INTERVIEW. Guerre en Ukraine : "La boussole de Donald Trump, c'est vraiment le mercantilisme", analyse le géopolitologue Frederic Encel
Un cessez-le-feu dans les prochains jours entre l'Ukraine et la Russie est-il envisageable ? Le président des États-Unis Donald Trump a assuré, dans la soirée du mercredi 19 mars, avoir eu une "très bonne" conversation téléphonique avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky, estimant que les discussions sur l'Ukraine étaient "sur la bonne voie" au lendemain de son appel avec Vladimir Poutine, mais sans s'avancer sur le fond des pourparlers concernant un cessez-le-feu.
Le sentiment est partagé par Volodymyr Zelensky qui évoque une conversation "positive" et "franche". Le président américain a aussi suggéré lors de cet appel avec son homologue ukrainien, que les Etats-Unis prennent "possession" des centrales électriques ukrainiennes, affirmant que cela "constituerait la meilleure protection et le meilleur soutien possible". "Donald Trump a obtenu ce qu'il voulait, c’est-à-dire des garanties pour que lorsqu'un dollar a été dépensé ces trois dernières années, il en reçoive plusieurs", estime Frédéric Encel, docteur en géopolitique, maître de conférences à Science Po Paris.
franceinfo : Comment expliquer ces avancées dans les discussions entre Donald Trump et Volodomyr Zelensky ?
Frédéric Encel : À partir du moment où Volodomyr Zelensky accepte, bon an mal an, les conditions où la quasi-totalité des conditions posées de manière beaucoup plus sévère, sinon vulgaire, dans le bureau ovale de la Maison-Blanche par Donald Trump ; pourquoi ça se passerait mal ? Et le problème, c'est qu'on est face à un schéma de presque capitulation forcée en quelque sorte. Une capitulation qui n'est pas évidemment sur l'ensemble du pays, parce que, a priori, le futur cessez-le-feu n'imposera pas à Volodomyr Zelensky de désarmer l'Ukraine comme l'exige Vladimir Poutine. C'est à peu près certain.
"Donald Trump a obtenu ce qu'il voulait, c’est-à-dire des garanties pour que lorsqu'un dollar a été dépensé ces trois dernières années, il en reçoive plusieurs."
Frédéric Encel, géopolitologuesur franceinfo
Vous avez le sentiment qu'on progresse tout de même vers le cessez-le-feu ou qu'on en est encore loin ?
Bien sûr, on progresse très vite mais pour des raisons qui ne sont pas liées au retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. En réalité, aucun des deux belligérants n'a depuis deux ans et demi la capacité à la fois humaine et militaire de percer de manière décisive le front. On arrive de toute façon à quelque chose qui ressemble à un front gelé, ou en tout cas presque gelé. Et là, on va aller un peu plus loin et de toute façon, ce front gelé sera en quelque sorte encadré. Il sera établi par un véritable cessez-le-feu et qui sera forcément fragile, parce qu'un cessez-le-feu, ce n'est qu'un acte militaire, ce n'est pas un traité de paix.
Donald Trump est-il en train de se rendre compte que la tâche risque d'être quand même plus compliquée vu les divergences entre Zelensky et Poutine ?
C'est vrai mais, en même temps, personne ne parle de traité de paix. On évoque, entre-guillemets et c'est déjà beaucoup, seulement un cessez-le-feu. J'ai presque envie de vous dire que c'est un faux paradoxe. On a des chefs d'État, notamment de la première puissance, qui consacrent une énergie très importante à ce qui d'habitude correspond plutôt à la réalité d'officiers supérieurs ou de ministre de la Défense.
Est-ce que vous avez tout de même le sentiment que Volodymyr Zelensky a marqué des points ?
Au moins un car à partir du moment où Donald Trump n'envisage plus la fin complète de l'intégralité des aides, et notamment en termes de renseignements. Là, Volodomyr Zelensky marque un point. De toute façon, quand Donald Trump laisse des systèmes et des services de renseignement, il ne dépense pas grand-chose. La boussole de Trump, c'est vraiment le mercantilisme.
Pourquoi les États-Unis proposent d'ailleurs de prendre possession des centrales nucléaires électriques ukrainiennes ?
L'idée derrière la tête du président américain, ce sont les dollars. On est sur un investissement de type finalement troc quelque part. Donald Trump veut investir dans une économie, qui pour l'instant n'est pas forcément très solvable, mais dont il espère qu'elle le sera grâce aux aides des Européens. Son but est de récupérer un certain nombre "de billes" qu'il considère avoir sacrifié en Ukraine. Cela passe par des centrales nucléaires, par des installations hydroélectriques ou par beaucoup d'autres choses comme les fameuses terres rares. Mais de toute façon, Donald Trump considère par ailleurs pouvoir faire passer la pilule, en quelque sorte, à Volodomyr Zelensky. Car, si des centaines ou des milliers de techniciens de civil américains se situent sur ces sites, il est très invraisemblable que Vladimir Poutine prenne le risque de frapper ces sites dans les prochaines années.