Avec son "America Party", Elon Musk veut faire peur à Donald Trump
"One Big Beautiful Bill" contre le grand méchant Elon Musk. L’homme le plus riche des États-Unis s’est mué en opposant numéro 1 du projet de loi budgétaire fleuve si cher au président américain Donald Trump.
Elon Musk est à ce point remonté contre ce méga-projet de loi débattu actuellement au Congrès qu’il menace de fonder un nouveau parti politique pour savonner la planche aux républicains. Sa nouvelle formation, que le multimilliardaire envisage de nommer "America Party" ("Parti de l'Amérique"), serait "créée dès le lendemain" d’une éventuelle adoption du "One Big Beautiful Bill", a-t-il affirmé lundi 30 juin sur X, son réseau social.
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"Vox populi, vox Dei" ?
Ce n’est pas la première fois qu’Elon Musk menace de lancer un nouveau parti depuis la très médiatique fin de sa bromance avec le président américain, début juin. Peu après avoir quitté ses activités de conseiller informel en coupes budgétaires du gouvernement Trump, le patron de Tesla-X-SpaceX avait déjà lancé sur sa plateforme préférée un sondage pour savoir si ses centaines de millions de fans étaient favorables à la création d’un nouveau parti qui serait, d’après lui, "exactement au milieu entre les démocrates et les républicains".
Sur X, sa proposition avait fait un tel carton qu’il l’a remis en avant mardi 1er juillet en ajoutant un tonitruant "Vox populi, vox Dei", suggérant qu’il serait bien obligé de suivre l’avis de la majorité. Sauf que le "vox populi" sur le réseau social qu’il s’est acheté n’est pas forcément le reflet de la majorité des Américains.
"Ce n’est pas une proposition très sérieuse", estime Richard Johnson, spécialiste de la politique américaine à l’Université Queen Mary de Londres. D’abord, parce que même la fortune d’Elon Musk ne suffirait pas à fonder un nouveau mouvement. "Il est possible de créer un parti et l’argent peut y contribuer, mais c’est un système assez verrouillé", confirme Jérôme Viala-Gaudefroy, docteur en civilisation américaine et auteur de l'ouvrage "Les mots de Trump".
Concrètement, "il existe plusieurs barrières pour empêcher les démarches non sérieuses. L'une des principales est qu'il faut obtenir des milliers de signatures dans chaque État et réussir à garantir une présence sur tout le territoire. C’est une démarche qui demande un investissement énorme en temps, en argent, et en volontaires", énumère Richard Johnson.
Ce spécialiste est plus que dubitatif quant à la capacité d’Elon Musk de susciter un engouement populaire suffisant pour aller à la pêche aux signatures. Qui va suivre le multimilliardaire dans une éventuelle nouvelle croisade politique, sachant "qu’il est encore plus bas dans les sondages que Donald Trump, qu’il a fâché l’électorat démocrate et que ses prises de position ne sont pas non plus très populaires parmi les électeurs indépendants", se demande Jérôme Viala-Gaudefroy.
"Des menaces dans le vide"
La plateforme politique d’un éventuel "America Party" aurait en effet du mal à séduire un vaste électorat. "Il défend les mêmes idées économiques et sociales que les autres riches entrepreneurs de la Silicon Valley, en y ajoutant un anti-wokisme très à droite", résume Richard Johnson.
Autrement dit, ses positions économiques – par exemple le soutien à des sources d’énergie plus vertes, compatibles avec ses voitures électriques Tesla ; ou la défense d’une certaine catégorie d’immigrés pour servir de main-d'œuvre aux start-ups de la Silicon Valley – n’ont que peu de chance de plaire à la base trumpiste. De l’autre côté de l’échiquier politique, ses sorties et gestes controversés – comme son bras levé ressemblant fort à un salut nazi – le disqualifient aux yeux des électeurs plus progressistes.
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En résumé, brandir le spectre d’un nouveau parti "revient pour Elon Musk à menacer dans le vide", suggère Richard Johnson. Pourquoi s’acharner alors ? Le multimilliardaire se trompe-t-il à ce point sur sa popularité réelle ? En fait, ce serait une manière de faire passer le message qu’il est prêt à aller très loin "pour faire mal au trumpisme", d’après les experts interrogés par France 24.
Pour Jérôme Viala-Gaudefroy, le camp présidentiel devrait davantage craindre ses promesses de "faire perdre les candidats trumpistes" grâce à sa fortune personnelle si le "Big Beautiful Bill" venait à être adopté.
En devenant le principal donateur du parti républicain, Elon Musk s’est montré très utile pour Donald Trump durant la campagne présidentielle de 2016. Le président américain n’a probablement pas envie de voir l’homme le plus riche de monde retourner ses milliards de dollars contre les candidats trumpistes lors des élections de mi-mandat de 2026, ou même lors des primaires républicaines.
"Cela peut avoir un certain impact, car la majorité présidentielle est très mince au Congrès. Elle pourrait basculer si Elon Musk réussit à faire pencher la balance en défaveur des candidats pro-Trump dans seulement quelques circonscriptions importantes", explique Jérôme Viala-Gaudefroy.
Les démocrates se frottent les mains
Certes, le soutien financier d’un personnage aussi controversé qu’Elon Musk pourrait tout aussi bien desservir un candidat démocrate. De ce fait, les experts interrogés par France 24 estiment que la tactique la plus efficace pour le multimilliardaire serait de promettre de soutenir tous les candidats républicains qui, lors d’une primaire à droite, se présenteraient contre les hommes de Donald Trump.
Mais même cette approche n’est pas une arme absolue. "L’argent est un bon début en politique américaine, mais ce loin d’être suffisant", assure Richard Johnson. Au début de son ascension, Barack Obama a réussi à s’imposer en 2004 face à certains des hommes les plus riches de l’Illinois – tel que le trader Blair Hull – pour gagner sa première élection au Sénat. En 2016, "Donald Trump n’avait pratiquement pas dépensé un centime en publicité pendant les premiers mois de la campagne électorale contre Hillary Clinton", ajoute Richard Johnson.
Si le potentiel de nuisance d’Elon Musk peut donc se révéler bien plus limité qu’il voudrait le croire, sa croisade anti-Trump, par ricochet, pourrait aider le parti démocrate. "On assiste à une sorte de guerre civile en devenir au sein du parti républicain", assure Jérôme Viala-Gaudefroy. Les démocrates peuvent difficilement rêver meilleur scénario que celui dans lequel Donald Trump mettrait tout en œuvre pour faire échouer les candidats républicains qui n’auront pas soutenu son "Big Beautiful Bill" tandis qu’Elon Musk ferait tout l’inverse.