"Si je veux qu'il parte, il partira vite fait" : quatre questions sur le conflit entre Donald Trump et Jerome Powell, patron de la banque centrale américaine
Donald Trump s'est trouvé un nouvel ennemi numéro 1. Depuis jeudi 17 avril, le président américain multiplie les attaques incendiaires contre le président de la Réserve fédérale (Fed), Jerome Powell, sur fond de désaccords sur la gestion de la politique monétaire du pays. Le républicain et son équipe ont évoqué, le lendemain, la possibilité de limoger Jerome Powell, dont le second mandat doit s'achever en mai 2026. Une telle décision remettrait en cause l'indépendance séculaire de la banque centrale américaine.
"Je ne suis pas content de lui. Je lui ai fait savoir et si je veux qu'il parte, il partira vite fait, croyez-moi", a assuré le président américain jeudi. "Il est plus que temps que le mandat de Powell se termine", a-t-il également écrit le même jour sur sa plateforme Truth Social. Franceinfo vous résume les questions que pose cette offensive du président américain.
1 Pourquoi Donald Trump veut-il limoger Jerome Powell ?
Confronté aux inquiétudes soulevées par sa politique de droits de douane prohibitifs et changeants, Donald Trump reproche à la Fed de ne pas abaisser assez rapidement ses taux d'intérêt pour doper la croissance du pays. Selon le président américain, Jerome Powell aurait "dû baisser les taux d'intérêt depuis longtemps déjà, comme la BCE [Banque centrale européenne]", a-t-il déclaré jeudi sur Truth Social, en encourageant Jerome Powell à "le faire maintenant". Le jour même, en effet, l'institution européenne avait annoncé la réduction de son principal taux directeur de 2,50 à 2,25% pour soutenir la fragile croissance économique de la zone euro. "Jerome Powell, de la Fed, est toujours trop lent et a toujours tort", s'est agacé Donald Trump.
Or, la réciprocité des droits de douane exigée par le président américain a entraîné un décrochage des bourses américaines. Cette hausse des taxes douanières place la Réserve fédérale face à une situation "compliquée", a estimé Jerome Powell mercredi, lors d'une déclaration au Club économique de Chicago. Comme beaucoup de spécialistes, le président de la Fed estime que ces surtaxes vont "très certainement entraîner au moins une hausse temporaire de l'inflation" ainsi qu'un "ralentissement de la croissance".
La Fed a pour double mission de limiter à la fois le chômage et l'inflation, et notamment de tenter de maintenir cette dernière à 2%. Un regain d'inflation implique, en principe, que la Fed relève ses taux directeurs pour la freiner, tandis qu'un refroidissement de l'économie plaide, à l'inverse, pour un abaissement de taux afin de relancer l'économie – ce que souhaite aujourd'hui Donald Trump. Fin mars, la Fed a décidé de laisser ses taux inchangés (entre 4,25% et 4,50% depuis décembre), estimant qu'il était impossible, dans ce contexte, de déterminer le cours approprié de la politique monétaire.
2 Peut-il réellement le faire ?
Jerome Powell ne compte pas quitter son poste de manière anticipée. Il a rappelé mercredi que l'indépendance de l'institution était "garantie par la loi", soulignant que lui et les gouverneurs de la Fed ne pouvaient être licenciés que pour un motif valable. L'institution est protégée par une jurisprudence de la Cour suprême de 1935, selon laquelle le président ne peut limoger un responsable d'une agence indépendante, comme la Fed, sans "cause sérieuse". Lors d'une conférence de presse en novembre, Jerome Powell avait déjà défendu cette indépendance et affirmé que son limogeage par Donald Trump, alors élu mais pas encore investi, n'était "pas permis par la loi".
"Les élus du Congrès peuvent juger que Jerome Powell a commis une faute grave, mais sans le vote des démocrates, il m'apparaît difficile que la procédure aboutisse", estime Romuald Sciora, directeur de l'Observatoire politique et géostratégique des États-Unis à l'IRIS, auprès de Public Sénat.
Depuis le début de son second mandat, Donald Trump semble cependant déterminé à repousser les limites du pouvoir du président des Etats-Unis. Il a notamment limogé deux membres de deux comités supervisant d'autres agences indépendantes du gouvernement américain et, début avril, la Cour suprême lui a donné raison. La plus haute juridiction américaine pourrait réexaminer plus largement l'interdiction de limoger sans "cause sérieuse" le responsable d'une agence indépendante d'ici à cet été, explique l'agence AP.
3 Quelles conséquences cette manœuvre aurait-elle pour l'économie ?
Même si Donald Trump parvenait à faire partir Jerome Powell, cela ne changerait pas forcément l'orientation de la Fed, relève CBS News. Les décisions de politique monétaire restent prises par le Comité fédéral du marché ouvert (FOMC), composé de douze membres. Porter atteinte de façon aussi symbolique à l'indépendance de la banque centrale américaine pourrait toutefois avoir des conséquences économiques : éroder la confiance des investisseurs, faire grimper les prix, et ternir la réputation de l'économie américaine, jugée comme une valeur sûre.
"L'indépendance est absolument essentielle pour la Fed. Les pays qui n'ont pas de banque centrale indépendante ont des monnaies bien plus faibles et des taux d'intérêts nettement plus élevés", estime de son côté Stephanie Roth, économiste de l'entreprise d'analyse Wolfe Research, auprès de l'AFP. Le dollar, monnaie d'échange par excellence du commerce international, risquerait donc de perdre de sa valeur.
Autre risque : si les investisseurs n'ont plus confiance en la capacité de la Fed à agir indépendamment pour réguler l'économie, la prime de risque sur la dette américaine pourrait repartir à la hausse, comme cela a été le cas après la hausse des tarifs douaniers par Donald Trump début avril. Sous cette pression, le président américain avait suspendu la surtaxe infligée à des dizaines de pays, tout en l'augmentant pour la seule Chine. "On ne peut pas contrôler le marché obligataire, c'est la morale de l'histoire. Et c'est pour cela qu'on veut une Fed indépendante", estime la cheffe économiste du cabinet de conseil KPMG, Diane Swonk, interrogée par l'AFP.
4 A quand remonte l'inimitié entre Donald Trump et Jerome Powell ?
"Donald Trump n'a jamais pu voir Jerome Powell en photo", explique Romuald Sciora, auprès de Public Sénat. "C'est un conservateur modéré à l'ancienne qui n'a absolument rien à voir avec Donald Trump. Et en plus, il critique ouvertement le président américain. Cela crée un cocktail explosif parfait", analyse-t-il.
Jerome Powell a pourtant été nommé une première fois à la tête de l'institution par Donald Trump, en 2018, avant d'être reconduit dans des fonctions par Joe Biden, quatre ans plus tard. Dès son arrivée à ses fonctions, le président de la Fed s'était attiré les foudres du milliardaire républicain en relevant ses taux d'intérêts à plusieurs reprises au cours de l'année, face à des craintes de hausse de l'inflation, rapporte CNN.
Donald Trump était allé jusqu'à qualifier Jerome Powell d'"ennemi" de l'Amérique sur Twitter en 2019. L'année suivante, il a déclaré à la presse qu'il avait le "droit de révoquer [Powell] de son poste de président", lors d'un point presse sur le Covid-19, après l'effondrement des marchés pendant la pandémie. Donald Trump a aussi comparé, en octobre dernier, les décisions politiques de la Fed à un tirage au sort, devant le Club économique de Chicago, rapporte Business Insider. Il n'a, pour autant, jamais mis ses menaces de limogeage à exécution, jusqu'ici.