« Une insulte à notre histoire et une régression coloniale » : Gérald Darmanin ravive le spectre du bagne en Guyane et attise la colère des élus de gauche
Les annonces de Gérald Darmanin s’enchaînent et suivent la même méthodologie : le ministre de la Justice court-circuite les acteurs politiques locaux, les médias – sauf les titres d’extrême droite – et plusieurs de ses partenaires au sein du gouvernement Bayrou, annonce les contours de sa nouvelle lubie, puis se détourne des critiques. Son déplacement de trois jours en Guyane n’a pas fait exception.
Le garde des Sceaux y a dévoilé – dans les colonnes du titre dominical du groupe Bolloré, Journal du dimanche (JDD) – la création d’une prison de haute sécurité à Saint-Laurent-du-Maroni. Les détenus, des « têtes du narcotrafic », seront isolés à près de 7 000 kilomètres de la métropole, coupés du monde extérieur (officiellement afin d’empêcher tout « contact avec leurs filières criminelles ») et subiront « un régime carcéral extrêmement strict » afin de les « mettre hors d’état de nuire ».
Une forte surpopulation carcérale
Ils devraient être au nombre de soixante, enfermés au sein de la prison de 500 places attendue dans la deuxième ville la plus peuplée de la collectivité territoriale ultramarine, tandis qu’une quinzaine « d’islamistes radicalisés » y sera aussi incarcérée. Gérald Darmanin a aussi évoqué des « renforts de magistrats et d’assistants de justice extrêmement importants » en Guyane – il a prévu de l’annoncer lundi 19 mai à Cayenne. La Guyane enregistre une forte surpopulation carcérale, avec une densité de 134,7 %, selon les chiffres du ministère de la Justice au 1er juin 2024.
Le spectre du bagne, comme la prolongation d’un réflexe colonial n’ayant jamais réellement disparu, ont ainsi été immédiatement pointés du doigt par l’opposition politique. Saint-Laurent-du-Maroni, devenue la plaque tournante du trafic de drogue en Guyane, fut en effet l’ancien port d’entrée du bagne où débarquaient les forçats venus de métropole, de 1850 à 1938. « Il faut que les citoyens ultramarins aient la même sécurité que les citoyens hexagonaux », a tenté de justifier l’ancien ministre de l’Intérieur, sans préciser explicitement si des détenus venus de métropole y seraient transférés.
« La Guyane n’a pas vocation à accueillir les criminels et terroristes de la France hexagonale », a rétorqué, dans un communiqué, la Collectivité territoriale de Guyane (CTG). « À aucun moment le ministre n’a évoqué l’opportunité d’y enfermer des criminels et des personnes radicalisées venus de l’Hexagone, ont fustigé les élus locaux, qui ont rencontré Gérald Darmanin samedi 17 mai. C’est donc avec stupeur et indignation que les élus de la Collectivité ont découvert, en même temps que toute la population de Guyane, les éléments détaillés dans le Journal du dimanche. »
« Cette page de l’Histoire est tournée et j’espère qu’elle ne reviendra pas », a asséné de son côté Sophie Charles, maire sans étiquette de Saint-Laurent-du-Maroni, dans un discours prononcé devant le ministre. Interrogé sur ce point par la presse, celui-ci s’est agacé, appelant à « éviter les comparaisons qui sont une insulte à la République ».
« La Guyane porte encore les cicatrices du génocide amérindien »
« En Guyane il est interdit de couper des arbres sauf pour construire des prisons ultra-sécurisées. La même logique coloniale qui a créé le bagne, a surenchéri Jean-Victor Castor, député de Guyane (groupe Gauche démocrate et républicaine, GDR). Avec Wauquiez et Retailleau, Darmanin a les présidentielles en ligne de mire et veut utiliser la Guyane comme marchepied. Ça suffit ! » L’élu de gauche a réagi en envoyant une lettre au premier ministre François Bayrou, pour le convaincre d’annuler ce projet de prison. « La Guyane qui porte encore les cicatrices du génocide amérindien, de la traite négrière, du bagne dans sa mémoire collective et sur son territoire de ce système carcéral colonial, ne peut devenir à nouveau le théâtre d’une politique imposée depuis l’Hexagone », s’énerve-t-il.
« C’est une insulte à notre histoire, une provocation politique et une régression coloniale. Faire de la Guyane un bagne 2.0 pour les narcotrafiquants, les fichés S et les terroristes, c’est faire le choix du mépris. C’est exposer sciemment notre population à des risques majeurs. C’est instrumentaliser notre territoire comme un outil de communication électorale », ajoute le député GDR dans un post sur les réseaux sociaux.
La sénatrice socialiste (PS) de Guyane, Marie-Laure Phinera-Horth, a quant à elle intimé à Gérald Darmanin de renoncer à son projet : « Il nous ramène malheureusement à un passé douloureux : pendant près d’un siècle, la France a exilé en Guyane des milliers d’hommes, condamnés pour les crimes les plus sordides, afin qu’ils purgent leurs peines loin de la société dite civilisée. »
Son compère de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, semble moins affirmatif. Malgré les indignations, comme l’instrumentalisation par le garde des Sceaux du narcotrafic pour servir ses desseins électoralistes, celui qui brigue la présidence du Parti socialiste s’est annoncé « pas du tout hostile sur le principe ». Interrogé sur le plateau de France 3, le maire socialiste a néanmoins affiché de faibles réticences : « Est-ce que ce sera suffisant pour résoudre le phénomène et la gangrène du narcotrafic ? Absolument pas. »
Même son de cloche pour le Haut-commissaire au Plan, Clément Beaune, qui a repris la rhétorique du ministre de la Justice sur le plateau de franceinfo. « On doit créer une prison supplémentaire de haute sécurité, a-t-il assumé. Je pense que Gérald Darmanin a raison, on en a besoin. » Jean-Luc Mélenchon s’est quant à lui dit « solidaire avec la collectivité locale de Guyane pour refuser le projet de nouveau bagne pour criminels endurcis inventé par Gérald Darmanin ». De même pour le député insoumis Thomas Portes, qui estime que « Darmanin se comporte une fois de plus comme un colon, méprisant les populations locales ».
La cheffe de file des Écologistes (EELV), Marine Tondelier, s’est elle aussi attaquée au projet du ministre de la Justice, estimant que l’accent devrait être mis sur les services publics locaux. « Je ne pense pas que la priorité était ce projet de prison », a expliqué la secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les Verts sur BFMTV, dimanche 18 mai. « La symbolique qui consiste à installer en Guyane une prison pour des non-Guyanais et « les plus dangereux » est extrêmement problématique, a-t-elle ajouté. On voit bien la référence historique au bagne de Cayenne. » Les mois précédents ont cependant montré que Gérald Darmanin n’a que faire des critiques, au détriment des Guyanais comme de détenus dont les droits ne cessent d’être attaqués.
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