Non, les Sud-Africains blancs ne sont pas victimes de "génocide", comme l’affirme Donald Trump

Alors que le président américain Donald Trump applique une politique migratoire particulièrement restrictive, son administration a fait une exception en accueillant, lundi 12 mai, le premier groupe de Sud-Africains blancs sélectionnés par Washington. Dans un communiqué, le Département d'Etat a précisé que ce programme de "réinstallation aux Etats-Unis" visait "les minorités défavorisées" dans le pays, "victimes de discrimination raciale injuste". Pour Donald Trump, cette mesure est justifiée par leur "situation terrible". Selon lui, ils seraient victimes d'un "génocide" 

La Maison Blanche a ainsi accordé aux descendants des premiers colons européens, aussi appelés "Afrikaners", un statut de réfugiés, en invoquant une "persécution flagrante à cause de leur race", selon les mots de Christopher Landau, numéro deux du département d'Etat américain. Mais aucune donnée ne permet aujourd'hui de parler ni de génocide ni de persécution systématique des Blancs en Afrique du Sud.

Des fermiers afrikaners tués

Cette décision des Etats-Unis a provoqué l'indignation en Afrique du Sud. Le président Cyril Ramaphosa a notamment dénoncé l'initiative et qualifié les exilés de "lâches", d'après la BBC. Le ministère des Affaires étrangères sud-africain a également critiqué l'"ironie" d'accueillir "un groupe qui reste parmi les plus privilégiés en Afrique du Sud", rapporte The Citizen"Dire qu'en tant que groupe, ils sont aujourd'hui opprimés et qu'ils n'ont aucune perspective d'avenir, c'est exagéré", explique l'historien sud-africain Albert Grundlingh, lui-même Afrikaner, dans The New York Times.

Pour Chris de Kock, ancien haut responsable de la police du pays, "il n'existe aucun élément suggérant l'existence d'un génocide en Afrique du Sud, que ce soit contre les Blancs, les Noirs, les Afrikaners, les Zoulous ou n'importe quel groupe ethnique", rapporte-t-il dans les colonnes du Monde, soulignant que les meurtres dans les fermes représentent "moins de 0,2% du total des homicides". Selon le dernier rapport publié par AfriForum, un groupe identitaire afrikaner, 49 meurtres ont eu lieu dans des exploitations agricoles en 2023. Un chiffre à rapporter aux plus de 26 000 homicides enregistrés cette année-là dans le pays, selon le média sud-africain Business Tech.

"Les blancs sont victimes de crimes, comme tout le monde en Afrique du Sud, mais y a-t-il des blancs spécifiquement visés ? Absolument aucun."

Loren Landau, directeur de l'observatoire Xenowatch

à l'AFP

"Il n'existe aucune forme de persécution à l'encontre des Sud-Africains blancs ou plus précisément des Afrikaners blancs sur la base de leurs races"a répété le chef de la diplomatie sud-africaine, Ronald Lamola, lors d'une interview télévisée, ajoutant que "ces personnes ne remplissent pas les conditions pour bénéficier du statut de réfugié"Contacté par la BBC, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a révélé qu'il n'avait pas été invité à participer à la sélection des Afrikaners accueillis aux Etats-Unis. Une anomalie notable, alors que l'agence onusienne est habituellement au cœur des processus d'asile dans le monde.

L'héritage de l'Apartheid

Pour justifier sa décision d'accueillir des Afrikaners, Donald Trump s'appuie sur une réforme foncière votée par le Parlement sud-africain en février 2025, explique la BBC. Celle-ci autorise, dans certaines circonstances strictement encadrées, l'expropriation de terres sans compensation, notamment lorsque des terrains sont laissés vacants ou inutilisés. L'objectif affiché : réparer les inégalités héritées de l'Apartheid, durant lequel les populations noires ont été privées de l'accès à la propriété foncière. Donald Trump avait alors dénoncé sur son réseau Truth Social une loi discriminatoire envers les Blancs, évoquant une "violation massive des droits de l'homme".

En 2017, les Sud-Africains blancs détenaient encore 72% des terres agricoles privées, tandis que seuls 4% des terres cultivables appartenaient alors à des personnes noires, selon les chiffres du Land Audit Act. En 2022, ces derniers représentaient 81% de la population, rapporte The Guardian. Lors d'un meeting à Johannesburg, le président sud-africain Cyril Ramaphosa avait alors assuré en février que "son gouvernement n'avait confisqué aucune terre" et que la réforme relevait d'un "processus juridique mandaté par la Constitution", rapporte Reuters.

Cette polémique s'inscrit aussi dans un contexte de tensions bilatérales entre les deux pays, note le New York Times. L'administration Trump a récemment suspendu l'aide américaine à l'Afrique du Sud, notamment en raison de la plainte pour génocide contre Israël déposée par Pretoria devant la Cour internationale de justice. Le président sud-africain doit ainsi rencontrer Donald Trump afin de "réinitialiser les relations stratégiques entre les deux pays", toujours selon Reuters

Une thèse d'extrême droite

Né en Afrique du Sud, le milliardaire Elon Musk a multiplié les prises de paroles ces derniers mois afin de dénoncer la politique du pouvoir sud-africain. Le proche conseiller de Donald Trump a notamment interpellé en février le président Cyril Ramaphosa, sur X, à propos des lois foncières qu'il juge "ouvertement racistes". Le même mois, il accusait également Pretoria d'encourager le "génocide" des personnes blanches, d'après l'agence Associated Press. Une rhétorique reprise par le président des Etats-Unis.

L'intelligence artificielle Grok, l'agent conversationnel intégré au réseau social X, propriété d'Elon Musk, s'est aussi mise à répondre à des questions sans aucun lien apparent en évoquant de manière répétée un "génocide des Blancs" en Afrique du Sud, comme le note NBC News. Selon The Guardian, Grok ajoutait même dans certaines réponses qu'il avait été "instruit par [ses] créateurs" à considérer ce prétendu "génocide" comme "réel et motivé racialement".

La théorie du "génocide blanc" en Afrique du Sud circule depuis plusieurs années dans les sphères complotistes d'extrême droite. Mais pour la journaliste Nechama Brodie, autrice de Farm Killings, interrogée par Le Monde, la violence rurale touche aussi les travailleurs noirs, largement ignorés par les organisations identitaires blanches. "Ce sont les mêmes crimes terribles qui se produisent partout dans le pays", explique-t-elle dans le quotidien français.