Frappes américaines en Iran : comment Donald Trump est passé de "faiseur de paix" à va-t-en-guerre contre Téhéran
"En plein dans le mille !" Donald Trump s'est ainsi félicité des frappes américaines contre trois sites nucléaires iraniens dans la nuit de samedi à dimanche. Le président des Etats-Unis a salué la "destruction totale" des installations stratégiques et les "dégâts monumentaux" provoqués par son armée de l'air, tout en effleurant l'idée d'un changement de régime dans la République islamique. En réaction, Téhéran a promis des "conséquences irréparables" pour les Etats-Unis et a annoncé avoir lancé des missiles, lundi 23 juin, contre des bases militaires américaines au Moyen-Orient. En donnant son feu vert aux bombardements de Fordo, Natanz et Ispahan, Donald Trump a en tout cas mis un terme à plusieurs jours d'atermoiement, après les premières frappes israéliennes sur l'Iran, le 13 juin. Il est aussi entré en contradiction avec lui-même, lui qui promettait d'être un fin négociateur pour la paix.
"Je veux la paix au Moyen-Orient"
Depuis dimanche, le rapport de force instauré avec l'Iran a effacé ses promesses de campagne. Lors de ses meetings, Donald Trump répétait allégrement qu'il s'engagerait à résoudre les conflits en cours s'il était élu à la Maison Blanche. "Nous unissons nos forces pour mettre un terme aux guerres éternelles à l'étranger", déclarait le candidat républicain. "Je veux la paix au Moyen-Orient", "Je mettrai fin au chaos au Moyen-Orient et j'empêcherai la Troisième guerre mondiale", clamait-il encore face à ses partisans en octobre et novembre, rappelle la chaîne CNBC. Entre autres bravades, il avait aussi promis qu'il mettrait fin à la guerre en Ukraine "en vingt-quatre heures".
"Il s'agissait de l'un des aspects importants de sa campagne", souligne l'historienne Ludivine Gilli, spécialiste des Etats-Unis. "L'économie et l'immigration étaient au premier plan, mais il y avait cette rhétorique de faiseur de paix", analyse-t-elle.
"Il y avait [dans la campagne de Donald Trump] l'idée du désengagement des Etats-Unis, le fait de se replier sur les intérêts américains, et de ne plus se mêler des affaires du monde."
Ludivine Gilli, spécialiste des Etats-Unisà franceinfo
Ce discours, Donald Trump l'a d'ailleurs utilisé sans modération contre ses rivaux démocrates. "Le monde entier explose avec lui", taclait-il face au président sortant Joe Biden, il y a un an. "Biden va nous entraîner dans la Troisième guerre mondiale", lâchait-il contre son opposant, relève CNN. Ces arguments du républicain s'inscrivaient "dans le contexte des attaques du 7-Octobre, du conflit au Proche-Orient et de l'incapacité de Joe Biden à infléchir la situation", mais aussi sur fond de "guerre interminable et de retrait calamiteux [américain] de l'Afghanistan", se remémore Ludivine Gilli.
"Il dit une chose et son contraire"
Lors de son discours d'investiture, le 20 janvier 2025, le 47e président des Etats-Unis s'est de nouveau posé en défenseur de la paix. "Nous mesurerons notre succès non seulement aux batailles que nous remporterons, mais aussi aux guerres que nous arrêterons. Et surtout, aux guerres que nous ne commencerons jamais", avait avancé le dirigeant populiste. "L'héritage dont je serai le plus fier sera d'être un faiseur de paix et un rassembleur."
Peu de temps après, pourtant, il a répété sa volonté de reprendre le contrôle du canal de Panama. Avant de menacer le Groenland d'annexion et de vouloir faire du Canada le 51e Etat américain... "Il a quand même un discours extrêmement impérialiste. Cela contredit la rhétorique du faiseur de paix, mais c'est symptomatique du discours de Donald Trump", analyse Ludivine Gilli. "Il dit une chose et son contraire et il s'en tire à bon compte."
"Il n'y a pas [pour Donald Trump] de politique étrangère coordonnée, réfléchie et délibérée."
Ludivine Gilli, spécialiste des Etats-Unisà franceinfo
Le président américain cherche-t-il alors réellement la paix ? Une chose est sûre : il est certain de mériter le prix Nobel de la paix. Et c'est peut-être cette récompense personnelle qui motive sa quête affichée de "deals" entre belligérants. En attendant la signature d'accords, les pourparlers se multiplient. En avril, les premiers échanges sur le dossier du nucléaire iranien avaient été jugés "constructifs" par Washington et Téhéran. Quatre autres rencontres ont lieu par la suite jusqu'à la fin mai.
Dans ces négociations, "les volontés de Trump sont multiples", observe le chercheur Sylvain Gaillaud, spécialiste des relations entre les Etats-Unis et l'Iran. "Il veut faire oublier le fait qu'il a promis de résoudre la guerre en Ukraine en vingt-quatre heures. Il avait aussi promis qu'il reviendrait sur cette question du nucléaire iranien", après son retrait de l'accord de 2015 entre Téhéran et la communauté internationale. Malgré cette volonté affichée de négocier avec Téhéran, le milliardaire partage avec Benyamin Nétanyahou, le Premier ministre israélien, "une très forte inimitié pour l'Iran et un rejet de sa nucléarisation", rappelle Sylvain Gaillaud. Surtout, il continue de développer "un culte du rapport de force".
"Peut-être que Donald Trump a fait un énorme pari"
La veille des frappes de l'Etat hébreu sur des installations militaires et nucléaires iraniennes, le président américain disait officiellement privilégier la diplomatie avec la République islamique. "Nous sommes assez proches d'un bon accord. (...) Je ne veux pas qu'ils [Israël] interviennent, car je pense que cela ferait tout capoter", avait-il clamé le 12 juin. Le ton change vingt-quatre heures plus tard. Dans ses habituelles contradictions, Donald Trump salue une "excellente" opération de l'Etat hébreu qui vient d'officialiser ses premières frappes.
Les jours suivants, le chef d'Etat américain souffle encore le chaud et le froid, laisse planer le doute sur une possible réponse américaine en soutien à Israël. "Il est possible que nous intervenions. Mais pour l'instant, nous ne sommes pas impliqués", déclare-t-il le 15 juin. "Je vais peut-être le faire, peut-être pas", renchérit-il trois jours plus tard. Puis Donald Trump annonce qu'il prendra "d'ici deux semaines" la décision d'engager ou non les Etats-Unis dans ce conflit. Les bombardements américains, dimanche à l'aube en Iran, prennent de court Téhéran.
En coulisses, des membres de l'administration Trump ont senti ces dernières semaines qu'ils ne pourraient plus empêcher des frappes israéliennes contre l'Iran, rapporte The New York Times. Comment le "faiseur de paix" a-t-il finalement justifié sa décision d'attaquer l'Iran ?
"Il a dit qu'il était arrivé au bout de sa patience par rapport à ce pays et à l'enlisement des négociations"
Sylvain Gaillaud, spécialiste des relations entre l'Iran et les Etats-Unisà franceinfo
La veille des frappes israéliennes, l'Iran avait annoncé la construction d'un nouveau site d'enrichissement d'uranium et une hausse significative de sa production d'uranium enrichi. Ce qui a pu être perçu comme "une volonté de surenchère nucléaire et de l'insolence", poursuit Syvain Gaillaud. "Peut-être que Donald Trump a aussi tenté un énorme pari : le fait que les frappes puissent accélérer la fin du conflit, en acculant les Iraniens à la négociation." Si ce pari était le bon, il pourrait alors clamer son statut d'"artisan de la paix". La paix, selon Donald Trump.