Procès de Tokyo : à deux doigts de la catastrophe télévisuelle

On aurait bien aimé dire d’emblée plus de bien de ce documentaire centré sur le tribunal militaire pour le Moyen-Orient, qui a jugé les crimes de guerre du Japon commis durant la Seconde guerre mondiale. Mais le film que nous avons vu initialement, mis à disposition des journalistes en avance par France Télévisions pour qu’ils puissent en faire la critique, était une copie de travail qui datait du mois de juin, selon l’historien Jean-Yves Le Naour, qui en a écrit le texte.

Certes, il était présenté ainsi et nous avions relevé de graves insuffisances qui nous ont alertées, et motivé à demander des éclaircissements au service public. Mais lorsque nous avons dû mettre sous presse lundi soir, nous n’en avions pas eu et la version définitive n’était toujours pas disponible.

La forme en était tellement problématique qu’elle entraînait des problèmes de fond. Le premier étant que le téléspectateur risquait bien de ne pas aller au bout, tellement il était difficile de subir les deux voix off robotiques générées par intelligence artificielle : elles écorchaient des mots, butaient sur les dates, massacraient noms de villes et de personnages historiques… Quant aux sous-titres, ils étaient très approximatifs en ce qui concerne l’anglais.

Version inachevée

Il y avait pire. Le film faisait dire à l’avocat d’Ideki Tojo, premier ministre et ministre de la guerre du Japon de 1941 à 1944, que « ce n’est pas lui qui a attaqué le Japon, mais le contraire. » On imagine mal celui qui a ordonné l’attaque de Pearl Harbor, les conquêtes de l’Indonésie, des Philippines, de la Birmanie, etc, se retourner contre son propre pays…

Lorsque notre article, publié sur ces bases donc, a été publié en ligne, Jean-Yves Le Naour en a été choqué. Il ne s’agissait nullement de s’attaquer à son travail, mais plutôt de questionner la précipitation dans laquelle le film, dans une version inachevée, a été porté à la critique. Lui-même explique que la soirée thématique a été décidée « tardivement », et que travailler dans ces conditions acrobatiques est exceptionnel pour lui. Le film n’a été livré que vendredi, assure-t-il.

Finalement, la version que pourront voir les téléspectateurs mardi 5 août, et par la suite en replay, et que nous avons visionnée ce matin, est débarrassée de toutes ces graves imperfections. La voix off assurée par la comédienne Caroline Ferrus est fluide et garantie sans IA (que l’on utilise désormais régulièrement pour caler les textes dans les versions de travail, nous apprend-on), les sous-titres sans fautes, et Tojo n’attaque plus le Japon. Ouf !

Un documentaire terrifiant et diablement instructif

L’emportement nous ferait presque oublier l’essentiel : le film a de quoi séduire. On y suit un processus beaucoup plus long et difficile que le procès de Nuremberg, de mai 1946 à décembre 1948, quand son homologue allemand a duré de novembre 1945 à octobre 1946. C’est que la justice rendue y était biaisée : le principal fautif ne pouvait être entendu ni accusé, l’empereur Hiro Hito, de par sa nature divine étant intouchable pour les Japonais.

Quant aux Américains, ils ont tout fait pour l’épargner, quitte à trafiquer les débats, voire à exclure des délibérations les voix discordantes. Car un empereur fantoche à exhiber, dans le cadre de la reconstruction d’un Japon soumis aux intérêts économiques et stratégiques des États-Unis est plus intéressant qu’un martyre.

Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle le procès a duré. Les onze juges et onze procureurs (un de chaque par nation impliquée) ont aussi remonté le fil des agressions japonaises sur ses voisins : Mandchourie, Chine, Indonésie. Si les massacres en Indochine ne sont pas considérés comme des crimes de guerre, c’est que les soldats, français et colonisés, ne faisaient plus partie de l’armée régulière, les résistants n’étant pas considérés comme militaires… Dans une étrange gémellité, on fait aussi connaissance de Shiro Iishi, le « Mengele japonais », qui obtiendra l’immunité des Américains contre les résultats de ses travaux sur des prisonniers de guerre. Terrifiant, et diablement instructif.

Procès de Tokyo, le Nuremberg oublié, France 2, 22 h 45

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