Conflit Israël-Iran : qui est Ali Khamenei, l'ayatollah au "rôle central" menacé par Benyamin Nétanyahou et Donald Trump ?
Il tient bon face aux menaces des Etats-Unis et d'Israël. "La nation iranienne s'oppose fermement à une guerre imposée, tout comme elle s'opposera fermement à une paix imposée. Cette nation ne se rendra jamais à l'imposition de qui que ce soit", a affirmé le guide suprême de l'iran, Ali Khamenei, mercredi 18 juin, au sixième jour du conflit déclenché par Israël contre l'Iran. D'après le New York Times, l'ayatollah, ennemi de l'Etat hébreu, a quitté la capitale iranienne, bombardée par l'armée israélienne, pour un "lieu tenu secret, où il peut rester en contact avec l'armée".
Les Etats-Unis "savent exactement où se cache le soi-disant 'guide suprême'" iranien, mais ne comptent pas "l'éliminer (le tuer !), du moins pour le moment", avait lâché mardi le président américain, Donald Trump. Son allié Benyamin Nétanyahou, Premier ministre israélien, a quant à lui estimé que tuer l'ayatollah "mettr[ait] fin au conflit", dans un entretien à la chaîne américaine ABC. Qui est le dirigeant de la République islamique d'Iran, au pouvoir depuis 1989 et désormais ciblé directement par les Etats-Unis et Israël ? Eléments de réponse.
Un étudiant en religion inspiré par l'ayatollah Khomeini
Ali Khamenei est né en 1939 dans la ville de Machhad, dans le nord-est de l'Iran. Il est le fils d'un religieux, comme le rappelle le journal britannique The Guardian. "Il vient d'un milieu relativement démuni, et il va se hisser vers le système des écoles religieuses", relate auprès de franceinfo Kevan Gafaïti, spécialiste de l'Iran et chercheur doctorant en relations internationales à l'université Paris-Panthéon-Assas. Au cours des années 1960, le jeune Iranien poursuit des études de religion à Qom, ville située au sud de Téhéran. Il y est formé par d'influents intellectuels chiites, selon Britannica.
Il se rapproche alors de la pensée de l'ayatollah Ruhollah Khomeini, figure de la communauté chiite d'Iran et critique du shah, Mohammad Reza Pahlavi, le monarque qui dirige le pays. Ali Khamenei prend part à des manifestations contre le dirigeant dès 1963, jusqu'à être arrêté et incarcéré à plusieurs reprises, d'après l'encyclopédie. Il mène au cours des années suivantes plusieurs missions pour l'ayatollah désormais exilé. Il devient alors un allié du futur dirigeant de l'Iran.
"Ali Khamenei ne fait pas partie de l'entourage immédiat, proche de Khomeini. Il va néanmoins rapidement commencer à se rapprocher des cercles les plus concentriques de la Révolution, puis de la République islamique."
Kevan Gafaïti, chercheur en relations internationales spécialiste de l'Iranà franceinfo
Car après quinze ans d'exil, le chef religieux Khomeini revient dans son pays à l'issue d'une Révolution qui pousse le dernier shah d'Iran à l'exil. Ce mouvement de protestation du peuple iranien aboutit, début 1979, à la mise en place d'une République islamique, avec à sa tête Ruhollah Khomeini. Un nouveau régime approuvé par référendum fin mars, et au sein duquel Ali Khamenei prend une place de plus en plus importante.
Une figure des débuts du régime des mollahs
Comme le rappelle Britannica, en 1979 l'Iranien, alors âgé de 40 ans, est nommé membre du conseil révolutionnaire, avant d'être ministre adjoint de la Défense et représentant du guide suprême Khomeini au conseil de la Défense. Ali Khamenei prend également temporairement la tête du corps des Gardiens de la Révolution, l'armée idéologique de la République islamique. Il sera en outre l'un des négociateurs dans la crise des otages à Téhéran, au cours de laquelle des citoyens américains sont retenus pendant 444 jours.
Deux ans après la Révolution et l'émergence de la République islamique, Ali Khamenei trace un chemin jusqu'à la présidence de l'Iran. L'Iranien est un membre fondateur du Parti de la République islamique (PRI) et en devient le secrétaire général, après des attentats meurtriers pour la direction du parti. Lui-même est blessé en 1981 lors d'une tentative d'assassinat qui lui fait perdre l'usage d'un bras, rappelle le Guardian. Nommé candidat de son parti à la présidence, il est élu en 1981 puis en 1985. Ses mandats sont marqués par la guerre opposant l'Iran à l'Irak, entre 1980 et 1988. Si le guide suprême concentre les pouvoirs, "le président a des compétences résiduelles", note Kevan Gafaïti.
Après la mort de l'ayatollah Khomeini en juin 1989, Ali Khamenei, alors âgé de 50 ans, devient le deuxième guide suprême de la République islamique. Des évolutions de la Constitution du pays, cette même année, lui confèrent un vaste pouvoir politique, note Britannica. Il s'était rendu à l'étranger, en Corée du Nord, en 1989, lorsqu'il était président, mais n'est jamais sorti de son pays depuis sa prise de fonction. Tous ses déplacements sont tenus secrets et se font sous haute sécurité.
Un leader au rôle "central" depuis 1989
La majorité des Iraniens n'ont jamais connu qu'Ali Khamenei à la tête du pays. Le guide suprême en supervise la défense, nomme les dirigeants des institutions judiciaires, médiatiques et sécuritaires, énumère le New York Times. Il est chargé du corps des Gardiens de la Révolution et peut décider qui est en lice pour toute élection présidentielle. Le guide suprême a d'ailleurs le pouvoir de destituer un président, relève BFMTV. Le développement du programme nucléaire n'échappe pas non plus à son contrôle. "Si l'Iran a négocié avec les Etats-Unis depuis janvier, c'est que l'ayatollah Khamenei l'a accepté. C'était la même chose en 2015", explique Kevan Gafaïti.
"L'ayatollah Khamenei joue un rôle complètement central dans la République islamique d'Iran", résume sur franceinfo le spécialiste de l'Iran Thierry Coville, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). "C'est le religieux qui guide, mais il ne s'est pas contenté simplement d'un rôle où il donne la direction. Il prend toutes les grandes mesures, les grandes décisions", poursuit-il.
"Il est la clé de voûte des institutions iraniennes. Les questions sociales, le caractère islamique de la société et de l'Etat sont entre ses mains, et la politique étrangère l'est aussi, quasi intégralement."
Kevan Gafaïti, chercheur en relations internationales spécialiste de l'Iranà franceinfo
Ali Khamenei assied son pouvoir depuis les années 1990, au cours desquelles plusieurs de ses opposants ont été ciblés, développe le Guardian. Le guide suprême a répondu par la répression aux différentes mobilisations qui ont contesté son régime, comme le récent mouvement "Femme, vie, liberté", lancé en réaction à la mort en détention de Mahsa Amini, en septembre 2022. En moins de six mois, au moins 19 000 manifestants ont été arrêtés et 530 d'entre eux ont été tués, d'après un bilan de l'ONG Hrana. La réponse des autorités et des forces de l'ordre "a été draconienne", expliquait à l'époque Hadi Ghaemi, directeur exécutif du Centre pour les droits de l'homme en Iran.
Au fil des trente-six dernières années, l'ayatollah Khamenei a également vivement appuyé les alliés de l'Iran membres de l'"axe de la résistance" dans la région, du Hamas palestinien au Hezbollah libanais. Un ensemble d'acteurs anti-israéliens et anti-américains que Téhéran a financés, formés et armés. Ces groupes sont néanmoins affaiblis depuis les attaques terroristes du 7-Octobre et les représailles de l'armée israélienne au Proche-Orient.
Ali Khamenei "se félicitait d'avoir contenu les conflits loin des frontières de l'Iran depuis sa prise de fonction en 1989", relève, cité par l'AFP, Jason Brodsky, de l'organisation basée aux Etats-Unis United Against Nuclear Iran (UANI). Mais il "a fait une grosse erreur de calcul", juge l'analyste, soulignant que "ce qui se passe aujourd'hui est d'une tout autre ampleur". Depuis vendredi, les frappes israéliennes sur le sol iranien ont porté un coup sévère au commandement des forces armées iraniennes, et ainsi au régime même. Ali Khamenei "est au crépuscule de son règne, à 86 ans, et une grande partie du pouvoir quotidien ne dépend pas de lui mais de plusieurs factions qui se disputent le pouvoir, estime Arash Azizi, chercheur à l'université de Boston. Le processus était déjà en cours et la guerre actuelle ne fait que l'accélérer."