INTERVIEW. Tuer l'ayatollah Khamenei mettrait-il "fin au conflit" entre Israël et l'Iran, comme l'affirme Benyamin Nétanyahou ?

Tuer l'ayatollah Ali Khamenei, le guide suprême iranien, "mettra fin au conflit" entre Israël et l'Iran, a déclaré lundi le Premier ministre israélien Benjamin Nétanyahu dans une interview accordée à la chaîne de télévision américaine ABC. Mais à quel point l'ayatollah Ali Khamenei, 86 ans, est l'homme-clé de ce conflit ? Éléments de réponse avec Thierry Coville, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialiste de l'Iran et auteur de L'Iran une puissance en mouvement (éditions Eyrolles).

Franceinfo : Si l'ayatollah Khamenei était effectivement éliminé, cela mettrait-il fin au conflit entre Israël et l'Iran ?

Thierry Coville : Ce n'est pas sûr. Que l'ayatollah Khamenei joue un rôle complètement central dans la République islamique d'Iran, c'est une vérité. C'est le religieux qui guide mais il ne s'est pas contenté simplement d'un rôle où il donne la direction. Il prend toutes les grandes mesures, les grandes décisions. Personne n'est capable de le remplacer, personne n'a sa carrure. Donc son assassinat créerait un vide et serait un moment de vérité pour la République islamique d'Iran. Mais est-ce que ça arrêterait la guerre ? Ça, personne n'en sait rien. À un moment on parlait d'un conseil pour le remplacer. L'Iran est un pays qui, au cours de son histoire, a régulièrement été envahi et a toujours démontré des capacités de résistance insoupçonnées. Le risque, ce serait qu'il y ait quelqu'un d'encore plus radical que lui, et qui soit en complet porte à faux avec la majorité de la population.

Khamenei entretient-il l'hostilité envers Israël ?

L'hostilité vis-à-vis d'Israël remonte aux années 1960. Dans les premiers discours de l'imam Khomeini [fondateur de la République islamique d'Iran, ndlr] en tant qu'homme politique, il critique le Shah pour son alliance avec Israël. Donc ça vient de loin. Le refus de considérer Israël comme un État normal, l'idée d'une résistance, d'une bataille militaire contre Israël, le fait de qualifier Israël de "tumeur cancéreuse", etc. c'est une idéologie radicale. Les modérés, généralement, n'en parlent pas, et cela pour montrer qu'ils ne sont pas d'accord. Mais c'est une ligne politique qu'il est impossible de remettre en cause en Iran puisqu'elle est au cœur du projet de la République islamique d'Iran.

À quel point l'ayatollah a encouragé le développement de l'arme nucléaire, qui est au cœur du conflit entre Israël et l'Iran ?

Khamenei est le personnage politique principal de l'Iran depuis la mort de Komeini en 1989. Donc à chaque fois il a donné le la. Mais la décision d'aller vers la bombe nucléaire au milieu des années 1980 est liée à deux éléments. Le Conseil de sécurité des Nations unies n'a jamais condamné Saddam Hussein après l'attaque menée contre l'Iran en 1980. À l'époque, le président irakien avait déjà sorti l'argument de l'attaque préventive en disant que "la révolution iranienne menace l'Irak, donc j'attaque le premier". Donc l'idée de l'Iran, c'était "je suis attaqué et le droit international ne me protège pas, donc il serait bien que j'aie une force de dissuasion". Donc, ce n'est pas seulement Khamenei, c'est aussi une réflexion stratégique. Ils ont beaucoup d'ingénieurs nucléaires et la question était donc de savoir comment utiliser ces connaissances. Moi j'ai vu des articles d'experts israéliens, qui disent qu'il ne faut pas attaquer l'Iran parce que ça va leur donner envie d'avoir une force de dissuasion nucléaire. Donc cette idée qu'en supprimant Khamenei, on supprime les problèmes, c'est en fait beaucoup plus compliqué que ça.