Offensive militaire israélienne en Iran : quels sont les objectifs du gouvernement de Benyamin Nétanyahou ?

Jusqu'où peut aller Israël ? Depuis vendredi 13 juin, l'armée israélienne a lancé des opérations de grande ampleur contre l'Iran. Les bombardements ont fait au moins 224 morts et plus d'un millier de blessés en Iran, selon un bilan officiel du ministère iranien de la Santé. De son côté, avec une force de frappe plus limitée, Téhéran a riposté par des salves de missiles et de drones qui ont causé la mort d'au moins 24 personnes en Israël, selon le cabinet du Premier ministre israélien.

Cette nouvelle escalade militaire fait peser des risques pour la stabilité de la région et pour l'économie mondiale, d'autant que l'incertitude demeure sur la suite de ce conflit. En plus de la volonté affichée du gouvernement israélien de contrer le programme nucléaire iranien, Israël pourrait également souhaiter mettre fin au régime des mollahs en Iran.

L'affaiblissement de l'armée iranienne

En quelques jours de bombardements, Israël a déjà affecté les capacités militaires de Téhéran. L'armée israélienne a affirmé lundi avoir détruit "plus de 120" lanceurs de missiles sol-sol iraniens. "Cela représente un tiers des lanceurs de missiles sol-sol que possède le régime iranien", a déclaré le porte-parole de l'armée, le général Effie Defrin.

Israël annonce aussi avoir éliminé plusieurs responsables militaires et la plupart des dirigeants de la force aérospatiale des Gardiens de la Révolution, l'armée idéologique de la République islamique. Mais "les hauts militaires éliminés par Israël sont interchangeables", prévient la sociologue franco-iranienne Azadeh Kian sur franceinfo. "On ne peut pas dire qu'ils sont maintenant dépourvus de leur capacité militaire et nucléaire."

Mardi matin, Tsahal a encore déclaré avoir tué le commandant militaire Ali Shadmani, présenté comme très proche de l'ayatollah Ali Khamenei, dans une frappe nocturne. L'armée israélienne a aussi affirmé avoir détruit dans la nuit de lundi à mardi "des dizaines d'infrastructures de stockage et de lancement de missiles sol-sol" et "des lanceurs de missiles sol-air et des sites de stockage de drones" lors de "plusieurs frappes de grande envergure" dans l'ouest de l'Iran.

La fin du programme nucléaire

Il s'agit du principal objectif affiché par Israël. "Notre opération a pour but de débarrasser Israël, le Moyen-Orient et le monde de la menace nucléaire iranienne", a déclaré l'ambassadeur d'Israël en France, Joshua Zarka, sur franceinfo. L'Etat hébreu affirme disposer de renseignements qui prouvent que Téhéran s'approchait d'un "point de non-retour" dans la conception d'une arme atomique. L'armée israélienne a donc visé un certain nombre d'installations du programme nucléaire iranien, ainsi que plusieurs scientifiques de premier plan impliqués dans le programme de recherche.

Pour autant, le gouvernement israélien est encore loin d'avoir anéanti toute menace. "Israël peut endommager le programme nucléaire iranien, mais il est peu probable qu'il puisse le détruire", commente le chercheur Ali Vaez, de l'International Crisis Group, un cercle de réflexion américain, interrogé par l'AFP. Le pays ne dispose pas des puissantes bombes nécessaires "pour réduire à néant les installations fortifiées de Natanz et Fordo", enterrées à de grandes profondeurs. "Les Israéliens ne peuvent pas le faire tout seul", confirme le général Dominique Trinquand sur Sud Radio. "Ils ont besoin de bombes qui vont dans la profondeur et seuls les Américains les ont."

Par ailleurs, aucune bombe ne détruira le savoir accumulé par l'Iran et il reste une interrogation sur les stocks d'uranium enrichi. "Si l'Iran parvient à en transférer une partie vers des installations secrètes, Israël aura perdu la partie", souligne Ali Vaez. En revanche, la situation pourrait amener le régime iranien à de nouvelles discussions sur la suspension de l'enrichissement de l'uranium.

"Aujourd'hui, ce que les Américains et peut-être les Israéliens sont en train de dire aux Iraniens, c'est que si le régime veut survivre, il faut renoncer à l'arme atomique."

Dominique Moïsi, géopolitologue

sur franceinfo

Les Etats-Unis "espèrent" toujours poursuivre les négociations, a déclaré un responsable américain samedi, mais il va falloir convaincre désormais les autres parties. "Il est tout à fait clair que le régime israélien ne veut aucun accord sur la question nucléaire. Il ne veut pas de négociations..." a ainsi estimé dimanche le ministre iranien des Affaires étrangères.

La potentielle chute du régime

Le géopolitologue Dominique Moïsi se demande si, vu d'Israël, "il ne paraît pas plus facile de changer le régime plutôt que de détruire complètement le potentiel nucléaire".

Dans un entretien à Fox News, Benyamin Nétanyahou a laissé entendre qu'un changement de régime pourrait effectivement être un des objectifs des frappes israéliennes. "Cela pourrait certainement être le résultat, compte tenu de la faiblesse du régime iranien", a déclaré le Premier ministre israélien, estimant que "80% de la population" iranienne était opposée au pouvoir actuel.

Pour Armin Arefi, journaliste au Point, le régime iranien "n'est pas sur le point de tomber". Pour renverser un pouvoir établi, "il faut des forces sur le terrain", estime ce spécialiste du Moyen-Orient sur franceinfo. "Et pour l'instant, la population semble prise entre deux feux, entre sa détestation du régime, mais également la peur et la crainte des bombardements."

"On ne voit pas de manifestations dans la rue contre le régime. Les Iraniens sont apeurés, beaucoup d'entre eux en tout cas essayent de fuir vers le nord du pays."

Armin Arefi, journaliste au "Point"

sur franceinfo

"Il est possible qu'Israël ait un plan en soutenant un coup d'Etat interne ou en continuant à tuer les plus hauts dirigeants en espérant que cela aboutira à un changement de régime", confie Arash Azizi, chercheur à la Boston University, à l'AFP. Depuis cinq jours, la liste des tués s'allonge parmi les hauts gradés. Tsahal a notamment éliminé le chef des Gardiens de la Révolution, Hossein Salami, et le chef d'état-major de l'armée, Mohammad Bagheri. Les observateurs se demandent désormais si l'ayatollah Khamenei, à la tête de l'Iran depuis 1989, est le prochain sur la liste. Le Guide suprême "n'est pas intouchable", a prévenu samedi un haut responsable israélien dans The Wall Street Journal.

Mais pour Dominique Moïsi, ce scénario présente un "risque". "Qu'est-ce qu'il va se passer après ? Imaginons que le régime des mollahs tombe, qui va lui succéder ? Est-ce que ce sera un régime démocratique ? C'est quand même une grande illusion. Il y a un risque que le chaos succède aux mollahs", remarque-t-il. Personne n'a oublié les précédents de l'Afghanistan en 2001, de l'Irak en 2003 ou encore de la Libye en 2011.

Un répit politique en Israël

Avec ces frappes en Iran, Benyamin Nétanyahou enfile une nouvelle fois sa tenue de chef de guerre. Cela lui évite de passer trop de temps sur les problèmes de politique intérieure, alors que des manifestations sont régulièrement organisées et que les tensions restent vives au sein de sa coalition. "Tant que la transformation d'Israël en dictature de fait se poursuit sous couvert de guerre, nous devons continuer à œuvrer pour remplacer le gouvernement et son chef. Oui, même en temps de guerre", réclamait le journal Haaretz dans un éditorial publié lundi. Mais sur le dossier iranien, les opposants à Benyamin Nétanyahou partagent sa volonté de mettre fin à toute menace.

"La dramatisation du dossier iranien sert incontestablement Nétanyahou sur le front intérieur et elle éclipse, en effet, la question palestinienne sur la scène internationale", écrivait l'historien Jean-Pierre Filiu, dans Main basse sur Israël, une biographie du Premier ministre israélien publiée en 2019. "Sur la question de Gaza, Israël est totalement isolé de la communauté internationale qui ne comprend pas cette riposte disproportionnée et inhumaine, rappelle Dominique Moïsi. Sur la question de l'Iran, non seulement Israël n'est pas isolé, mais vous avez même le président de la République, en France, qui laisse entendre que notre pays pourrait être aux côtés d'Israël."