Guerre entre Israël et l'Iran : pourquoi Donald Trump repousse sa décision sur une intervention américaine
Il se laisse le temps d'y réfléchir. La porte-parole de la Maison Blanche a annoncé, jeudi 19 juin, que Donald Trump prendrait une décision sur une intervention américaine en Iran "au cours des deux prochaines semaines". Cette déclaration illustre les hésitations du président des Etats-Unis, qui avait affirmé la veille à la fois qu'il "perdait patience" et qu'il n'avait "pas encore décidé" s'il autoriserait des frappes contre la République islamique. Franceinfo décrypte les raisons qui ont pu pousser le locataire de la Maison Blanche à s'accorder ce délai supplémentaire, entre préparatifs militaires, tentatives de relancer la voie diplomatique et considérations politiques.
Pour laisser une chance aux négociations
Après quatre jours à multiplier les menaces, Donald Trump semble avoir décidé, jeudi, de relâcher un peu la pression qu'il fait peser sur Téhéran. "Compte tenu du fait qu'il y a une possibilité substantielle de négociations éventuelles avec l'Iran dans le futur proche, je prendrai ma décision sur le fait d'y aller ou non au cours des deux prochaines semaines", a fait savoir le président américain, cité par sa porte-parole Karoline Leavitt.
En réalité, la voie diplomatique n'avait jamais été totalement écartée, selon The Washington Post. Karoline Leavitt a confirmé au quotidien que l'envoyé spécial de Donald Trump au Proche-Orient, Steve Witkoff, avait continué ces derniers jours d'échanger avec son homologue iranien. Les négociations entre Téhéran et Washington sur le programme nucléaire iranien, censées reprendre dimanche à Oman, avaient pourtant été annulées après les premières frappes israéliennes.
Pour l'instant, ce sont les Européens qui prennent la relève. Vendredi, les ministres des Affaires étrangères français, allemand et britannique, ainsi que la cheffe de la diplomatie de l'Union européenne, rencontrent leur homologue iranien à Genève. Avant cette réunion, Jean-Noël Barrot s'est entretenu avec le secrétaire d'Etat américain, Marco Rubio, qui "a souligné que les Etats-Unis étaient prêts à un contact direct avec les Iraniens à tout moment", d'après une source diplomatique française. Les chefs de la diplomatie français et américain ont déjà prévu de s'appeler vendredi, "à l'issue de la réunion, afin de poursuivre la coordination sur ce sujet". Selon CNN, Washington ne s'attend pas à ce que la discussion à Genève aboutisse à grand chose, mais ces échanges sont bienvenus.
"Le président [Donald Trump] soutient les efforts diplomatiques de nos alliés qui pourraient amener l'Iran plus près d'un accord."
Un responsable de la Maison Blancheà CNN
La piste des négociations semble toutefois précaire. Les Etats-Unis ont posé comme préalable à tout accord l'abandon total par l'Iran de son programme nucléaire. Jusqu'ici, Téhéran a refusé, au motif que les traités internationaux autorisent l'enrichissement d'uranium à des fins civiles. Washington espère que les dommages causés par l'offensive israélienne sur ses installations pousseront la République islamique à céder.
Mais certains observateurs craignent, au contraire, que l'attaque ne renforce la détermination de l'Iran, qui a dit lundi envisager de se retirer du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Dans ce contexte, la Maison Blanche ne renonce pas totalement à ses menaces. "S'il y a une chance pour la diplomatie, le président [Donald Trump] la saisira toujours. Mais il n'a pas peur non plus d'avoir recours à la force", a mis en garde Karoline Leavitt.
Pour mieux préparer une intervention
Ces deux semaines ne serviront ainsi pas uniquement à tenter de trouver une solution diplomatique au conflit. Cette période offre également aux Etats-Unis un délai supplémentaire pour organiser une possible intervention militaire en Iran, analyse The New York Times. Depuis le début de l'offensive israélienne, Washington a déjà pris plusieurs mesures semblant indiquer que l'armée se préparait à s'impliquer sur le terrain. Une trentaine d'avions-citernes ont été redéployés dans la région et le ministère de la Défense a ordonné au porte-avion USS Nimitz, qui patrouillait en mer de Chine, de faire route vers le Moyen-Orient.
"Cela laisse le temps pour un deuxième porte-avion d'arriver, donnant aux forces américaines une meilleure chance de contrer l'inévitable réplique iranienne" si Donald Trump décidait d'autoriser des frappes, décrypte The New York Times. La menace de représailles est prise au sérieux, les Etats-Unis disposant de nombreuses bases militaires au Proche-Orient.
Selon le quotidien américain, ces quelques jours permettraient aussi à Israël de continuer à frapper les systèmes de défense iranien, et donc de réduire les risques pour les bombardiers américains lors d'une potentielle mission contre la République islamique. Pour d'autres, ce temps de réflexion pourrait aussi être une stratégie militaire, pour endormir la vigilance des Iraniens. "Ce pourrait être une couverture pour une frappe immédiate", avance James Stavridis, ancien amiral de la Navy, interviewé par CNN.
Pour ménager sa base électorale
Si Donald Trump se montre incertain, c'est aussi parce qu'une intervention militaire pourrait lui aliéner une partie de son propre camp. En 2024, le républicain avait fait campagne sur la promesse de ne pas engager son pays dans de nouvelles "guerres sans fin", et de se faire connaître avant tout comme un chef d'Etat capable de négocier des accords de paix. Un engagement qu'il semble désormais prêt à laisser de côté.
L'opinion publique s'inquiète pourtant de voir les soldats américains s'impliquer dans un conflit risquant de se prolonger. Selon un sondage du Washington Post publié jeudi, seuls 25% des Américains se disent favorables à une intervention en Iran, contre 45% qui s'y opposent. Les électeurs républicains, en particulier, sont divisés sur la question.
/2025/06/20/089-mei-usa-sz-imtla-20250618-0011-685524865f58c263325708.jpg)
Sur la scène politique aussi, certains soutiens de Donald Trump protestent contre toute intervention américaine en Iran. Dans son podcast, le très conservateur Tucker Carlson a critiqué les élus "va-t-en-guerre", s'attirant les foudres du président américain, rapporte la BBC. Mais cette déclaration lui a aussi valu le soutien de Marjorie Taylor Greene, selon la radio britannique. Cette membre du Congrès, figure du camp trumpiste, a jugé lundi que ceux qui sont favorables à une opération militaire ne sont pas "America First" – le slogan du milliardaire pour l'élection de 2024.
"Si on se fait embarquer dans cette guerre, (...) cela va faire voler en éclat la coalition" trumpiste, a également mis en garde Steve Bannon, ancien conseiller du président, cité par la BBC. Une perspective qui pourrait peser dans la réflexion de Donald Trump, dont l'impopularité ne cesse d'augmenter à un an des élections de mi-mandat, selon l'agrégateur de sondages du New York Times.
Pour préserver son image
En quelques jours, le président américain a réussi une pirouette, constate Le Parisien : se replacer en position de décideur, au centre de l'attention des médias. Depuis le début de l'offensive israélienne, plusieurs médias, dont Reuters, ont souligné la manière dont Benyamin Nétanyahou a cherché à entraîner son allié américain dans le conflit en Iran. Ces derniers mois, Donald Trump s'était montré frileux à l'idée d'une opération israélienne contre la République islamique, alors que les Etats-Unis avaient entamé avec Téhéran des négociations sur le nucléaire iranien. Selon un haut responsable cité par Reuters, le milliardaire américain a été contraint de suivre le timing imposé par Tel-Aviv.
"Le renseignement américain a montré qu'Israël risquait de passer à l'attaque avec ou sans le soutien des Etats-Unis. L'administration aurait semblé prise de court si elle n'y avait pas accordé son soutien."
L'agence de presse britannique Reuters
Alors que Benyamin Nétanyahou semblait jusqu'ici à la manœuvre, Donald Trump a repris la main, en multipliant les menaces contre Téhéran et en laissant planer le doute sur son intention d'impliquer directement l'armée américaine, souligne Le Parisien. Désormais, médias et dirigeants – dont le Premier ministre israélien – sont suspendus à la décision du président américain de lancer, ou non, des frappes en Iran. L'attente est particulièrement élevée concernant une possible recours à la bombe anti-bunker GBU-57, une arme uniquement détenue par les Etats-Unis et la seule peut-être capable de détruire le site nucléaire iranien de Fordo.
En prenant 15 jours de réflexion, Donald Trump s'est offert autant de battage médiatique autour du moindre de ses posts sur les réseaux sociaux. Mais, comme le souligne The New York Times, rien ne dit qu'on en saura plus sur l'implication des Etats-Unis en Iran à l'issue de cette échéance. Si le président américain a l'habitude de promettre des décisions "dans les deux semaines", il respecte rarement ses propres délais.
"Pour Donald Trump, deux semaines (...) veut simplement dire plus tard. Et plus tard peut aussi vouloir dire jamais", raille le quotidien américain. En mai, il avait ainsi déclaré qu'il déterminerait sous quinze jours si on pouvait faire confiance à Vladimir Poutine pour trouver une issue à la guerre en Ukraine. Plus d'un mois après, alors que les frappes russes continuent de viser Kiev, on ignore toujours sa conclusion.