REPORTAGE. "On a le sentiment d'être vraiment seuls" : aux Etats-Unis, ces Français expatriés manifestent leur inquiétude face à la politique de Trump

Aux Etats-Unis, depuis le début du mandat de Donald Trump, les craintes des expatriés français se multiplient. Les Français sont 150 000 environ outre Atlantique et, selon une récente enquête réalisée par Roland Lescure, le député des Français à l’étranger en Amérique du Nord, 88 % des répondants se disent particulièrement pessimistes pour leur avenir aux Etats-Unis.

Au pied du Washington monument, le célèbre obélisque de la capitale des Etats-Unis, samedi 5 avril, Florence a rejoint la première journée d’action d’ampleur contre l’administration Trump. Euphorique et soulagée de voir autant de monde enfin mobilisé : "Ça fait beaucoup de bien de voir qu'on n'est pas seuls au monde, parce que parfois, on a le sentiment d'être vraiment seuls... C'est difficile pour moi en tant que Franco-Américaine de voir que les Américains ne réagissent pas. Bon, là, aujourd'hui, c'est génial."

"En France, les gens auraient déjà été dans la rue"

"Nous, si on était en France, les gens auraient été déjà dans la rue, poursuit Florence. Il y aurait eu aussi des vitrines cassées et des voitures brûlées. Ça, je ne dis pas que c'est bien mais on aurait montré au gouvernement qu'on était contre ce qui se passait alors que là... Rien."

Florence est ici depuis 23 ans, c'est près de la moitié de sa vie. Mariée à un américain, elle n'a jamais vécu une telle situation : "Même quand on avait G.W. Bush, on était fâchés, on faisait des manifestations, mais tout fonctionnait quand même. L'économie fonctionnait, la Constitution était respectée... Là, c'est vraiment le démantèlement de la démocratie, la perte de nos valeurs !"

La peur aussi, pour son mari, de perdre son emploi. Il travaille pour une agence gouvernementale et a préféré ne pas venir manifester par peur d'être identifié : "Ce qui m'a beaucoup déçue, c'est que je voulais mettre un signe dans notre jardin, genre 'Resist', quelque chose comme ça. Mais mon mari n'a pas voulu, il a peur. Dans notre quartier d'habitude, il y a toujours des panneaux pro-LGBT etc. Et bien là, tout a disparu."

"Je suis naturalisée mais certains diraient : 'Flo, tu es aussi française, ils pourraient jouer sur ça...' Qu'ils m'expulsent ! Ca nous fera rentrer en France plus vite."

Florence, Franco-américaine

à franceinfo

Il y a beaucoup de peur chez les Américains mais aussi au sein même de la communauté française. De nombreux Français ont refusé de témoigner au micro de franceinfo par peur de représailles : des salariés d'organisations internationales, des chercheurs, des commerçants, des startupers...

"Autour de nous, on a vu des gens qui rentraient en France"

Monique et Joseph, retraités, pensent sérieusement à un retour en France. Lui, était ingénieur télécoms, elle, enseignait au lycée français. Ils habitent à Washington depuis plus de 30 ans et avaient tout mis en place pour passer leurs vieux jours ici : "On a cotisé pour avoir une retraite de type complémentaire." Mais leur plan retraite a perdu beaucoup de sa valeur à cause de l’effondrement de la bourse : "C'est vrai que si ça continue comme ça : 20%, après on va jusqu'où ? C'est le problème, on vit de ça."

Le couple confie avoir peur de ne pas pouvoir vivre correctement : "Et puis les soins à partir d'un certain âge... On espère qu'il ne va pas toucher au Care, comme il l'a promis mais on ne peut jamais faire confiance. C'est vrai qu'autour de nous, on a vu des gens qui rentraient en France."

Ce climat d’incertitude touche aussi le monde de l’entreprise et notamment les jeunes salariés. Apolline, Léo et Paul sont venus admirer les cerisiers en fleur de la capitale. Ils travaillent dans le secteur du luxe et de la banque à New York. Leur contrat de Volontariat International en Entreprise se termine dans six mois. "C'est un peu irréaliste de se dire qu'on va pouvoir rester, surtout à notre niveau de qualification au travail", commente l'un d'eux. "C'est un climat d'incertitude...", ajoute l'autre. "Tu sens que toutes les coupures budgétaires, dues à l'inflation et on sent qu'on galère à trouver un travail après parce qu'aucune entreprise embauche, c'est plus compliqué", conclue Apolline.

"En termes de charge de travail s'est compliqué"

Sandrine, à la tête de la filiale d’une PME française à New York, en route pour une petite bouffée d’air à Montreal : "Je suis ravie et j'ai pris mon petit drapeau français que j'ai collé derrière ma voiture parce que j'ai une plaque américaine et les Américains ne sont pas en honneur de sainteté au Canada, aujourd'hui."

Si les 20% de droits de douane supplémentaires l’inquiètent, c'est la surcharge de travail qui lui plombe le moral. Elle a perdu tous ses contacts dans les agences fédérales avec lesquelles son entreprise travaillait : "J'étais en plein audit avec eux, j'ai changé trois fois d'équipe. La première équipe s'est fait licencier, la deuxième aussi... Moi, ça me demande plus de temps, plus de process. Se réhabituer à chaque équipe qui a des questions différentes. Au niveau des parcs nationaux, on travaille avec les managers et il y en a à peu près 1 000 qui ont été dégagés donc on s'est retrouvés sans interlocuteur... En termes de charge de travail s'est compliqué."

Sandrine ne remet pas en cause sa présence aux Etats-Unis. "On va s’adapter", conclut-elle. Sa PME n’a pas trop le choix : le marché américain représente plus de la moitié de son chiffre d’affaires.