« Ce qui se passe aux États-Unis peut arriver en France » : la militante française Lumir Lapray a parcouru les États-Unis pour autopsier le vote Trump
Un sac à dos sur les épaules, un rapide coup d’œil autour d’elle, Lumir Lapray semble déjà prête à repartir. Lors d’un passage éclair à Washington en avril dernier, la militante française de 32 ans s’accorde une brève parenthèse. Avant de décrocher la prestigieuse bourse Fulbright en 2024 et d’être sélectionnée pour le programme Obama Fellow – qui vise à soutenir les leaders émergents et les innovateurs civiques du monde entier –, elle s’était d’abord illustrée en croisant le fer sur les plateaux télé. Étiquetée à gauche, elle était, avant de traverser l’Atlantique, chroniqueuse dans le talk-show « Estelle Midi », diffusé sur RMC.
Depuis octobre 2024, elle a sillonné la Virginie-Occidentale, cœur battant d’une Amérique postindustrielle. Jadis bastion démocrate bercé par les idéaux du New Deal – politique de Roosevelt visant à aider les populations les plus pauvres pour relancer l’économie suite au krash boursier de 1929 -, cet État des Appalaches, longtemps prospère grâce à l’exploitation minière, est aujourd’hui l’un des principaux fiefs de la mouvance trumpiste.
« Je veux comprendre comment les choses ont basculé », résume Lumir Lapray. Autrefois, dans ces mines où se sont succédé des vagues d’immigrés, une forte culture syndicale fleurissait. L’acmé de cette lutte sociale reste la bataille de Blair Mountain, en 1920. L’épisode est le plus grand soulèvement ouvrier qu’aient connu les États-Unis.
« Le mouvement des mineurs dans les Appalaches est l’une des rares coalitions multiraciales du pays. On y retrouvait, côte à côte, des Afro-Américains, des Hongrois fraîchement arrivés et des Écossais installés depuis plusieurs générations », raconte la militante. De cet héritage, il ne subsiste qu’une mémoire préservée dans des cercles restreints. La Virginie-Occidentale est, après le Wyoming, l’État le plus blanc des États-Unis. Comme beaucoup d’autres, les travailleurs afro-américains ont quitté ce bassin houiller sinistré pour les usines de la Rust Belt.
À l’école du militantisme américain
Ces récits, Lumir Lapray les fait remonter au gré de ses échanges. Fervents partisans de l’idéologie Maga (acronyme de « Make America great again », le slogan de Donald Trump) ou démocrates plus discrets, tous trouvent une oreille attentive. La militante revendique parler à tout le monde. « Ici, il ne s’agit pas de convaincre, mais d’abord de comprendre. Ce qui se passe aux États-Unis peut arriver en France », pointe-t-elle. Dans cette autopsie du vote Trump, la Française s’intéresse aussi aux formes de résistance locale, aux tactiques déployées par les opposants.
Un concept revient tel un mantra : le « community organizing ». Derrière cet anglicisme sans véritable équivalent en français, se cache une méthode d’action locale théorisée par le sociologue Saul Alinsky, visant à permettre à des communautés marginalisées d’accéder au pouvoir. Devenue une référence dans les sphères militantes, cette approche a également nourri les campagnes présidentielles de Barack Obama.
Loin d’être novice en la matière, Lumir Lapray a été formée à l’école américaine du militantisme. Encore étudiante, elle s’envole en 2014 pour Los Angeles. Là-bas, durant neuf mois, elle participe à une campagne avec les principaux candidats, visant à obtenir un salaire minimum de 15 dollars par heure. L’année suivante, elle poursuit sa formation en devenant l’attachée parlementaire du député démocrate californien Juan Vargas.
Un regard tourné vers la France
Cette expérience américaine, la militante l’a mise à profit dans l’Ain, sa région natale. En 2022, investie par les Écologistes, elle se présente aux législatives sous la bannière de la Nupes. « On a mené une campagne de dix mois qui a été considérée comme l’une des plus mobilisatrices, durant laquelle on a appliqué les principes de l’organizing, mais aussi du ”deep canvassing” (porte-à-porte avec des conversations approfondies, NDLR). Nous avons perdu au second tour, mais nous avons réussi à faire l’un des plus beaux scores de la gauche dans la circonscription. »
Difficile, pour l’heure, de dire ce qu’elle tirera de son immersion dans l’Amérique trumpiste. Une étude ? Un livre ? Rien n’est vraiment prévu, et d’autres voyages ne sont pas exclus. En filigrane, le parallèle entre l’hexagone et les États-Unis reste présent. La paupérisation du monde rural et la montée du vote d’extrême droite dans la France des campagnes l’inquiètent. Elle enrage face à l’incapacité de la gauche à s’unir.
« Ce qui m’interroge chez les politiques actuels en France, c’est que, malgré un corpus idéologique cohérent, ils ignorent que beaucoup ne votent pas par idéologie. En refusant cette réalité, on se prive d’électeurs et de conversations qui créent du lien. J’ai le sentiment que le personnel politique n’écoute pas ces voix. » Pour l’instant, elle reste à l’écart des querelles entre chapelles, même si les prochaines municipales sont dans son viseur. « J’ai clairement l’intention d’aider la gauche à remporter des mairies », conclut-elle.
Face à l’extrême droite, ne rien lâcher !
C’est pied à pied, argument contre argument qu’il faut combattre l’extrême droite. Et c’est ce que nous faisons chaque jour dans l’Humanité.
Face aux attaques incessantes des racistes et des porteurs de haine : soutenez-nous ! Ensemble, faisons entendre une autre voix dans ce débat public toujours plus nauséabond.
Je veux en savoir plus.