Arrestations, accusations d'espionnage, surveillance des réseaux sociaux... En Iran, la guerre avec Israël fait craindre une répression accrue
Trente personnes ont encore été arrêtées dans la ville de Hamedan, dans l'ouest de l'Iran, la semaine passée, a annoncé le chef de la police provinciale, cité par les agences iraniennes. Toutes sont accusées d'avoir des liens avec le Mossad, les services de renseignement israéliens chargés des opérations spéciales extérieures. Mais le détail est très flou. Il est ainsi reproché à 14 d'entre elles d'avoir "tenté de troubler l'opinion publique en publiant des messages sur les réseaux sociaux". D'autres erraient de manière suspecte près de centres militaires, et certaines sont accusées d'avoir allumé délibérément des incendies. Quatre autres ont également été arrêtées à la mosquée Souleiman, selon la police de Téhéran, là encore pour des soupçons d'intelligence avec l'ennemi.
De la capitale Téhéran à Saqqez, dans le Kurdistan iranien, en passant par les villes de Rey, d'Ispahan ou la province du Lorestan, les annonces de ce type sont quotidiennes depuis le début des bombardements israéliens, dans la nuit du jeudi 12 au vendredi 13 juin. Les agences d'Etat iraniennes diffusent régulièrement des images d'hommes menottés au visage flouté, tandis que des agents des forces de l'ordre s'affairent autour de mini-drones ou de matériel électronique. Au moins 223 personnes ont déjà été arrêtées à ce stade, selon l'ONG Human Rights Watch, qui s'appuie sur un décompte réalisé à partir des médias officiels.
"Identifier les espions, les traîtres et les mercenaires"
L'agence iranienne Mehr a fait circuler jeudi des vidéos d'un chauffeur de taxi soupçonné d'être un espion du Mossad, en invitant la population à composer le 110, le 113 ou le 114 pour signaler d'autres cas suspects. La police, plus largement, incite à se méfier des véhicules Nissan et des vieux pick-up, alors qu'une partie de l'opération israélienne initiale semble avoir été préparée depuis le territoire iranien. Le chef des volontaires bassidjis, une branche des Gardiens de la Révolution qui compte des millions de membres, a appelé à "identifier les espions, les traîtres et les mercenaires du régime sioniste" en effectuant des patrouilles et des contrôles, selon un communiqué cité par l'agence Fars.
Impossible, au vu du contexte, de vérifier si ces arrestations reposent sur des éléments tangibles ou de séparer les soupçons légitimes d'une éventuelle paranoïa, voire d'un mouvement opportuniste du pouvoir pour étouffer encore plus les voix contestataires. "Tous ceux qui se disent contre le régime, pour la démocratie, la liberté et l'égalité hommes-femmes – c'est-à-dire les revendications du mouvement 'Femme, vie, liberté' – sont aujourd'hui qualifiés à tort de pro-israéliens, estime la sociologue franco-iranienne Azadeh Kian. La situation de guerre est également un prétexte pour mieux les réprimer. C'est aussi une raison pour laquelle une partie des personnes emprisonnées tente de clarifier ses positions en condamnant les bombardements israéliens."
"Jugé, puni et exécuté rapidement"
L'heure est à la plus grande sévérité, au moment où le pays est directement attaqué. "Les procureurs doivent coopérer avec les services de renseignement, de sécurité et les forces militaires", a estimé lundi Gholamhossein Mohseni-Ejei, à la tête du pouvoir judiciaire iranien, dans des propos rapportés par l'agence Mehr. "Si quelqu’un est arrêté parce qu’il a eu des contacts et a collaboré avec le régime sioniste, il doit être jugé, puni et exécuté rapidement." Une proposition de loi a été adoptée en urgence pour alourdir les peines infligées dans les affaires de coopération avec Israël. En plus des cas d'intelligence avec l'Etat hébreu, "toute interaction avec des institutions officielles, non officielles et des individus affiliés" à l'ennemi sera punie de la peine de mort.
L'ONG Iran Human Rights redoute donc, dans un communiqué publié jeudi, "une intensification de la répression et des exécutions dans les prochains jours". En 2024, au moins 975 personnes ont été exécutées en Iran, selon un rapport publié par deux ONG. Un nombre record depuis le début de ce recensement en 2008, qui pourrait encore augmenter dans le cadre du conflit ouvert.
"La crainte, c'est que le régime profite de cette situation pour exécuter les prisonniers politiques et intimider la société civile, déjà fragilisée par la guerre."
Azadeh Kian, sociologueà franceinfo
Pour des raisons évidentes, aucune critique n'est ouvertement exprimée contre le régime. Au début des frappes israéliennes, plusieurs habitants ont toutefois scandé des slogans contre l'ayatollah Ali Khamenei, selon un document obtenu par France Télévisions, en le tenant pour responsable des bombardements sur Téhéran. Beaucoup ont le sentiment d'être pris dans un étau. "Nous vivons chaque jour dans la peur. J'ai l'impression de marcher sur une route de charbons ardents sous une pluie acide", a déclaré un habitant de la capitale, dans un texto adressé au Guardian. "Nous voulons obtenir notre liberté selon nos propres conditions, et non par les bombes américaines."
Internet et les réseaux sociaux surveillés de près
Les autorités sont aux aguets sur tous les terrains. Au total, 206 personnes ont déjà été interpellées pour des contenus publiés en ligne ou une activité suspecte, selon l'ONG Hrana. "Certains utilisateurs égoïstes perturbent l'espace public en soutenant les actions du régime sioniste et en diffusant de fausses nouvelles", a commenté le procureur de la ville d'Izeh, cité vendredi par l'agence Mehr, après l'arrestation de trois nouvelles personnes. Au début de la semaine, les internautes ont été encouragés à signaler aux autorités les messages douteux et les sites incriminés.
Le ministère des Communications, par la suite, a pratiquement coupé l'accès à internet, craignant officiellement qu'Israël n'exploite le réseau à des fins militaires. L'Iran a été déconnecté mercredi en fin d'après-midi, selon les données publiées par l'organisme de surveillance NetBlocks basé à Londres. Seule une poignée d'utilisateurs du pays sont encore capables de se connecter via des VPN renforcés, toujours selon cette source, et 3% des Iraniens étaient encore reliés vendredi matin au réseau mondial. Ces difficultés de communication renforcent encore le sentiment d'isolement.
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Ce contexte anxiogène est encore compliqué par les files d'attente aux stations-service et la peur des bombardements, qui a poussé de nombreux habitants à fuir Téhéran. Des messages demandent régulièrement aux Iraniens de ne pas cliquer sur les liens reçus par SMS, en particulier ceux qui semblent provenir de banques. Il faut dire qu'un groupe de hackers israélien a récemment lancé deux opérations d'ampleur contre la banque Sepah et contre Nobitex, principale plateforme d'échange iranienne de cryptomonnaies.
Les minorités ne sont pas à l'abri. Les migrants afghans, dont les conditions de vie étaient déjà précaires dans le pays, ont également fait l'objet d'attaques sur les réseaux sociaux. Plusieurs centaines d'entre eux ont été accusés, par exemple, d'agir pour le compte du Mossad, dans des galeries souterraines. "Beaucoup quittent l'Iran, assure Azadeh Kian. Pour ne pas rester sous les bombes, d'une part, et parce qu'ils font l'objet de menaces et d'accusations de la part des autorités et de la population."