Stock d'uranium enrichi, usines dédiées, non-respect des inspections... Où en est le programme nucléaire iranien, proche du "point de non-retour", selon Israël ?
Nom de l'opération : "Rising Lion". L'armée israélienne a fait décoller "200 avions de combat" pour mener des raids aériens en Iran, tôt vendredi 13 juin. Parmi la centaine de cibles, figurent des installations militaires et nucléaires, dont l'important site d'enrichissement d'uranium de Natanz, dans la province centrale d'Ispahan. "Nous n'avons pas d'autre choix que d'agir et d'agir maintenant", a déclaré le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, qui s'est félicité de ces bombardements.
Pour justifier ses raids, l'Etat hébreu affirme disposer de renseignements qui prouvent que Téhéran s'approchait du "point de non-retour" vers la bombe atomique, "pesant" ainsi "sur la survie même d'Israël".
L'Iran a en effet fortement accru son programme d'enrichissement d'uranium ces dernières années. Officiellement, le sujet est toujours à l'ordre du jour d'un nouveau round de négociations avec les Etats-Unis, prévues dimanche. Capacités réelles, nombre de sites... Voici ce que l'on sait concrètement du niveau d'avancement du nucléaire iranien.
Une dizaine de sites connus à portée nucléaire
L'Iran dispose déjà d'un vaste réseau d'installations, réparties sur l'ensemble de son territoire. Il y a d'abord la centrale nucléaire de Bouchehr, la seule opérationnelle du pays. Construite avec l'aide de la Russie, sur la côte sud, elle alimente le réseau électrique iranien depuis 2011.
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L'Iran possède également deux usines d'enrichissement d'uranium. Celle de Natanz, dans le centre du pays, compte deux bâtiments, l'un souterrain, l'autre en surface, pour un total de près de 70 cascades de centrifugeuses. L'installation, dont l'existence a été révélée en 2022, a d'ailleurs été visée et touchée vendredi par les frappes israéliennes. "L'attaque a endommagé la zone souterraine du site, qui comprend une salle d'enrichissement à plusieurs étages, des salles électriques et d'autres infrastructures de soutien essentielles, détaille l'armée israélienne dans son communiqué. Des infrastructures critiques permettant le fonctionnement continu du site et les efforts du régime iranien pour obtenir l'arme nucléaire ont également été visées."
La seconde usine d'enrichissement d'uranium a été construite 150 km plus au nord, à Fordo. Après l'avoir présentée comme un "site de secours" dans une zone montagneuse, près d'une base militaire, afin de se protéger d'une attaque aérienne, Téhéran a fini par admettre que cette installation souterraine pouvait accueillir 3 000 centrifugeuses. C'est là-bas qu'avaient été détectées, début 2023, des particules d'uranium enrichies à 83,7%. L'Iran avait alors invoqué des "fluctuations involontaires" au cours du processus d'enrichissement.
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On trouve aussi dans le pays plusieurs sites de conversion d'uranium et de recherche. Le principal est situé à Ispahan, dans le centre du pays. Il permet de transformer du "yellowcake", de la poudre de minerai d'uranium concentré extrait des mines du désert iranien, en tétrafluorure puis en hexafluorure d'uranium (UF4 et UF6). Ces gaz sont ensuite introduits dans des centrifugeuses pour produire de l'uranium enrichi.
Toujours à Ispahan, un laboratoire inauguré en avril 2009 produit du combustible faiblement enrichi, destiné à d'éventuelles centrales. A cette liste, il faudrait ausi ajouter "le centre de recherche nucléaire de Téhéran", "pour la conversion spécifiquement", précise Benjamin Hautecouverture, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).
Enfin, l'Iran dispose de deux mines d'uranium principales : celle de Gachin, dans la province du Hormozgan, dans le sud du pays ; et celle de Sagand, dans le grand désert salé de Dasht-e Kavir.
Plusieurs centrales en construction
Une centrale de 300 mégawatts (MW) est en train d'être construite dans le district de Darkhovin. Le chantier, entamé fin 2022, est prévu pour durer sept ans, soit jusqu'en 2029. D'autres travaux sont en cours, à Sirik cette fois, sur le détroit d'Ormuz, où un nouveau complexe composé de quatre centrales individuelles d'une capacité de production combinée de 5 000 MW doit sortir de terre. Il y a quelques mois, l'Iran a aussi annoncé les premiers coups de pelleteuse en vue d'un nouveau réacteur de recherche à Ispahan.
En revanche, le réacteur à eau lourde d'Arak, à quelques centaines de kilomètres au sud-est de Téhéran, n'a pas encore ouvert ses portes. Les travaux, qui ont été lancés dans les années 2000, ont été arrêtés à la suite des engagements pris dans le cadre de l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien. Le texte, signé en 2015, prévoyait la reconfiguration du site pour limiter les risques de prolifération. Le cœur a ainsi été retiré du réacteur et du béton y a été coulé, afin de le rendre inopérant. Le complexe, intialement destiné à produire du plutonium à des fins de recherche médicale, a même changé de nom. Il s'appelle désormais Khondab, et devrait être mis en service en 2026, d'après les informations communiquées par l'Iran à l'AIEA. Le site compte aussi une usine de production d'eau lourde, utilisée dans la fabrication possible de plutonium.
Près d'une tonne de stock d'uranium enrichi
Téhéran dispose déjà d'un stock total d'uranium enrichi de 9247,6 kg, selon le dernier rapport de l'Agence internationale de l'énergie atomique, rendu public mi-mai. C'est 45 fois la limite autorisée par l'accord de Vienne.
Surtout, parmi ces réserves de matière enrichie, 408,6 kg l'étaient à 60%. Inquiétant, car le seuil nécessaire pour fabriquer une bombe atomatique est de 90%. Inquiétant, aussi, car le passage de 60 à 90% se fait beaucoup plus rapidement que celui de 30 à 60%, confirme le chercheur Benjamin Hautecouverture. "Le palier le plus complexe est celui des 20%, explique le spécialiste. En outre, l'uranium n'a pas à être enrichi à 90% pour être fissile. Il l'est dès 80%, voire moins."
Téhéran assure se limiter à de l'usage civil
Les autorités iraniennes nient vouloir se doter de l'arme atomique. Elles affirment que ces installations servent exclusivement à des fins pacifiques, notamment pour la production d'énergie et la recherche scientifique. Mais de nombreux pays soupçonnent l'existence d'un programme militaire clandestin. C'est ce flou qui alimente les tensions internationales depuis plusieurs décennies.
Ces derniers mois, l'Iran n'a eu de cesse de s'affranchir des engagements pris dans le cadre de l'accord de Vienne. A commencer par les vérifications qui sont censées être menées régulièrement sur ses sites par l'AIEA. "Les inspecteurs n’on pas accès à tout : l'Iran n'applique plus le protocole additionnel à son accord de garanties, a refusé des inspecteurs expérimentés de l'agence, refuse depuis plusieurs années de fournir les enregistrements de certaines caméras sur site. L'AIEA est partiellement aveugle depuis 2022", constate Benjamin Hautecouverture.
Dans l'un de ses derniers rapports, paru le 2 juin, l'Agence internationale de l'énergie atomique regrette en effet de ne plus pouvoir "assurer la continuité de ses connaissances en ce qui concerne la production et le stock actuel de centrifugeuses, de rotors et de soufflets, d'eau lourde et de concentré d'uranium". "Elle ne sera pas en mesure de rétablir cette continuité étant donné qu'elle n'a pas pu effectuer les activités de vérification et de contrôle (...) depuis plus de quatre ans".
Des négociations en cours, mais remises en cause après les frappes israéliennes ?
Hasard du calendrier, l'Iran et les Etats-Unis doivent mener à partir de dimanche un nouveau cycle de négociations sur le nucléaire. La question de l'enrichissement de la matière fissile, que l'Iran a accéléré ces derniers mois, sera au cœur des discussions. Interrogé sur la chaîne américaine NBC, mi-mai, Ali Shamkhani, conseiller militaire et nucléaire du guide suprême iranien, préférait prévenir, en érigeant une ligne rouge : "C'est un point sur lequel l'Iran ne cédera pas. Il n'y a pas de compromis possible".
Pour autant, la porte ne semblait pas totalement fermée à un nouvel accord avec les Etats-Unis. Lors de cette interview, il a laissé entendre que son pays pourrait s'engager à "ne jamais développer l'arme nucléaire", à se débarrasser "des stocks d'uranium hautement enrichi", à une condition : la levée "immédiate" de toutes les sanctions économiques imposées à la République islamique. C'était avant les frappes israéliennes de vendredi, qui ont "évidemment" changé la donne. "Encore faut-il que les négociations se tiennent dans ce contexte", relève Benjamin Hautecouverture.