RECIT. "Conserver l'élément de surprise" : ces heures où, en décidant d'attaquer l'Iran, Donald Trump a engagé les Etats-Unis dans une nouvelle guerre au Moyen-Orient
Une attaque (presque) surprise. Donald Trump a affirmé que l'armée américaine avait détruit trois sites nucléaires iraniens, lors de frappes menées dans la nuit du samedi 21 au dimanche 22 juin. Cette intervention militaire était espérée depuis neuf jours par Israël, qui a lancé le 13 juin une offensive militaire contre la République islamique dans l'objectif d'anéantir son programme d'enrichissement d'uranium. Mais elle a aussi pris certains observateurs de court, alors que le président américain semblait hésiter à engager les Etats-Unis dans un nouveau conflit.
Depuis plusieurs jours, Donald Trump laissait ainsi planer le doute sur une possible frappe américaine en Iran. Jeudi encore, le président américain avait affirmé qu'il déciderait "d'ici deux semaines" s'il impliquerait directement son pays dans le conflit. Un moyen, selon certains observateurs, d'amenuiser la vigilance de Téhéran et de mieux préparer ses troupes à passer à l'action.
Des bombardiers furtifs déployés dans le Pacifique
Le déploiement de plusieurs bombardiers américains, samedi, lui a donné raison. Peu après midi, heure de Washington, le New York Times rapporte que plusieurs avions furtifs B-2 ont décollé de la base de Whiteman, dans le Missouri. Ces appareils sont les seuls à pouvoir à larguer la GBU-57, une bombe anti-bunker théoriquement capable d'atteindre Fordo, un centre d'enrichissement d'uranium iranien enterré à plus de 80 mètres sous terre.
Selon le New York Times et plusieurs comptes de suivi du trafic aérien, les B-2 s'envolent au petit matin vers l'ouest, accompagnés d'avions ravitailleurs. Leur destination supposée : Guam, petite île du Pacifique abritant une importante base américaine. Une information confirmée dimanche par le chef d'état-major interarmées américain, le général Dan Caine, qui détaille le début de l'opération "Midnight Hammer" (Marteau de minuit). Face à la presse, ce dernier rapporte qu'à minuit, dans la nuit de vendredi à samedi, plusieurs B-2 ont en effet décollé de leur base américaine, en prenant des directions différentes. "Dans le cadre d'un plan visant à maintenir la surprise tactique, une partie de l'ensemble s'est dirigée vers l'ouest et le Pacifique comme un leurre", déclare-t-il.
Cela fait plusieurs jours que l'administration Trump ordonne des mouvements de porte-avions et d'autres appareils militaires, pour renforcer ses défenses au Moyen-Orient. Ou y préparer une attaque. Car au moment même où Donald Trump affirme se laisser "deux semaines" pour réfléchir, l'état-major planche déjà sur un plan d'attaque en Iran, révèle Politico, citant des hauts responsables américains.
Dix-huit heures de vol vers les cibles iraniennes
Samedi, en fin d'après-midi, le président américain délaisse son club de golf de Bedminster, dans le New Jersey, pour assister à une réunion avec ses conseillers à la sécurité nationale à la Maison Blanche. Aucune information ne filtre, si ce n'est qu'une nouvelle rencontre est prévue dimanche. Mais en coulisses, le plan s'accélère.
Alors que des B-2 partent vers l'ouest pour faire diversion, le groupe de frappe principal se dirige discrètement vers l'est. Ces sept bombardiers B-2 Spirit ont chacun deux membres d'équipage, et les communications sont minimales. La duperie est "connue seulement d'un très petit nombre de planificateurs et de dirigeants clés, ici à Washington et à Tampa", autrement dit le quartier général du Commandement militaire américain pour le Moyen-Orient (Centcom), a précisé le général Caine. De nombreux ravitaillements ont lieu en vol, au fil des 18 heures de trajet vers la zone cible.
L'opération "Marteau de minuit" fait intervenir "plus de 125 avions, dont des bombardiers furtifs B-2, plusieurs vols de chasseurs de quatrième et cinquième génération, des dizaines et des dizaines d'avions ravitailleurs, un sous-marin à missiles guidés et une gamme complète d'avions de renseignement, de surveillance et de reconnaissance", détaille encore le général Caine. Les deux plus hauts responsables républicains au Congrès, le speaker de la Chambre des représentants Mike Johnson et le sénateur John Thune, sont avertis de l'opération, rapporte CNN. La même courtoisie n'est pas accordée aux leaders de l'opposition démocrate, Chuck Schumer et Hakeem Jeffries, qui, eux, ne seront informés qu'après l'attaque.
Une opération dirigée en direct depuis la Maison Blanche
Dans la soirée, Donald Trump donne le feu vert pour des frappes sur trois sites nucléaires iraniens : Fordo, Natanz – plus grand centre d'enrichissement d'uranium de la République islamique – et Ispahan. Les trois cibles sont atteintes "entre 18h40 et 19h05" heure de Washington, soit environ 02h10 dimanche matin en Iran, d'après le chef d'état-major interarmées américain. Plusieurs personnes sont blessées.
Des bombes GBU-57 sont bien larguées dans cette opération, et plus de deux douzaines de missiles de croisière Tomahawk touchent des cibles clés de l'infrastructure de surface à Ispahan. Lancés depuis un sous-marin, ils ont été "les derniers à frapper Ispahan, afin de conserver l'élément de surprise tout au long de l'opération", selon Dan Caine. Les sept bombardiers furtifs B-2 "sont entrés et sortis, puis sont revenus des sites nucléaires iraniens sans que le monde le sache", s'est félicité dimanche le haut gradé. La défense antiaérienne de l'Iran semble ne rien avoir détecté, assure le Pentagone.
Donald Trump suit l'opération depuis la Situation Room, la salle de crise de la Maison Blanche, une casquette "Maga" vissée sur la tête. A ses côtés : les chefs de l'état-major et de la CIA, sa cheffe de cabinet Susie Wiles, le secrétaire d'Etat Marco Rubio, le ministre de la Défense Pete Hegseth et le vice-président J.D. Vance, liste l'agence AP.
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Peu avant 20 heures à Washington, le président américain annonce sur son réseau Truth Social que l'armée a "terminé avec succès une attaque sur trois sites nucléaires iraniens". "Une charge complète de bombes a été larguée" à Fordo, détaille-t-il, ajoutant que "tous les avions ont quitté l'espace aérien iranien". "L'heure de la paix a sonné !", insiste Donald Trump, affirmant que l'Iran doit "maintenant accepter de mettre fin à cette guerre".
Benyamin Nétanyahou salue "un tournant historique"
Il faut attendre deux heures de plus pour que le milliardaire livre quelques détails supplémentaires, dans une allocution solennelle depuis la Maison Blanche. Entouré de J.D. Vance, Marco Rubio et Pete Hegseth, le président assure que "les installations essentielles d'enrichissement nucléaire de l'Iran ont été intégralement et totalement détruites". Il met aussi en garde Téhéran, "premier sponsor étatique du terrorisme dans le monde" selon ses mots, contre toute tentative de représailles.
"L'Iran, le caïd du Moyen-Orient, doit maintenant faire la paix. S'ils ne le font pas, les prochaines attaques seront bien plus importantes, et bien plus faciles."
Donald Trump, président des Etats-Unisdans une allocution télévisée
"Le peuple d'Israël vous remercie", réagit le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, dans un message vidéo en anglais posté quelques minutes plus tard sur le réseau social X. "Ce soir (...), l'Amérique s'est montrée véritablement sans égale", ajoute-t-il, voyant dans l'attaque américaine un "tournant historique qui peut aider à conduire le Moyen-Orient et au-delà vers un avenir de prospérité et de paix".
Selon Benyamin Nétanyahou, la promesse israélienne d'anéantir le programme nucléaire iranien "a été tenue". Mais aucun élément ne permettait, dimanche, de confirmer la destruction totale par les Etats-Unis des sites visés, profondément enfouis sous terre. "Les dommages définitifs prendront un certain temps à être analysés, mais les premières évaluations indiquent que les trois sites ont subi des dommages et des destructions extrêmement graves", avance Dan Caine.
Téhéran menace de "conséquences durables"
"Aujourd'hui, à l'aube, les sites nucléaires à Fordo, Natanz et Ispahan ont été attaqués par les ennemis de l'Iran dans un acte barbare qui viole le droit international", confirme seulement l'Organisation de l'énergie atomique iranienne, dimanche matin. Et de promettre que Téhéran "ne laissera pas le chemin de développement de cette industrie nationale (...) être arrêté".
"Les événements de ce matin sont scandaleux et auront des conséquences durables", menace également le chef de la diplomatie iranienne, Abbas Araghchi. La réplique de la République islamique ne se fait pas attendre : dès les premières heures, dimanche, Téhéran lance plusieurs vagues de missiles en direction d'Israël. Les frappes détruisent plusieurs bâtiments résidentiels à Tel-Aviv et font au moins 23 blessés, selon les secours israéliens.
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Dans la capitale iranienne, le président Massoud Pezeshkian participe dimanche après-midi à une manifestation condamnant les frappes américaines de la nuit. Autour de lui, des Iraniens scandent "Vengeance, vengeance !", le poing levé contre Washington. Les Etats-Unis "doivent recevoir une réponse à leur agression", lance à son tour le dirigeant iranien.