Guerre en Ukraine : "Ce n'est pas l'armée russe qui a avancé, ce sont des opérations de commando", explique l'analyste géopolitique Gérard Vespierre

Alors que l'Europe a invité Volodymyr Zelensky à participer à une réunion en visioconférence, deux jours avant la rencontre au sommet Trump-Poutine en Alaska, quel poids peut avoir l'Europe dans ces négociations ? C'est une des questions auxquelles l'invité du "10 minutes info" de franceinfo mercredi 13 août 2025, Gérard Vespierre, s'est chargé de répondre. L'analyste géopolitique et fondateur du média Le Monde Décrypté était ainsi au micro de Nathalie Layani et Robin Dussenne.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription du reportage ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.


Nathalie Layani : Un mot d'abord sur les derniers événements sur le front ukrainien et cette percée de plusieurs groupes de soldats russes qui ont avancé d'environ 10 km dans la région de Donetsk, dans le Donbass. "Ils seront détruits", affirme Volodymyr Zelensky, qui a exclu tout retrait du Donbass au profit des Russes. Poutine avance, Zelensky refuse toute concession territoriale. Est-ce qu'il va pouvoir encore tenir longtemps sur cette ligne qui commence à agacer Donald Trump ?

Gérard Vespierre : Je crois que les choses sont infiniment plus compliquées que cela et à la fois plus simples. Les groupes de soldats qui avancent, vous savez, on peut montrer des images, ça ne veut pas dire que l'armée russe a gagné 10 ou 50 km². L'estimation est d'un gain de 1000 km par an, il reste 500 000 km², c'est-à-dire qu'à ce rythme-là, il faudrait 500 ans pour que l'armée russe occupe toute l'Ukraine. Donc il faut, comme on dit philosophiquement, raison garder. En ce qui concerne les discussions sur les territoires, il y a des possibilités d'échanges. Donc il y a un échange fictif, celui proposé par la Russie, en disant "finalement on ne va pas exiger ce que nous avons exigé, on n'y est pas encore, donc on ne va pas y aller". C'est-à-dire les restes des oblasts de Donetsk et de Lougansk.

D'un autre point de vue, je pense qu'il serait très important pour l'Ukraine de récupérer la centrale nucléaire de Zaporijia. Et si effectivement la Russie faisait cette concession-là sur quelques dizaines de kilomètres carrés, représentant 20 % de la production potentielle d'électricité ukrainienne, je pense que le pouvoir et la population ukrainienne seraient prêts à quelques concessions. Voilà un schéma possible.

"Il faut encore une fois raison et calme garder"

Robin Dussenne : Tout de même, je me permets de revenir sur cette percée relativement fulgurante de la part de l'armée russe. Pendant les trois ans et demi de conflits, on a vu l'armée ukrainienne défendre quelques centaines de mètres, quelques kilomètres pendant des semaines, pendant des mois. Et là, en un claquement de doigts, presque dix kilomètres. C'est surprenant du point de vue de l'armée ukrainienne.

Vous parlez de l'armée russe ou de cinq soldats russes avec un drapeau ? Des opérations de commando qui arrivent au bon moment, le bon jour, pour les médias du monde entier, c'est une chose. La présence d'un corps blindé et de 150 canons, c'est autre chose. Donc ce n'est pas l'armée russe qui a avancé, ce sont des opérations de commando. À mon sens, humblement, et ce sont les images qui nous permettent de dire ça, je ne vois pas l'armée. Je vois trois hommes sur un toit, n'est-ce pas ? Il faut encore une fois raison et calme garder. La rationalité de l'analyse géopolitique exige cela. On n'est pas dans l'émotion géopolitique, on est dans le rapport de fond.

Nathalie Layani : Comment peut peser l'Europe si elle ne veut pas juste être cantonnée au rôle ingrat du service après-vente d'une paix qu'elle n'aura pas négociée ?

Le service après-vente qui consiste à apporter des milliards pour relever les ruines de l'Ukraine, pour faire venir l'Ukraine dans les institutions, au moins démocratiques, finaliser toutes les procédures anti-corruption, faire allier l'Ukraine avec Bruxelles et l'Union européenne, au moins en termes d'échanges, apporter des éléments de technologie, va être essentiel. Vous allez avoir une confrontation entre le développement économique de l'Ukraine dans les 15 prochaines années et la reconstruction de la Russie.

Cette dernière va avoir beaucoup de travail dans les 15 ans à venir. D'abord pour reconstruire Marioupol et toutes les villes qui ont été détruites par son armée. Deuxièmement, dans 15 ans, quel va être le poids du pétrole et du gaz russes dans un monde qui essaie tous les ans, tous les jours, de se décarboniser ? Donc la rencontre de l'histoire va être très intéressante pour les 15 années à venir parce que le futur des ressources russes n'est pas assuré, mais 420 millions d'Européens vont aider l'Ukraine à se relever.