Mégafeux à Los Angeles : la fin de l’Eden pour la ville des anges
Les flammes qui ont dévoré une partie de la Cité des anges depuis le début le début du mois de janvier ne sont pas tombées pas du ciel. Sous le prisme de deux ouvrages – « City of Quartz. Los Angeles, capitale du futur » (1990), puis, dix ans plus tard, « Ecology of Fear » (en français : Écologie de la peur), l’historien et chercheur en sciences sociales californien Mike Davis brossait déjà le portrait d’une ville promise aux enfers, victime de son modèle d’étalement urbain, jusqu’aux confins de la nature. Décédé en 2022, ses écrits raisonnent rétrospectivement comme une prophétie.
De quel mal la mégapole souffre-t-elle ? Selon le prévisionniste AccuWeather, les dommages et pertes économiques liés aux incendies de janvier pourraient dépasser les 250 milliards de dollars ; ce sont les incendies les plus coûteux de l’histoire des États-Unis. Si le réchauffement climatique d’origine anthropique aggrave de telles catastrophes – à commencer par les sécheresses et le manque de précipitations, on ne compte plus les faiblesses de Los Angeles face aux incendies. Elles sont légion.
De quel bois ça chauffe
Aux premiers jours des mégafeux, les clichés de scènes apocalyptiques ont fait le tour du monde. Parmi eux, celui d’un quartier réduit en cendres : Malibu, hameau des stars hollywoodiennes, est méconnaissable.
Mais une villa, d’un blanc presque immaculé, tient toujours debout, au milieu des décombres. Miracle ? Son propriétaire, un millionnaire de 64 ans, a donné une explication bien plus rationnelle au New York Post : « c’est du stuc et de la pierre, avec un toit ignifuge ».
Comme le rappelle l’association nationale des constructeurs d’habitations, neuf maisons sur dix aux États-Unis sont faites en bois, en raison notamment de coûts amoindris et de délais de construction réduits. À Los Angeles, plus de 17 000 structures ont été plus ou moins touchées. Au-delà de l’utilisation de matériaux inflammables, ce sont l’ensemble des politiques d’urbanisme qui sont à revoir, en témoignent les « Wildland-Urban Interface » (WUI, en français : interface sauvage-urbaine).
Selon les chercheurs, il s’agit de zones où les structures humaines se mêlent à la végétation sauvage ; où les incendies dévorent rapidement les maisons dans la foulée des plantes et des arbres. D’après le département californien des forêts et de la protection, près d’un logement sur deux est désormais situé dans une WUI en Californie. Le sud de l’État est principalement constitué de chaparrals, une végétation faite de buissons et de broussailles, de parfaits combustibles pour les feux.
Dans le but d’accentuer le cadre idyllique qu’est censé offrir la région, palmiers et eucalyptus ont également été implantés ; la résine de ces derniers flambe aisément. Plus largement, face à l’ampleur des reconstructions, la question de reproduire à l’identique un schéma urbanistique fondé sur un labyrinthe de banlieues tentaculaires – trop peu doté de logements collectifs – se pose.
Une ville en passe d’être inassurable
D’autant que dans ces banlieues ravagées, nombre de sinistrés ne sont pas ou plus couverts par une assurance habitation. Bien que le problème touche l’ensemble des États-Unis, face à la succession de catastrophes, la Californie connaît une crise particulièrement grave du secteur assurantiel.
Début 2024, le principal assureur de l’État, State Farm, a annoncé à 72 000 de ses clients la résiliation de leur contrat pour des raisons financières. Et dès 2023, la majorité des plus grandes compagnies d’assurances de Californie ont fortement restreint le renouvellement de polices et refusé la souscription de nouveaux contrats. Certains propriétaires, toujours assurés, ont vu leur facture exploser en raison de l’augmentation des risques.
Le système public d’assurance californien, appelé Fair plan, se trouve, lui aussi, au bord de l’implosion. Ce fonds de dernier recours doté d’environ 200 millions de dollars, envisagé à l’origine en 1968 comme une solution temporaire, bénéficie aujourd’hui, du fait du retrait du secteur privé, à près de 500 000 foyers. Or, selon une estimation menée récemment par le cabinet d’analyse West Fargo, le montant total des sinistres pour les particuliers pourrait dépasser 30 milliards de dollars.
Pire, cette assurance d’État ne propose qu’une couverture de base, de plus très coûteuse. Le 30 décembre dernier, le commissaire aux assurances de Californie, Ricardo Lara, a annoncé une nouvelle réglementation obligeant les assureurs privés à couvrir les logements dans les zones à risque : en contrepartie, elles seront libres de fixer des primes plus élevées. Pas sûr que cela suffise à enrayer la crise.
Un pyromane dans une ville brûlée
En visite officielle dans la mégapole vendredi 24 janvier, Donald Trump a changé de ton face aux représentants Démocrates californiens qu’il avait copieusement critiqués deux semaines plus tôt, à coups de fake news. Auprès des sinistrés, le chef de file de l’internationale climatosceptique s’est targué d’être leur ange gardien : « je vais vous donner plus que n’importe quel président ne vous aurait jamais donné ». En attendant la mise en place de dispositifs d’aides fédérales, l’enquête pour déterminer l’origine des incendies se poursuit.
S’agissant de celui d’Eaton qui s’est déclaré du côté d’Altadena, « de plus en plus d’indices suggèrent que le feu s’est déclaré dans les herbes sèches en dessous d’un ensemble de pylônes de transmission transportant des lignes électriques à haute énergie », a relaté le New York Times, sachant que ces lignes ont été secouées par les vents secs et puissants de Santa Ana, allant jusqu’à 160 km/h.
Étaient-elles mal entretenues ? Pas d’après la Pacific Gas & Electric, principale compagnie électrique de Californie. C’est pourtant une ligne défectueuse – dont elle avait la gestion – qui fut la source du Camp fire en 2018, causant la mort de 85 personnes.
Gavin Newsom, le gouverneur démocrate de Californie, avait lancé en 2021 un vaste plan de modernisation du réseau électrique pour le rendre plus résiliant face aux incendies. Mais c’est bien la prévention de ces risques qui est aujourd’hui pointée du doigt. Le courant électrique n’aurait pas été coupé en amont de la catastrophe par le département de l’eau et de l’électricité de Los Angeles, d’après le Wall Street Journal. Une affirmation niée par la Southern Californie Edison, autre compagnie d’électricité californienne.
La fin de l’Eden
Autre point de crispation : l’eau. À Pacific Palisades, contrairement aux rumeurs – attisées par Trump et ses partisans – qui se sont propagées au début de la catastrophe, les réservoirs du quartier – 4 500 m3 d’eau chacun – étaient bien remplis, selon les autorités. Mais le réservoir principal de Santa Ynez qui les alimentent, situé en amont de Pacific Palisades dans le Comté voisin de Santa Barbara, n’était pas relié au réseau, car en maintenance.
De quoi indigner Gus Corona, représentant syndical des travailleurs du secteur électrique, interviewé par le Los Angeles Times : « Il est totalement inacceptable que ce réservoir soit vide depuis près d’un an pour des réparations mineures ». Les bouches à incendies ne se sont donc pas taries comme par magie : les pompiers ont rapidement puisé toutes les ressources existantes, la demande étant quatre fois supérieure à la normale pour faire face aux flammes. « Le système a été poussé à l’extrême », a rappelé le responsable du Département de l’eau et de l’électricité de Los Angeles.
Au troisième chapitre d’« Ecology of Fear », intitulé « pourquoi il faut laisser Malibu brûler », Mike Davis convoque le passé de la Cité des anges. Sur les hauteurs de Pacific Palisades, les Chumash et les Tongva, amérindiens d’avant la colonisation européenne, étaient parvenus à dompter les flammes : chaque année, ils provoquaient de petits incendies dans le but de débroussailler, et donc de prévenir des colonnes de feu indomptables. Désormais, le rêve utopique d’Eden pour les plus fortunés qui a fait la gloire de Los Angeles semble révolu.
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