Guerre entre Israël et l'Iran : pourquoi Téhéran menace-t-elle de se retirer du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires ?

Et si Téhéran décidait de claquer la porte ? Plusieurs acteurs iraniens semblent envisager un retrait du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) alors que l'armée israélienne a lancé une offensive pour détruire, ou du moins ralentir, le programme nucléaire de la République islamique d'Iran. "Une telle proposition est en cours d'élaboration et nous nous coordonnerons ultérieurement avec le Parlement", a assuré lundi le ministère iranien des Affaires étrangères. Dans une déclaration commune publiée mercredi, la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne ont mis en garde Téhéran contre un retrait du TNP.

Ce texte, entré en vigueur en 1970 afin d'empêcher la propagation du nucléaire militaire, compte aujourd'hui 191 signataires, dont l'Iran. "Les pays qui ont signé le traité et qui le mettent en œuvre s'engagent à ne pas développer d'armes nucléaires", résume Emmanuelle Maitre, chercheuse à la Fondation pour la recherche stratégique, contactée par franceinfo. Les signataires ont également des accords de garantie avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), qui peut mener des inspections dans les sites déclarés afin de vérifier que les installations du pays "fonctionnent à des fins civiles". C'est le cas de l'Iran, qui applique une version standard et minimale de ces accords de garantie.

Aucune visite des sites déclarés n'est possible depuis le début des frappes israéliennes, pour des raisons évidentes de sécurité. Mais "l'Agence est et restera présente en Iran", a toutefois martelé son directeur général Rafael Grossi, assurant que les inspections reprendront quand les conditions le permettront.

Les cartes seraient totalement rebattues en cas de retrait iranien du TNP, synonyme d'un probable départ des inspecteurs internationaux. Téhéran aurait alors les coudées franches pour développer son programme nucléaire civil, mais aussi peut-être militaire, même si ses activités resteraient scrutées par le renseignement occidental.

"Un levier en moins pour contraindre l'Iran"

L'article 10 du traité prévoit d'ailleurs de tels retraits. Les parties, "dans l'exercice de leur souveraineté nationale", ont le droit de se retirer de l'accord quand elles estiment que "des événements extraordinaires" ont "compromis ses intérêts supérieurs". Ces départs doivent être notifiés trois mois avant le retrait effectif. Le cas échéant, "la communauté internationale n'aurait plus autant de fondement juridique pour sanctionner le programme nucléaire de l'Iran et s'y opposer", souligne Emmanuelle Maitre. "Ce serait un levier en moins pour contraindre l'Iran à respecter ses obligations de non-prolifération. Et, bien sûr, ce coup porté à la légitimité du TNP pourrait influencer d'autres pays."

La Corée du Nord avait quitté le TNP en 2003, mais sans l'avoir réellement appliqué jusque-là. Comme l'Inde et le Pakistan, Israël n'a jamais ratifié l'accord. Ce point est d'ailleurs dénoncé par Téhéran, qui fait valoir une asymétrie dans le traitement qui lui est réservé par la communauté internationale. L'Iran défend son droit au nucléaire civil, en vertu justement du traité. Mais il est également le seul Etat non doté d'armes nucléaires à enrichir de l'uranium au niveau élevé de 60%, selon l'AIEA. Pour fabriquer une bombe atomique, l'enrichissement doit être poussé jusqu'à 90%.

"Le raisonnement d'Israël, c'est le fait que l'appartenance de l'Iran au TNP ne l'empêche pas de développer son programme nucléaire", analyse Emmanuelle Maitre. L'Etat hébreu a donc estimé préférable de retarder le programme avec des frappes, parce qu'il estime que la diplomatie ne lui permet pas d'obtenir suffisamment de garanties. L'Iran pourrait en revanche se servir de l'offensive israélienne pour accélérer sur le nucléaire militaire, invoquant son droit à se défendre. "Toute la question est de savoir dans quelle mesure les frappes nuisent ou non à son programme nucléaire", continue la spécialiste.

Un tel retrait aurait valeur de "geste politique, sans doute", après les événements des derniers jours. Mais il s'agirait surtout d'un "événement extrêmement important" puisqu'un retour en arrière serait ensuite "assez difficile", ajoute Emmanuelle Maitre.

Le régime iranien s'oppose à l'AIEA

Ces réflexions interviennent dans un contexte très tendu entre Téhéran et l'AIEA. Le 12 juin, l'Agence a adopté une résolution demandant à l'Iran "de mettre fin d'urgence au non-respect" de ses obligations en matière nucléaire. Le régime iranien, en réponse, a dénoncé une résolution "illégale", imputant sa rédaction à "l'influence" israélienne. Il a annoncé, dans la foulée, la construction prochaine d'un nouveau site d'enrichissement et une augmentation "significative" de sa production d'uranium enrichi. Dans la nuit du 12 au 13 juin, Israël a lancé le premier volet de son opération "Rising Lion".

Téhéran avait d'abord accepté un protocole additionnel de l'AIEA, dans le cadre de l'accord de Vienne de 2015, qui autorisait les inspecteurs à demander l'accès à des sites supplémentaires et non inscrits dans le programme nucléaire. "Ce qui est important pour détecter un programme éventuellement clandestin, parce qu'un Etat coupable de détournement de matière pourrait le faire sur un site non déclaré", relève Emmanuelle Maitre. Mais un an plus tard, au début du premier mandat présidentiel de Donald Trump, l'administration américaine s'était retirée de l'accord de Vienne avec fracas. Téhéran était progressivement revenu à une version standard et minimale des accords de garantie, sur les seuls sites déclarés.

Une nouvelle période d'incertitude s'ouvre désormais. En raison des frappes israéliennes, Rafael Grossi, directeur général de l'AIEA, a expliqué, dans un entretien à Bloomberg, qu'il n'avait plus aucune certitude sur la localisation de l'uranium enrichi par l'Iran. Ce matériau est censé se trouver dans une installation d'Ispahan, mais il a potentiellement été déplacé, face à la menace de frappes israéliennes. A Téhéran, les dirigeants laissent désormais éclater leur colère contre le directeur général de l'Agence. "Vous avez trahi le régime de non-prolifération, s'est emporté le porte-parole de la diplomatie iranienne, jeudi. Les récits trompeurs ont des conséquences désastreuses".

En visite à Rome jeudi 12 juin, le ministre des Affaires étrangères allemand, Johann Wadephul, avait déjà appelé l'Iran à respecter ses engagements sur le nucléaire militaire. Il a également rappelé l'existence d'un mécanisme de retour en arrière, le "snapback", qui rétablirait, le cas échéant, les sanctions internationales à l'encontre du régime de Téhéran, levées lors de l'accord de Vienne. L'Iran, déjà très isolé, devra étudier cette menace dans son équation nucléaire.