Guerre en Ukraine : "On est à un tournant du conflit", déclare le géopolitologue Thomas Friang après la rencontre entre Trump, Zelensky et les chefs d'État européens

Quelques jours après le sommet en Alaska entre le président américain et Vladimir Poutine, la rencontre entre Donald Trump, Volodymyr Zelensky et ses alliés européens a permis de faire avancer les négociations vers la fin de la guerre en Ukraine. Une rencontre entre Poutine et Zelensky est probable, peut-être dans les deux semaines à venir. Thomas Friang, directeur exécutif de l'Institut géopolitique et business de l'ESSEC, a été interrogé sur le sujet par Nathalie Layani et Aude Soufi-Burridge dans le "10 minutes info" diffusé sur le canal 16.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.


Nathalie Layani : Est-ce que vous pensez, comme Emmanuel Macron, qui reste malgré tout sceptique sur la volonté sincère de paix de Poutine, que cette réunion, je cite "marquera de manière certaine l'évolution de ce conflit" ?

Thomas Friang : Bien sûr, on est à un tournant extrêmement important du conflit, un tournant qui peut porter ses fruits. Et d'ailleurs là, il faut être attentif parce qu'on est passé d'une logique d'un cessez-le-feu préalable à la négociation d'un accord de paix, pour pouvoir tester la volonté de la Russie de mettre un terme aux hostilités, d'être capable de démontrer sa bonne volonté, à une négociation qui porte directement sur un accord de paix. On est aussi rentré dans le dur, dans le dur de ce qui pourrait constituer les éléments de cet accord de paix avec au fond deux grandes variables dans l'équation : la question des territoires avec la Russie qui réclame plus qu'elle n'a même annexé et la question des garanties de sécurité accordées à l'Ukraine. Avec là un bougé, Trump qui s'est montré beaucoup plus allant qu'il ne l'a jamais été. Mais évidemment la Russie qui réaffirme et qui maintient sa position avec une certaine constance qui n'est pas question de voir des troupes de pays membres de l'OTAN s'approcher de l'Ukraine.

Est-ce que c'est une accélération parce que Trump se précipite, parce qu'on voit qu'il est dans une sorte de campagne personnelle pour obtenir une forme de prix nouvelle de la paix ? Ou est-ce qu'il est dans une vraie accélération parce qu'il sent une fenêtre de négociation pour réellement mettre un terme à ce conflit ? On le saura dans les deux semaines qui viennent, mais on voit en effet qu'il y a une vraie forme d'accélération.

Il a été question hier des garanties de sécurité justement et en effet avec des avancées de la part de Donald Trump. L'idée c'est qu'en gros l'Ukraine soit protégée comme si elle était membre de l'OTAN sans être membre de l'OTAN. Comment ça peut fonctionner ?

Il est vraiment important de rappeler que cette notion de garantie de sécurité est littéralement vitale dans toute forme d'accord avec la Russie. Il ne peut pas y avoir d'accord avec la Russie sans cet élément-là. Pour une raison élémentaire, c'est que la Russie a trahi systématiquement tous les accords diplomatiques qu'elle a passés avec l'Europe et singulièrement avec l'Ukraine. On pense notamment aux accords de Minsk, mais ça remonte à plus loin, les mémorandums de Budapest, tous les engagements qui ont été pris au moment de l'indépendance de l'Ukraine en 1991.

Ce qu'il y a derrière cette notion de garantie de sécurité, on pourrait l'imaginer comme uniquement liée... à l'enjeu de la sécurité d'Ukraine, en réalité, il faut le voir de façon plus large, comme un enjeu de sécurité pour l'Europe entière, puisqu'on peut considérer assez naturellement que Kiev représente la première ligne de défense, face à une Russie surarmée, agressive. C'est réellement un élément fondamental qui porte en son cœur le soutien à l'armée ukrainienne elle-même, là où Vladimir Poutine cherche à obtenir et à porter l'idée d'une démilitarisation d'Ukraine. Il ne s'agit en aucun cas de réduire les forces ukrainiennes, bien au contraire, de continuer à les alimenter en renseignement militaire, bien entendu, mais aussi à les approvisionner en armement. Et on voit que le président Zelensky s'est donné les moyens d'acheter par lui-même des armements en ce sens.

Et puis il y a un deuxième élément qui est ce qu'on appelle les forces de réassurance. Et là il y a deux rideaux, il y a le rideau de la coalition des volontaires, c'est à dire des forces européennes, mais aussi australienne, japonaise, canadienne, pour l'essentiel mais aussi qui serait capable de surveiller une ligne de cessez-le-feu pour avoir un accord de paix. Il y aura une première ligne chargée de surveiller cette ligne de contact. Et en deuxième rideau, une ligne américaine qui, à minima, doit pouvoir apporter du renseignement militaire et faciliter la coordination de cette coalition des volontaires et la coordination extrêmement importante, puisque c'est ça qui permet l'efficacité d'opérations interarmées et interarmes et interalliées dans ce genre de contexte. Et là, c'est là où la variable est très importante, puisque Trump a franchi le rubicon en disant que les Américains étaient prêts à s'engager dans cette logique de deuxième rideau. La question c'est jusqu'où ça va aller. Ça n'ira pas jusqu'à a priori jusqu'à un soutien "type article 5", puisque Trump l'a rappelé à plusieurs reprises n'est pas pour une adhésion de l'Ukraine à l'OTAN et ni une forme de garantie de sécurité type article 5. Néanmoins, on peut chercher à comprendre jusqu'où ça peut aller. Est-ce que ça peut aller jusqu'à du soutien américain aérien pour permettre à l'Ukraine de préserver son espace aérien.

Jusqu'où peut aller Zelensky dans ces concessions territoriales ?

N'étant pas en mesure de réinverser la logique du rapport de force sur le plan militaire, l'élément de négociation qu'il a, c'est en effet la concession territoriale. C'est triste à dire, mais c'est la réalité qui s'impose à lui. D'ailleurs, il en était tout à fait conscient. Ça fait plusieurs années maintenant qu'il dit qu'il faudra qu'on soit en mesure de céder du terrain. Là où ça devient extrêmement compliqué, c'est qu'il va falloir trouver l'emballage politique et juridique pour faire ça. L'emballage juridique parce que tout le monde, et dans la coalition des volontaires, rappelle que on est contre le fait de modifier les frontières reconnus cédée par la force. On est contre le fait de modifier les frontières reconnues au plan international par la force. Or, réaliser une concession territoriale, ça revient à accepter le fait de pouvoir modifier les frontières par la force. Donc, il va falloir trouver une formule pour amener ça. Et il semblerait que ça puisse être l'idée d'un territoire perdu et donc gelé, sur lequel il ne renonce pas à sa souveraineté, mais reconnaît que, de facto, ce terrain est occupé. Ce qui est à peu près l'existent, en réalité. Sauf qu'il s'agirait peut-être de le formaliser oralement, politiquement, dans cette action.

Ce tête-à-tête annoncé entre Poutine et Zelensky, vous l'imaginez comment ?

Il faudra trouver le lieu, un lieu qui assure le président de ne pas être mis au faire, puisqu'il est sous mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale. Ça limite bon nombre d'endroits, puisque ce sera de nouveau l'Alaska. On peut imaginer que le président Trump fera tout pour ramener ça sur son terrain, puisqu'on voit bien qu'il est dans une quête presque narcissique, assez personnelle. de pouvoir se créditer lui-même d'avoir mis un terme à ce conflit-là, dont pour lui, l'origine est la politique de Biden. Donc en fait, il en fait presque plus un sujet de politique intérieure que de politique extérieure. Et on peut imaginer que pour faciliter les choses, y compris parce que les États-Unis ne sont pas membres de la CPI, ça se passe à nouveau en terrain américain.