Réforme des retraites : quelle est la marge de manœuvre de François Bayrou pour éviter la censure de son gouvernement ?
Un mois après son entrée en fonction, François Bayrou entame sa semaine la plus délicate à Matignon. Confronté à la crise des finances publiques, avec un pays pour l'instant sans budget 2025, le Premier ministre doit prononcer mardi 14 janvier sa déclaration de politique générale, sorte de grand oral destiné à présenter les orientations privilégiées par le chef du gouvernement. Parviendra-t-il à convaincre une partie de la gauche de lui laisser sa chance, sans perdre le soutien du socle commun, composé du bloc présidentiel et de la droite ?
L'équation semble aussi complexe que le calendrier est serré. Sitôt la déclaration de politique générale passée, mardi, La France insoumise va déposer une motion de censure destinée à faire tomber le gouvernement à peine nommé. Et, en fin de semaine, chaque groupe devra alors choisir entre deux options : voter la censure du gouvernement du Béarnais, ou le laisser continuer sa périlleuse mission à Matignon. Pour l'heure, les intentions d'une partie de l'Assemblée nationale sont claires : les insoumis voteront la censure, tandis que le bloc présidentiel et la droite ne la voteront pas.
Alors que 289 suffrages sont indispensables pour la chute du gouvernement (sur 577), l'avenir de François Bayrou dépendra donc du choix des autres groupes parlementaires. Dans ce contexte, la réforme des retraites reste le sujet incontournable pour savoir si une partie de la gauche et l'extrême droite choisiront, ou non, la censure.
Un "gel" de la réforme pour convaincre la gauche ?
A gauche, socialistes, écologistes et communistes ont tenté, ces dernières semaines, de mettre la pression sur le gouvernement au travers de discussions avec plusieurs ministres. "Nous avons à la fois des revendications, mais aussi des solutions qui permettent d'avancer. Le gouvernement a ses propres lignes rouges et nous cherchons à voir quelles sont les voies qui permettent la conciliation", a expliqué Olivier Faure, dimanche, sur BFMTV. Le patron des socialistes décrit "une vraie discussion", mais estime que "le compte n'y est pas encore".
Partisans sur le fond d'une abrogation pure et simple de la réforme des retraites, les trois groupes demandent, a minima, la suspension de cette loi portée par Elisabeth Borne en 2023. Dans le détail, ils souhaitent que l'âge légal de départ, censé atteindre progressivement 64 ans, soit "figé" à son niveau actuel de 62 ans et demi, et ce, sans se fixer de limite de temps pour ce gel, a précisé à l'AFP le porte-parole du groupe PS à l'Assemblée nationale, Arthur Delaporte.
L'exécutif "a envie d'aboutir", croit savoir le parlementaire du Calvados, alors que La France insoumise continue de fustiger cette stratégie et appelle ses partenaires du NFP à censurer quoi qu'il arrive. "Ceux qui refusent la censure valident le coup de force de Macron en juillet dernier refusant le résultat des élections", a encore mis en garde Jean-Luc Mélenchon sur son blog, dimanche matin.
De l'autre côté de l'hémicycle, le Rassemblement national laisse toujours planer le suspense sur son choix lors de la prochaine motion de censure et des suivantes, le cas échéant. A propos des retraites, le député Jean-Philippe Tanguy a dénoncé "une escroquerie politique", car il estime improbable que le gouvernement fasse des concessions majeures. "Les groupes socialistes, écolos et communistes sont prêts à se faire acheter avec n'importe quelle promesse", a-t-il lancé, vendredi, à la sortie d'un rendez-vous à Bercy avec les ministres chargés d'élaborer le budget 2025. "Prétendre qu'on peut garantir une retraite à 62 ans sans effort budgétaire ailleurs, c'est une mystification."
Des désaccords au sein du socle commun du centre et de droite
Défié par la gauche, mis en ballottage par l'extrême droite, François Bayrou peut payer politiquement certaines concessions sur ce dossier des retraites, jamais vraiment refermé depuis deux ans. Ainsi, Gérard Larcher, président Les Républicains du Sénat, a prévenu samedi dans Le Parisien qu'il ne souhaitait "ni suspension ni abrogation" de la réforme.
Pour lui, "participation [des Républicains (LR) au gouvernement] ne veut pas dire renoncement", signe que les LR n'ont aucune envie de se voir imposer le fruit de cette négociation entre le centre et la gauche. De la même manière, les membres du parti Horizons, flanc droit du bloc présidentiel, sont attachés à la mise en œuvre de cette réforme pour viser l'équilibre financier du système de retraites.
Pour autant, François Bayrou peut compter sur le soutien d'une partie de son camp pour tenter de trouver un terrain d'entente avec la gauche. D'abord, à en croire ses proches, Emmanuel Macron ne ferait pas du maintien du report de l'âge légal à 64 ans un totem. "Il faut arrêter de faire de la réforme des retraites un marqueur identitaire du président", s'agaçait l'un d'entre eux auprès de franceinfo, vendredi. "Son marqueur, c'est la création de richesses pour le pays par le travail. La réforme des retraites en a été un instrument" et pourrait donc être remplacée.
De son côté, la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a affiché sa volonté, dimanche sur France Inter et franceinfo, d'aller dans le sens du compromis. "Moi, ce qui me convient, c'est qu'on rediscute", a-t-elle déclaré.
"Comme d’autres, je vois que cette réforme est injuste. Si nous parvenons à avoir un système qui permet de beaucoup mieux corriger ces inégalités-là, moi je signe tout de suite."
Yaël Braun-Pivet, présidente de l'Assemblée nationalesur franceinfo et France Inter
En désaccord sur cette question, Gérard Larcher et Yaël Braun-Pivet pourront faire valoir leurs points de vue directement auprès de François Bayrou. Les présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale seront reçus à Matignon, lundi, à 17h30. La déclaration de politique générale sera justement à l'ordre du jour de ce rendez-vous, ainsi que le calendrier parlementaire et le budget, précise l'entourage de la présidente de l'Assemblée à franceinfo.