés que dans le reste des pays européens. Donc la reconquête de nos finances publiques passe, à la fois à l'égard des investisseurs mais aussi pour nos débats internes, par une reconquête du sujet des retraites.

Les sujets de déremboursement des médicaments, de subvention du coût de l'énergie et cetera ne sont pas à l'échelle des gains que nous pouvons reconquérir dans le contrôle de nos finances publiques si les gens travaillent un peu plus longtemps et si les revenus des retraités sont en ligne avec ce qu'ils sont dans chez chacun de nos voisins.