En Iran, le régime des mollahs a-t-il sauvé sa peau après le cessez-le-feu avec Israël ?

Une porte de sortie, après 12 jours de confrontation directe entre Israël et l'Iran. Quelques heures après les frappes américaines sur des sites nucléaires iraniens, le président des Etats-Unis, Donald Trump, a annoncé un cessez-le-feu de 24 heures entre Tel-Aviv et Téhéran, dans la nuit du lundi 23 au mardi 24 juin. Malgré des tensions, cette fragile promesse de trêve a finalement tenu, jusqu'à l'annonce, mardi, de la fin du conflit par les deux camps. 

Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a ainsi salué une "victoire historique" de son pays. Le programme nucléaire iranien a été retardé de plusieurs "décennies", a affirmé mercredi Donald Trump, même si le renseignement américain parle plutôt de "quelques mois". Côté iranien, le président Massoud Pezeshkian s'est félicité mardi soir de l'arrêt des frappes : "Nous sommes témoins de l'instauration de la fin de cette guerre imposée par l'aventurisme et la provocation" d'Israël. 

Une respiration temporaire 

S'il est bien respecté, ce cessez-le-feu "est une bonne nouvelle" pour le régime des mollahs, "raison pour laquelle elle l'a accepté", estime auprès de franceinfo Azadeh Kian, professeure de sociologie à l'université Paris Cité et spécialiste de l'Iran. Selon elle, Téhéran était engagé dans "une guerre asymétrique" avec l'Etat hébreu : les ressources iraniennes semblaient insuffisantes face à la force de frappe israélienne et le soutien américain apporté le week-end dernier.

L'Iran a subi de lourdes pertes dans sa chaîne de commandement dès les premiers bombardements israéliens, le 13 juin, avec la mort du général Hossein Salami, chef des Gardiens de la révolution, et du chef d'état-major des forces armées, le général Mohammed Bagheri. Douze jours plus tard, la confrontation a fait au moins 610 morts et plus de 4 700 blessés sur le sol iranien, contre 28 victimes sur le territoire israélien, d'après des bilans officiels.

A l'heure de la trêve, "l'Iran ne ressort pas nécessairement gagnant, mais il peut parvenir à se montrer comme tel", ajoute auprès de franceinfo Kevan Gafaïti, enseignant à Sciences Po Paris et chercheur au Centre Thucydide de l'université Panthéon-Assas. L'évocation par le président iranien d'une "résistance héroïque" du pays le confirme. 

"L'Etat [iranien] pourra réussir à dire : 'Regardez, nous avons tenu bon', alors que l'armée israélienne avait l'ascendant."

Kevan Gafaïti, spécialiste de l'Iran

à franceinfo

L'annonce de la trêve marque une respiration temporaire pour la République islamique. Mardi, Donald Trump a assuré à bord d'Air Force One qu'il ne souhaitait pas un changement de régime à Téhéran : "J'aimerais que tout se calme le plus rapidement possible. Un changement de régime entraîne le chaos". Et ce, même s'il semblait bien moins définitif dimanche soir.

Israël, de son côté, assure avoir atteint "tous les objectifs" de la guerre en acceptant la proposition américaine d'une trêve avec Téhéran. Et "l'objectif du gouvernement n'est pas un changement de régime", a clamé mardi un porte-parole du gouvernement israélien, David Mencer. Avant d'ajouter, néanmoins, que si "le peuple iranien parvenait à se libérer des chaînes de ce régime oppressif (...) ce serait (...) bienvenu". Pour Kevan Gafaïti, l'Etat hébreu "garde dans sa ligne de mire l'affaiblissement du régime", ce qui pourrait passer, selon lui, par de nouvelles frappes plus occasionnelles contre l'Iran et ses alliés.

Un guide suprême "contesté" 

Si Tsahal a réussi à éliminer des visages du commandement militaire iranien, "la structure étatique n'a pas été atteinte d'un point de vue humain", rappelle par ailleurs le chercheur, qui n'envisage pas un changement de "l'équilibre des pouvoirs" au sein du régime.

Pour autant, le guide suprême du régime, Ali Khamenei, "est contesté", avance Azadeh Kian. Elle évoque des témoignages d'Iraniens qui "se sont sentis seuls, abandonnés par le régime", lors des frappes, tandis que l'ayatollah s'est caché dans un endroit secret et ne s'est guère adressé à son peuple. "C'est un sentiment qui va perdurer", prévoit la sociologue. 

Massoud Pezeshkian a davantage été présent. Il a participé à une manifestation dans le centre de Téhéran, dimanche, visant à dénoncer les bombardements américains. "Des gens disent qu'au moins, il était là", confirme Azadeh Kian. Pourrait-il prendre une place plus importante au sein du régime ? La chercheuse évoque cette piste.

Un autre changement possible dans l'appareil dirigeant iranien repose dans la "militarisation du régime", décrypte auprès du Figaro Clément Therme, historien des relations internationales. Un scénario "normal" dans le contexte d'une guerre : "La théocratie dépend plus encore de l'appareil sécuritaire et de sa résilience", relève-t-il. 

Une alternative au régime encore incertaine

Durant les douze jours de guerre, plusieurs voix d'opposition iranienne à l'étranger ont aussi appelé à un soulèvement contre le régime des mollahs. La République islamique est "sur le point de tomber", "la fin du régime est proche", a notamment clamé Reza Pahlavi, fils de l'ancien shah d'Iran, exilé aux Etats-Unis. "La seule solution à ce conflit est le renversement du régime par le peuple iranien et la résistance iranienne"a pour sa part déclaré au Parlement européen Maryam Radjavi, du Conseil national de la résistance iranienne, citée par le site Euractiv

Ces voix résonnent-elles cependant en Iran ? "L'alternative portée par Reza Pahlavi n'est, à mon sens, pas crédible", commente Kevan Gafaïti, selon qui "il n'a pas d'ancrage dans la population. "Les opposants du régime à l'étranger, à mon sens, ont perdu", appuie Azadeh Kian. 

"Le changement viendra de l'intérieur et pour l'instant, la société civile iranienne n'est pas prête."

Azadeh Kian, spécialiste de l'Iran

à franceinfo

"Tout a été déstructuré. Ceux qui ont quitté leur maison ont besoin de temps pour revenir. Demander de tenir tête au régime, quand les gens étaient sous les bombes, est hallucinant", ajoute la sociologue. De plus, les arrestations se sont accélérées depuis le 13 juin, sur fond de soupçons d'intelligence avec l'Etat israélien. "Au moins 223 personnes ont été arrêtées, selon les médias officiels. On estime le bilan réel plus élevé", écrivait jeudi Iran Human Rights. L'ONG a dit craindre "une intensification de la répression et des exécutions dans les prochains jours".