Matthieu Quinquis, président de l’Observatoire français des prisons : « Gérald Darmanin est très décomplexé quand il s’agit de remettre en cause des droits acquis »
Le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, a annoncé, lundi 14 avril, qu’il allait lancer en mai et en juin deux appels d’offres pour construire 3 000 places de prison grâce à des « structures modulaires » – donc des cellules préfabriquées. Le même ministre avait déjà annoncé, en janvier dernier, vouloir créer de « prisons de haute sécurité » pour les 200 trafiquants de drogue considérés comme les plus dangereux du pays. Le tout d’ici l’été 2025, alors que la construction de 15 000 nouvelles places de prison est aussi espérée par le ministère de la Justice d’ici 2027.
Une boulimie d’annonces qui symbolise la vision autoritaire et carcérale qui anime Gérald Darmanin. Avocat au Barreau de Paris et président de la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), Matthieu Quinquis revient pour l’Humanité sur les premiers mois de l’ex-ministre de l’Intérieur en tant que garde des Sceaux.
Quel regard portez-vous sur la politique de Gérald Darmanin, qui privilégie la rapidité et la répression, alors que la surpopulation carcérale ne cesse d’être dénoncée ?
Cette annonce part d’une réalité absolument incontestable : les prisons françaises connaissent une surpopulation grandissante. En revanche, l’Observatoire international des prisons reste très critique de la « solution » proposée par Gérald Darmanin. Il s’inscrit dans une logique immobilière. L’augmentation du nombre de places de prison n’a jamais permis de traiter le problème de la surpopulation carcérale. L’ouverture d’une belle place n’a jamais fait baisser les taux d’occupation. Il propose une solution d’urgence et de rapidité qui n’est pas satisfaisante : elle s’inscrit à rebours de toutes les recommandations qui peuvent être formulées sur la question de la politique pénale.
Surtout, au vu des moyens de l’administration pénitentiaire, le caractère provisoire ou temporaire du projet n’est qu’un élément de communication. Une fois qu’on aura coulé le béton pour ses places de prison, ces dernières resteront ouvertes, et ce, quelles que soient les conditions de détention qu’elles offrent effectivement aux personnes détenues comme au personnel de surveillance. Ce ministère n’en a que faire de leurs conditions de vie. Gérald Darmanin continue ainsi d’alimenter l’idée que la prison est et doit rester la punition de référence.
De la promotion de la « loi narcotrafic » à l’utilisation de formules comme « menace de sécurité intérieure » ou « éloignement systématique des étrangers sortant de prison », que symbolise, pour l’OIP, cette vision du système carcéral ?
Gérald Darmanin se targue d’être courageux, d’aller sur des terrains qu’aucun n’avait osé explorer jusqu’à présent. En réalité, il s’inscrit dans une politique sécuritaire, démagogique et, à certains égards, populiste car il tend à laisser penser que le problème principal dans les prisons est un problème de sécurité. C’est faux. Le problème principal dans les prisons françaises est un problème de respect et de dignité. Il pense son ministère comme un trait d’union avec le ministère de l’Intérieur, oubliant qu’une peine d’emprisonnement est aussi une peine qui vise à préparer la réinsertion et favoriser la lutte contre la récidive.
Il délaisse par exemple les administrations hospitalières, alors que les établissements pénitentiaires sont, pour nombre d’entre eux, des déserts médicaux absolus. Des traits d’union doivent aussi être tirés avec le ministère de l’Éducation nationale ou des services sociaux, pour permettre aux détenus d’accéder à des formations, d’acquérir des compétences qu’ils pourront faire valoir à l’extérieur. L’addiction, les ruptures familiales, la désinsertion, l’exclusion, la précarité sont des éléments qui devraient être pris en compte. Gérald Darmanin manque de courage.
Est-ce que les multiples projets annoncés par le garde des Sceaux sont réalisables en l’état ?
Je pense qu’il faut qu’on s’interroge collectivement : « Est-ce que c’est simplement souhaitable ou non ? » Le problème, c’est que Gérald Darmanin – par la manière dont il annonce ses projets et engage leur mise en œuvre – prive la société de toute discussion. Il les impose comme le fait du prince. Est-ce que toutes ses annonces sont réalisables ? Je n’en sais rien. Mais, en tout cas, il contribue à les rendre plausibles.
Surtout que les nombreuses annonces de Gérald Darmanin s’inscrivent dans un agenda très serré et qui nous emmène à la prochaine élection présidentielle…
Son objectif n’est pas de faire en sorte que les personnes détenues et que la prison réponde aux objectifs que la loi lui assigne. Son objectif est de servir son calendrier électoral et d’alimenter une atmosphère sécuritaire. On le voit bien, chaque projet se calque sur les échéances électorales. C’est extrêmement inquiétant car, déjà que la situation désastreuse de la France précède l’arrivée Gérald Darmanin, sa politique va repousser le problème sur de longues années. Et, entre-temps, il l’aura aggravé pour satisfaire ses ambitions.
A-t-on, justement, déjà atteint un tel niveau de répression judiciaire dans l’histoire récente de la justice ?
La période que l’on connaît est assez inédite. Gérald Darmanin est très décomplexé quand il s’agit de remettre en cause des droits acquis. Que ses idées, comme du reste de la droite et de l’extrême droite, puissent être exprimées sans qu’une contestation massive ne se lance montre qu’elles ont déjà infusé dans la société.
On se résout collectivement à ce que l’État restreigne nos droits et nos libertés au point de ne plus réagir. L’OIP existe depuis trente ans et on assiste – hébété – à la remise en cause d’acquis durement gagnés ; ne serait-ce que l’accès à des activités dites ludiques ou récréatives. Elles sont indispensables dans la vie quotidienne des détenus et n’existent pas seulement pour les occuper. Ce sont des espaces d’abord de liberté, qui offrent une respiration dans une vie carcérale étouffante.
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