« Des délais trop longs, des peines mal exécutées et une complexité généralisée » : Gérald Darmanin veut chambouler la Justice pour ses ambitions sécuritaires

Occupé à multiplier les annonces sur son envie de réformer le système carcéral pour accélérer la mise au pas de prisonniers déjà victimes de surpopulation et de répression, Gérald Darmanin aura mis plusieurs mois à s’occuper d’une autre de ses prérogatives : la Justice. Le garde des Sceaux a ainsi diffusé, dimanche 11 mai, un texte annonçant les grandes lignes de sa vision du système judiciaire sur son compte X. Les magistrats de la France entière ont reçu officiellement le document en question, lundi 12 mai.

Gérald Darmanin y fustige trois maux qui, selon lui, sont à l’origine de la situation précaire du système judiciaire : « Des délais trop longs, des peines mal exécutées et une complexité généralisée. » L’ex-ministre de l’Intérieur dévoile donc, en quatre pages, les grandes lignes de sa politique pour, espère-t-il, les deux prochaines années à venir.

La surpopulation carcérale est hors de contrôle

Le ministre l’admet : « Nous savons que la Justice connaît encore d’importants dysfonctionnements. » Gérald Darmanin reste néanmoins obnubilé par son besoin de s’ériger en figure de la droite, alors que les Bruno Retailleau, Edouard Philippe, Gabriel Attal et Laurent Wauquiez s’écharpent sur la question sécuritaire en vue de la prochaine échéance présidentielle. Le ministre de la Justice n’a donc pas hésité à rejeter en bloc les conclusions du rapport commandé par son prédécesseur, Didier Migaud, en novembre 2024, à des professionnels du secteur : magistrats, directeur de prison, avocate.

Rendue au mois de mars, cette enquête établit d’une « urgence » dont la nature faisait peu de doute : la surpopulation carcérale est hors de contrôle. Les auteurs du rapport intiment donc le ministère de la Justice à se pencher sur une « réduction de peine exceptionnelle » générale pour « tous » les détenus, sauf exceptions. L’entourage de Gérald Darmanin a fait savoir, samedi 10 mai, que le garde des Sceaux n’était « pas du tout favorable » à cette proposition. Au 1er avril, 82 921 détenus ont été décomptés pour 62 358 places, soit une densité carcérale globale de 133 %.

Le ministre de la Justice a d’autres plans en tête. Il souhaite instiguer une simplification à marche forcée du système. C’est ce qu’il a annoncé aux représentants syndicaux, qu’il a reçu tout au long de la semaine. L’une des mesures qui symbolise son projet politique est la réduction des plus de 200 peines inscrites dans le Code pénal à seulement quatre. Gérald Darmanin souhaite que les magistrats n’aient à disposition que la « peine d’emprisonnement (sans sursis) », la « peine de probation (incluant les travaux d’intérêts généraux et les aménagements de peine) », les « amendes » et la « peine d’interdiction ou d’obligation ».

Le garde des Sceaux signe donc la mort de la prison avec sursis, relance l’arlésienne des peines planchers – chères à son modèle et inspiration, l’ex-ministre de l’Intérieur et président de la République Nicolas Sarkozy – et ne remet pas en cause les outils permettant la multiplication des obligations de quitter le territoire (OQTF) – au centre d’une cristallisation répressive et raciste du débat politique. « Le recours aux peines de probation ou aux peines d’amende devra être privilégié mais leur violation entraînera immédiatement une incarcération, annonce le garde des Sceaux. Ces peines pourront être assorties de seuils minimaux pour garantir une réponse claire dès la première infraction, si la culpabilité est retenue, en particulier pour les actes de délinquance du quotidien, qui pourrissent la vie de nos concitoyens – vols, dégradations, rodéos sauvages… »

« Des prisons thématiques »

La critique de la surpopulation carcérale, elle, ne sera pas l’occasion d’une remise en cause systémique. « Sans revenir davantage sur la nécessaire expulsion des détenus étrangers et la mise en place des prisons de haute sécurité, nous devons engager la concertation sur la différenciation des détenus selon leur niveau de dangerosité, donc des prisons thématiques, estime Gérald Darmanin. Comme le font nos voisins européens, dont la politique a démontré la pertinence. » Dans son esprit, les condamnés pour des violences sur personnes – homicide, féminicide, terrorisme, agression sexuelle, viol, etc. – et pour narcotrafic sont prédestinés à des peines d’emprisonnement.

Conformément à ses précédentes prises de parole, le ministre de la Justice veut que les détenus participent financièrement au système carcéral. « Comme il y a un forfait hospitalier, il y avait un forfait de présence dans la prison », avait-il lancé en guise de préambule fin avril, sur le plateau du 20 heures de TF1, en référence à des frais en vigueur jusqu’en 2003. La publication de sa lettre pour les magistrats a été l’occasion d’appuyer ce point.

Gérald Darmanin souhaite ainsi que le « “réflexe saisie” doit être totalement intégré dans la formation des magistrats et dans la pratique des juridictions ». Concrètement, le ministre estime que les ventes de biens saisis « avant jugement doivent être développées » et que les juridictions doivent « bénéficier d’un retour sur investissement pour dynamiser les saisies ». Les condamnés au pénal devront, quant à eux, « rembourser à l’État les frais d’enquêtes et les frais de Justice (comme le gardiennage de leur voiture) que leur comportement délinquant et criminel a générés ».

Le garde des Sceaux lance aussi des mesures pour, à terme, modifier le quotidien du personnel judiciaire. « Je souhaite le déploiement d’un portail de solutions simples d’intelligence artificielle à destination exclusive des agents du ministère de la Justice permettant d’utiliser ces outils dans un cadre parfaitement sécurisé et souverain », a-t-il annoncé dans sa lettre. Il estime aussi que « l’anonymisation des noms des magistrats et greffiers » est une étape obligatoire pour éviter des représailles. Un programme qui demande d’accélérer les mesures déjà envisagées par le ministre de la Justice. C’est pourquoi ce dernier compte appuyer sa politique à la source : « Les écoles du ministère doivent être pleinement mobilisées pour adapter les formations initiale et continue des magistrats et fonctionnaires à ces enjeux et défis. » Encore faut-il qu’il ait les moyens de ses ambitions.

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