Guerre en Ukraine : ce que l'on sait du plan de paix encadré par les Etats-Unis et rejeté par Volodymyr Zelensky
"Nous sommes très proches d'un accord, mais l'homme qui n'a 'plus aucune carte à jouer' doit maintenant, enfin, AGIR." Dans ce message furieux publié mercredi 23 avril sur son réseau Truth Social, Donald Trump vise frontalement Volodymyr Zelensky, l'accusant d'entraver un accord de paix "quasiment conclu" avec Moscou. Le président américain dénonce notamment des positions "incendiaires" de son homologue ukrainien sur la Crimée et l'accuse de prolonger inutilement la guerre.
La tension est encore montée d'un cran après que Kiev a refusé une proposition portée par les émissaires américains. Alors que Moscou avance lentement dans l'Est et que Kiev réclame un cessez-le-feu total avant toute négociation directe, les pressions s'intensifient autour de l'Ukraine. Dans la nuit de mercredi à jeudi, la capitale ukrainienne a été ciblée par une attaque massive de drones et de missiles, l'une des plus violentes depuis le début de la guerre.
Dans ce contexte explosif, des éléments du plan élaboré sous l'égide des Etats-Unis circulent depuis plusieurs jours dans la presse américaine. Gel des lignes de front, cristallisation autour de la Crimée, accord jugé trop favorable à la Russie... Franceinfo vous résume les enjeux du compromis que Washington a tenté d'imposer, sans succès.
Un gel des lignes de front présenté comme "un cessez-le-feu réaliste"
Le gel des lignes de front est l'un des principaux leviers du plan de paix porté par les émissaires américains. Ce scénario, qui revient à figer la guerre sur ses positions actuelles, est au cœur des tractations menées en coulisses entre Washington, Moscou et Kiev. Selon The Guardian, le président russe, Vladimir Poutine, se serait montré prêt à entériner le statu quo militaire, à condition d'obtenir des concessions majeures de la part des Etats-Unis, parmi lesquelles l'allègement des sanctions américaines ou l'abandon de toute perspective d'adhésion de l'Ukraine à l'Otan.
Dans les détails révélés par plusieurs médias anglo-saxons, le plan soutenu par Washington envisage une cartographie figée du conflit, calquée sur les lignes de front actuelles, alors que la Russie contrôle actuellement près de 20% des territoires ukrainiens. Selon le Financial Times, la Russie a laissé entendre qu'elle pourrait renoncer à ses ambitions sur certaines zones encore sous contrôle ukrainien dans quatre régions contestées que sont Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijjia, à plusieurs conditions, parmi lesquelles celle que le reste des territoires occupés par la Russie soient reconnus de facto comme étant sous contrôle russe.
Le vice-président américain, J.D. Vance, a confirmé cette approche mercredi, évoquant une stabilisation des "frontières territoriales à un niveau proche de leur niveau actuel". Il a reconnu que cela impliquerait "que les Ukrainiens et les Russes vont devoir céder une partie du territoire qu'ils possèdent actuellement". La proposition est jugée inacceptable par Kiev, qui considère que ces compromis sur l'intégrité de son territoire ouvriraient la voie à d'autres agressions. Mais pour Donald Trump, ce gel du front représente un compromis pragmatique et un éventuel succès diplomatique sur lequel capitaliser.
Washington prêt à entériner l'annexion de la Crimée
Au cœur des tensions diplomatiques, la Crimée cristallise les désaccords. Plusieurs sources européennes citées par le New York Times affirment que le plan de paix discuté inclut notamment une reconnaissance par les Etats-Unis de l'annexion de la péninsule par Moscou en 2014. Une perspective explosive, tant elle marquerait une rupture historique avec la position tenue jusqu'ici par Washington, toutes administrations confondues. En 2018, le secrétaire d'Etat Mike Pompeo avait rappelé qu'"aucun pays ne p[ouvai]t modifier les frontières d'un autre par la force", souligne The Wall Street Journal.
Sept ans plus tard, le ton a changé. Le président américain a déclaré que "la Crimée a été perdue il y a des années" et que sa restitution "n'est même pas sujette à discussion". Tout en assurant sur Truth Social ne pas exiger de Volodymyr Zelensky une reconnaissance formelle, Donald Trump sous-entend que Washington pourrait l'assumer à sa place, une pression qui heurte frontalement la position ukrainienne.
"Il n'y a rien à discuter. C'est contre notre Constitution. C'est notre territoire", a tranché mardi Volodymyr Zelensky auprès de journalistes ukrainiens, dénonçant une atteinte à la souveraineté nationale. Pour le chercheur Matthew Savill, cité par The Guardian, une telle reconnaissance américaine équivaudrait à "soutenir activement la position russe" contre celle de Kiev. D'après son analyse, derrière l'enjeu de la Crimée, c'est toute la crédibilité du droit international qui vacille.
Une proposition de cessez-le-feu jugée favorable à Moscou
Selon ses promoteurs américains, parmi lesquels le vice-président J.D. Vance et le secrétaire d'Etat Marco Rubio, l'accord visant à encadrer le cessez-le-feu serait la clé d'une paix durable. Mais à mesure que les détails émergent, le plan soulève de nombreuses critiques. Derrière le vernis diplomatique, nombre d'observateurs y voient une feuille de route dangereusement biaisée, taillée sur mesure pour ménager Moscou, quitte à sacrifier les intérêts de Kiev.
L'Ukraine serait contrainte de renoncer à toute reconquête militaire de ses territoires occupés, pendant que la Russie, bien que priée de cesser son avancée, conserverait ses positions actuelles. Le plan évoqué par The Guardian et Axios mentionne aussi le fait que la centrale nucléaire de Zaporijjia, territoire ukrainien sous occupation russe, serait considérée comme un territoire ukrainien mais exploitée par les Etats-Unis, et distribuerait son électricité à la fois à l'Ukraine et à la Russie.
Le New York Times souligne que Washington semble prêt à "forcer l'Ukraine à accepter la redéfinition forcée de sa frontière", tout en fermant définitivement la porte à une éventuelle adhésion de l'Ukraine à l'Otan. La proposition américaine consacre de fait un statu quo militaire, tout en privant Kiev de ses leviers de souveraineté. Pire encore, selon The Atlantic, cette feuille de route pourrait affaiblir durablement Kiev, ouvrant la voie à une reprise des offensives russes une fois les forces réorganisées. "Ce qui restera de l'Etat ukrainien", avertit la revue, "deviendra une cible facile pour le Kremlin".
Les Etats-Unis menacent de se retirer des négociations si aucun accord n'est trouvé
Depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump imprime une nouvelle cadence aux négociations de paix entre l'Ukraine et la Russie, plaçant Kiev sous une pression inédite. Ce plan de cessez-le-feu défendu par Washington ravive les tensions entre les deux pays, près de deux mois après une altercation historique dans le Bureau ovale. "Il peut avoir la paix ou il peut se battre encore trois ans avant de perdre tout le pays", a menacé le président américain sur Truth Social, visant directement Volodymyr Zelensky. Désormais, les Etats-Unis ne se posent plus en soutien inconditionnel. Selon le New York Times, Donald Trump a menacé de retirer son pays du processus si les conditions américaines n'étaient pas acceptées.
Mais c'est surtout à l'Ukraine que cet avertissement s'adresse. "Nous avons fait une proposition très explicite aux Russes et aux Ukrainiens, et il est temps pour eux d'accepter", a insisté le vice-président, J.D. Vance. "Le président [Donald Trump] est très mécontent. Sa patience atteint ses limites", a renchéri sa porte-parole, Karoline Leavitt, citée par l'AFP. Alors que les discussions tripartites se poursuivent jeudi à Londres, le message venu de Washington est clair : l'Ukraine doit accepter les termes d'une paix que beaucoup qualifient de défavorable, ou perdre le soutien des Etats-Unis, déjà fortement mis à mal depuis l'élection de Donald Trump.