Frappes américaines en Iran : Donald Trump pouvait-il déclencher l'attaque sans l'accord du Congrès ?

Alors que les regards étaient tournés vers l'escalade militaire entre Israël et l'Iran, Donald Trump a franchi un nouveau seuil en ordonnant, samedi 21 juin, une série de frappes aériennes contre plusieurs installations nucléaires iraniennes. Mais à Washington, le président américain a agi sans consulter le Congrès.

Un choix critiqué par le camp démocrate, à l'instar du sénateur Bernie Sanders, qui a dénoncé une décision "grossièrement inconstitutionnelle". "La seule entité qui peut impliquer ce pays dans une guerre est le Congrès des Etats-Unis. Le président n'a pas le droit", a-t-il martelé quelques heures après les frappes, devant une foule à Tulsa (Oklahoma). Pour la députée Alexandria Ocasio-Cortez, "c'est une violation flagrante de la Constitution et des prérogatives du Congrès en matière de guerre", a-t-elle écrit sur X. Elle a ajouté : "Il s'agit d'un motif absolu et évident de destitution."

Ces critiques font parfois écho à celles au sein du camp républicain. "Bien que la décision du président Trump puisse s'avérer juste, il est difficile d'imaginer une justification qui soit constitutionnelle", a déclaré, sur le même réseau social, le représentant Warren Davidson, pourtant allié habituel de Donald Trump.

Une Constitution à double lecture

Les bases du débat se trouvent dans l'interprétation de deux articles de la Constitution américaine. D'un côté, les démocrates soutiennent que l'article I, section 8, donne au Congrès le pouvoir exclusif de "déclarer la guerre" et de "lever et entretenir des armées". Les fondateurs de la démocratie américaine mentionnaient ainsi "l'importance de cette clause en raison de sa capacité à limiter le pouvoir présidentiel", expliquent les professeurs de droit Michael D. Ramsey et Stephen I. Vladeck dans un essai pour le National Constitution Center. 

Les partisans du président américain invoquent quant à eux l'article II, section 2 de la Constitution américaine, qui désigne le président comme "commandant en chef" des forces armées. Depuis la Seconde Guerre mondiale, cette formule a été utilisée pour justifier le droit du président à engager l'armée dans des opérations militaires ponctuelles sans attendre l'autorisation du Congrès. Cela permet au président américain de lancer des frappes ou des opérations limitées, sans déclaration formelle de guerre ni vote du Congrès, surtout s'il invoque la nécessité de protéger des intérêts stratégiques à l'étranger, selon CNN. L'administration de Donald Trump justifie ainsi sa décision au nom de la prévention de la prolifération du programme nucléaire iranien. "Le président avait l'autorité claire d'agir pour empêcher la prolifération d'armes de destruction massive", a notamment soutenu, dimanche, le vice-président J.D. Vance, lors d'une interview avec NBC News. "Ce n'est pas une guerre contre l'Iran", a assuré de son côté le secrétaire d'Etat Marco Rubio, le même jour, sur Fox News.

Un article II déjà utilisé par l'exécutif américain

En pratique, c'est cette lecture de l'article II qui a servi de base à de nombreuses interventions lancées par les présidents américains depuis 1945, rappelle le New York Times. Parmi eux, Harry Truman en Corée (1950), Ronald Reagan en Libye (1986) ou à Grenade (1983), Bill Clinton au Kosovo (1999) ou encore Barack Obama en Irak (2014). Chacune de ces actions a ainsi été décidée sans l'accord préalable du Congrès, explique le journal américain. 

Pour les démocrates, les frappes contre l'Iran dépassent toutefois le cadre d'une simple opération ponctuelle et équivalent à un acte qui pourrait dégénérer en une véritable guerre. Ce type de décision ne peut alors être prise que par le Congrès, selon le parti d'opposition. "C'est une guerre offensive de choix", a notamment tranché le sénateur démocrate Tim Kaine lors d'une interview avec Fox News Sunday. Une idée renforcée dimanche matin par Donald Trump lorsqu'il a suggéré, sur son réseau Truth Social, l'idée d'un changement de régime en Iran.

Une autre loi américaine nécessite la consultation du Congrès

Au-delà de l'article I, section 8, il existe le War Powers Act (en français "la loi sur les pouvoirs de guerre"), une autre loi censée limiter le pouvoir du président d'engager les forces armées dans des conflits sans l'accord préalable du Congrès. Votée en 1973, elle a pour objectif de limiter la marge de manœuvre du président des Etats-Unis dans l'engagement des forces armées sans l'accord du Congrès, explique le National Constitution CenterLa résolution précise que le président peut utiliser ses pouvoirs de commandant en chef, sans consulter les élus du Capitole, seulement en cas d'"urgence nationale créée par une attaque contre les Etats-Unis, leurs territoires ou possessions, ou leurs forces armées".

Si Téhéran avait averti, le 11 juin, qu'il ciblerait les bases militaires américaines au Moyen-Orient en cas de conflit avec les Etats-Unis, aucune de ces conditions n'était remplie, soutiennent des élus démocrates cités par NBC News"Quand il existe une menace claire et imminente pour les citoyens américains, le commandant en chef a le droit d'agir", a notamment déclaré, dimanche, le sénateur démocrate Mark Kelly. Et d'ajouter : "Ce n'était pas le cas ici."

Une idée confirmée par le professeur Ryan Goodman, spécialiste du droit international, cité par le New York Times, pour qui "la loi exige que l'attaque soit imminente". "Il est très difficile de voir comment l'administration peut satisfaire à ce critère, même selon une lecture juridique indulgente", assure-t-il.

Dans le cas iranien, plusieurs juristes interrogés par les médias américains estiment ainsi que l'opération menée par l'exécutif franchit une limite. "C'est une action suffisamment étendue pour être considérée comme une guerre et non comme une frappe limitée. Elle requiert donc une autorisation du Congrès", affirme Ilya Somin, professeur à la George Mason University, cité par CNN. "C'est, selon moi, illégal au regard du droit international comme du droit américain", assure Oona Hathaway, spécialiste de droit international à la faculté de droit de Yale, qui a travaillé au département de la défense, auprès du New York Times. Brian Finucane, ancien juriste interrogé par le quotidien américain, ajoute : "Il est clair qu'il y a un conflit armé avec l'Iran, donc le droit de la guerre s'applique."

Le 17 juin, avant le déclenchement de l'opération américaine en Iran, le sénateur démocrate Tim Kaine avait déposé un projet de loi visant à obliger Donald Trump à obtenir l'autorisation du Congrès avant toute frappe militaire contre l'Iran. La veille, un autre projet, baptisé "No War Against Iran Act", avait été introduit par le sénateur Bernie Sanders. Il prévoit d'interdire le financement de toute opération militaire contre l'Iran, sauf autorisation explicite du Congrès.