Aux États-Unis, l'agence NOAA dans le viseur du climatosceptique Trump

Il a déjà sorti les États-Unis des Accords de Paris, annoncé son intention de supprimer l'Agence fédérale de gestion des catastrophes (Fema) et censuré les mots "climat" sur plusieurs sites gouvernementaux. Depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump, climatosceptique notoire, n'a pas caché son ambition de réduire à peau de chagrin la lutte contre le dérèglement climatique. Et depuis plusieurs jours, une nouvelle cible est venue s'ajouter à son viseur : l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique (NOAA).

Avec près de 12 000 employés et un budget annuel de plus de 5 milliards de dollars, cette organisation gouvernementale créée en 1970 par Richard Nixon, est l'une des agences les plus importantes de recherche scientifique au monde. Au sein de ses différents services, elle travaille sur le climat, les sciences de l'atmosphère, les océans, l'Arctique ou encore les feux de forêt, collaborant ainsi régulièrement à des travaux majeurs comme ceux du groupe international d'experts sur le climat, le Giec. L'agence, qui exploite également des satellites, abrite également le National Weather Service (NWS), le service de prévisions météorologiques américain.

Direction controversée, suspension des bourses…

Mercredi 5 février, Donald Trump a d'abord annoncé nommer un certain Neil Jacobs au poste d'administrateur de le NOAA. Ce dernier, un scientifique spécialiste de l'atmosphère, avait déjà géré l'agence par intérim lors du premier mandat de Donald Trump. En septembre 2019, il s'était alors retrouvé au cœur du scandale du "Sharpiegate" pour avoir exercé des pressions sur des scientifiques afin qu’ils modifient les prévisions météo, pour les aligner sur des déclarations erronées du président. Donald Trump avait en effet twitté que l’Alabama se trouvait sur la trajectoire de l’ouragan Dorian, s'appuyant un graphique modifié au marqueur Sharpie. Si les services météorologiques d'Alabama l’avaient contredit, le NOAA par le biais du directeur avait, lui, confirmé à tort, l’alerte du président.

Quelques heures après cette nomination controversée, des employés du Département américain de "l'efficacité gouvernementale", le Doge, la structure créée par Donald Trump et gérée par Elon Musk pour "faire le ménage au sein du gouvernement fédéral", faisaient irruption au siège du NOAA, à Silver Spring, dans le Maryland et à Washington. Pendant plusieurs heures, ils ont cherché à accéder aux systèmes informatiques de l'agence, sans toutefois préciser l'objectif de cette perquisition. "Ils ont désormais accès à l’ensemble du système informatique, dont une grande partie contient des informations confidentielles", déplore Andrew Rosenberg, un ancien fonctionnaire de le Noaa, spécialisé en biologie marine, notant que, depuis, plusieurs pages du site de l'institution apparaissent comme "suspendues pour maintenance".

Et l'offensive est encore montée d'un cran le lendemain, jeudi 6 février, lorsque les équipes de recherches du NOAA ont reçu un courrier leur stipulant que - par décret du président - elles devaient identifier toutes les bourses d'études et financements pour les projets en lien avec "les sciences du climat", "la crise climatique", les énergies propres" ou encore "la pollution". "Quel est le but, suspendre les entrées d'argent pour ces travaux de recherche ?", s'inquiète Andrew Rosenberg.

Ciblée par Project 2025

Si Donald Trump n'a jamais officiellement annoncé ses projets pour le NOAA, le démantèlement de l'agence est largement évoqué dans "Project 2025", le programme politique de la très influente Heritage Foundation pour le nouveau président.

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"La NOAA devrait être démantelée et nombre de ses fonctions éliminées, confiées à d'autres agences, privatisées ou placées sous le contrôle des États et des territoires", peut-on lire dans le texte. Il s'agit de l'un des "principaux moteurs de l'industrie de l'alarme sur le changement climatique et, en tant que tel, il est nuisible à la prospérité future des États-Unis", poursuit-il.

"Le groupe estime que certaines branches de l'agence devraient être démantelées parce qu'elles publieraient 'des données scientifiques théoriques'", résume Andrew Rosenberg. "Pourtant, les recherches et données sont largement neutres et ne font que rendre compte des avancées scientifiques au fur et à mesure qu'elles s'accumulent."

"Tout cela est une nouvelle atteinte grave aux sciences et au travail scientifique, un déni de la réalité du changement climatique, et un refus d'informer le grand public", dénonce-t-il.

Pour le scientifique, voir le NOAA démantelé ou affaibli serait ainsi une grande perte pour le monde scientifique car "il priverait le monde de la recherche de données précieuses" et "entraînerait sans aucun doute un retard dommageable dans les travaux d'adaptation et d'atténuation indispensables dans la lutte contre le dérèglement climatique".

"Mais cela aurait aussi des impacts très concrets sur le quotidien des populations. Beaucoup ne savent pas ce qui se cache derrière cet acronyme mais tout le monde utilise les données qui en sortent tous les jours", note-t-il. "Sans la NOAA, nous n'aurons plus d'alerte en cas de pic de pollution de l'air, les agriculteurs n'auront plus d'information sur les risques de sécheresse, les pêcheurs ne pourront plus anticiper des perturbations en mer, nous ne connaîtrons plus la météo de l'espace dont dépend le bon fonctionnement de nos appareils électroniques…" énumère-t-il.

Vers une privatisation des services météorologiques ?

La feuille de route Projet 2025 prévoit par ailleurs de privatiser le Weather National Service (WNS), le service de prévisions météorologiques - une branche spécifique de la NOAA. Équivalent de Météo France, c'est lui qui fournit quotidiennement les informations sur les températures attendues et alerte les populations en cas d'événements météorologiques extrêmes comme des vagues de chaleur, des tempêtes ou ouragans aux quatre coins de la planète - "autant de dangers qui ne font que croître sous l'effet du réchauffement climatique", pointe Andrew Rosenberg.

Aujourd'hui, si les données de la NWS sont déjà utilisées par des entreprises privées qui s'en servent pour proposer des produits payants, elles sont aussi disponibles gratuitement et publiquement. "Mais l'idée de couper cet accès gratuit pour en réserver l'usage à des entreprises privées n'est pas nouvelle dans les rangs de la droite américaine qui y voit une façon de faire du profit."

"Mais cela provoquerait de profondes inégalités en impactant directement les populations les plus précaires et les plus isolées, aux États-Unis mais aussi ailleurs dans le monde. Et c'est d'autant plus grave qu'elles sont aussi souvent les premières victimes des phénomènes météorologiques extrêmes", déplore-t-il. "Si la logique de ces entreprises revient à faire du profit, alors vraisemblablement, elles ne se concentreront pas sur les populations qui ne sont pas en mesure de payer leurs services", détaille-t-il.

Préserver des données cruciales

"À tout cela, il faut ajouter le risque de perdre un grand nombre de données collectées par la NOAA depuis des dizaines d'années", ajoute Andrew Rosenberg.

Les données de l'agence sont archivées chaque mois dans quatre bureaux - les centres nationaux d'information sur l'environnement. Au total, plus de 65 millions de gigaoctets de données, soit environ la capacité de quatre millions de smartphones, y sont stockées, selon les chiffres du New York Times.

"Les données climatiques sont menacées par l'appel du Projet 2025 à dissoudre l'agence", abonde auprès du média américain Gretchen Gehrke. En 2016, lors de la première campagne présidentielle de Donald Trump et face aux menaces pour l'environnement, cette scientifique de formation avait créé l'"Environmental Data and Governance Initiative", un petit groupe chargé de sauvegarder ces données cruciales pour le suivi du climat.

Avec le retour de Donald Trump au pouvoir, il prévoit de nouveau de télécharger un maximum de données, de sauvegarder des pages web fédérales et d'enregistrer des entretiens avec des employés fédéraux.

"Tout cela devrait vraiment alerter la communauté scientifique mondiale et l'inciter à se mobiliser. N'importe qui travaille sur le climat a déjà collaboré avec la NOAA comprend l'enjeu que cela représente", conclut Andrew Rosenberg.