Conflit Israël-Iran : qu'est-ce que la GBU-57, la bombe américaine anti-bunker capable d'atteindre le site nucléaire enfoui de Fordo ?
Une ogive de 13 tonnes, seule capable d'atteindre le site nucléaire de Fordo. Donald Trump a déclaré, mercredi 18 juin, n'avoir "pas encore pris de décision finale" sur une éventuelle intervention américaine aux côtés d'Israël en Iran. Le choix du président américain est d'autant plus scruté qu'Israël plaide auprès de son allié pour un recours à la GBU-57, une puissante bombe anti-bunker, la seule à même de détruire les installations nucléaires iraniennes les plus profondément enfouies.
Franceinfo fait le point sur ce que l'on sait de cette arme stratégique, à laquelle Donald Trump pourrait recourir s'il décidait d'engager les Etats-Unis dans le conflit en Iran.
Une bombe conçue pour frapper en profondeur
La GBU-57 est une bombe américaine unique, car elle peut s'enfoncer très profondément dans la roche et le béton. L'ogive a été développée au début des années 2000, après des études montrant que bombarder l'entrée de complexes souterrains "ne provoquerait pas une déflagration suffisante pour détruire la totalité du site", explique Masao Dahlgren, spécialiste de l'armement au centre de recherche CSIS de Washington, auprès de CNN.
La Massive Ordnance Penetrator GBU-57/B – son nom officiel – "a été conçue pour pénétrer jusqu'à [60 mètres] sous terre avant d'exploser", souligne l'armée américaine. Cette arme comporte "une gaine très épaisse d'acier renforcé" qui l'aide "à traverser les couches de roche", ajoute Masao Dahlgren auprès de l'AFP. Cela explique son poids : plus de 13 tonnes, dont 2,7 d'explosif, pour 6,6 mètres de long et 80 centimètres de diamètre.
Contrairement à nombre de missiles ou bombes qui font détoner leur charge au moment de l'impact, la GBU-57 s'enfonce d'abord dans le sol pour exploser une fois l'installation souterraine atteinte. Une capacité technique permise par son détonateur, qui ne s'active pas au moment de l'impact mais "détecte" les "cavités" pour "se déclencher quand [l'ogive] entre dans le bunker", détaille Masao Dahlgren.
"L'explosif doit être suffisamment solide pour ne pas détoner sans avoir été amorcé, la gaine doit être suffisamment dure pour aller aussi profondément (...) et le détonateur doit être assez résistant pour supporter tout cela."
Masao Dahlgren, spécialiste de l'armement au CSISà CNN
D'après Le Monde, une nouvelle version de la GBU-57 a été présentée en 2013. Dotée de systèmes de guidage plus précis et d'une capacité de pénétration accrue, elle comporte aussi des "dispositifs lui permettant d'échapper aux défenses aériennes iraniennes", rapporte le quotidien.
Une arme potentiellement capable de détruire le site de Fordo
En six jours d'offensive, l'armée israélienne a réussi à décimer le commandement militaire iranien et à détruire des bâtiments à la surface des centres d'enrichissement d'uranium. Néanmoins, "il reste beaucoup de questions sur l'efficacité des frappes israéliennes contre le cœur battant du programme nucléaire iranien", dont le démantèlement est un des objectifs de guerre du gouvernement de Benyamin Nétanyahou, résume auprès de l'AFP Behnam Ben Taleblu.
Selon cet expert de la Foundation for Defense of Democracies, un centre de recherche américain néoconservateur, "tous les yeux se tournent vers Fordo". Comme le pointe CNN, on ignore ce que l'Iran détient exactement dans ce centre d'enrichissement d'uranium, situé à 90 kilomètres au sud-ouest de Téhéran. Il est toutefois soupçonné de jouer un rôle clé dans le programme nucléaire iranien, depuis que l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) y a détecté en 2023 des particules d'uranium enrichies à 83,7%, un taux proche du seuil de 90% nécessaire pour développer la bombe atomique.
Si le site a été visé par plusieurs frappes aériennes ces derniers jours, "aucun dommage n'a été constaté" sur place, rapporte l'AIEA. Et pour cause : à l'inverse des sites de Natanz et d'Ispahan, dans le centre de l'Iran, Fordo a été bâti sous une montagne, dans de profondes galeries. Une façon de s'assurer que le site serait hors de portée de toute frappe aérienne.
"La GBU-57 a été spécialement conçue pour Fordo", assure Ali Vaez, directeur des recherches sur l'Iran à l'International Crisis Group, cité par Le Monde. Les experts ne sont toutefois pas certains de sa capacité réelle à atteindre la salle des centrifugeuses du centre d'enrichissement d'uranium. Si la profondeur exacte de cette salle n'est pas connue, les analystes estiment qu'elle est enterrée à plus de 80 mètres sous terre, au-delà de la portée de l'ogive américaine.
Si la décision est prise d'utiliser la GBU-57, "ils ne vont pas juste en larguer une", remarque toutefois l'ancien général américain Mark Schwartz, désormais expert au sein du groupe de réflexion Rand Corporation, interrogé par l'AFP. "Ils en utiliseraient plusieurs, pour s'assurer d'une probabilité de succès de 100%." Une hypothèse également défendue par Justin Bronk, expert des systèmes de défense et chercheur au Royal United Services Institute. "Il faudrait probablement au moins deux [bombes], larguées consécutivement sur le même point d'impact, pour atteindre et détruire les principales installations de Fordo", explique-t-il au Monde.
Une ogive uniquement détenue par les Etats-Unis
Si les interrogations autour d'une potentielle intervention directe de l'armée américaine en Iran se multiplient, c'est aussi parce que "seuls les Etats-Unis ont la capacité conventionnelle", c'est-à-dire non nucléaire, de détruire Fordo, affirme à l'AFP l'ancien général américain Mark Schwartz. C'est en effet le seul pays à être doté de la bombe GBU-57.
Théoriquement, tout appareil capable de transporter les 13 tonnes de l'ogive peut larguer cette bombe, note France 24. Mais les Etats-Unis sont aussi les seuls à détenir des avions configurés pour le faire, les bombardiers stratégiques furtifs B-2. Chacun de ces appareils, qui opèrent pour la plupart depuis la base aérienne de Whiteman, dans le Missouri, peut emporter deux GBU-57.
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Certains de ces avions avaient été déployés début mai sur la base américaine de Diego Garcia, dans l'océan Indien, mais ils n'étaient plus visibles mi-juin, d'après l'analyse par l'AFP d'images satellitaires de PlanetLabs. Les B-2 qui décollent des Etats-Unis sont toutefois "capables de voler jusqu'au Moyen-Orient pour procéder à des bombardements, cela a déjà été fait", précise Masao Dahlgren à l'agence de presse. "Avec une autonomie de plus de 11 000 km sans ravitaillement, et jusqu'à 18 500 km avec un ravitaillement en vol, le B-2 peut atteindre n'importe quelle cible dans le monde en quelques heures", confirme France 24, citant le constructeur Northrop Grumman.
Mercredi, Donald Trump a redit considérer la possibilité d'une frappe aérienne en Iran, sans préciser s'il pourrait recourir à la GBU-57. Une telle intervention américaine "serait accompagnée d'un grand coût politique" pour les Etats-Unis, avertit Behnam Ben Taleblu, de la Foundation for Defense of Democracies.
Comme le souligne CNN, la menace de représailles iraniennes contre les nombreuses bases américaines au Moyen-Orient et le risque de s'engager dans un long conflit avec la République islamique sont autant de raisons qui font hésiter l'exécutif américain à s'engager sur le terrain. D'autant plus que Donald Trump, qui avait promis durant la campagne présidentielle d'éviter toute nouvelle guerre à ses soldats, pourrait s'aliéner une partie de sa base s'il faisait ce choix.
Behnam Ben Taleblu souligne par ailleurs que la GBU-57 n'est pas "la seule solution" pour affaiblir le programme nucléaire iranien de manière durable, en dehors d'une solution diplomatique. A défaut de cette bombe anti-bunker américaine, les Israéliens pourraient attaquer des complexes souterrains comme Fordo en "essayant de frapper les entrées, de faire s'effondrer ce qu'ils peuvent, de couper l'électricité", liste cet expert. C'est l'objectif qui semble avoir été atteint à Natanz, plus grand centre d'enrichissement d'uranium iranien, dont Tel-Aviv affirme avoir détruit toute la partie supérieure.