«Victoire morale», «Enfin!», «cadeau au Hamas»... La future reconnaissance d’un État palestinien par la France fracture la classe politique
L’effet de surprise d’Emmanuel Macron semble réussi. Alors que la conférence coprésidée par la France et l’Arabie saoudite visant à relancer la solution de «deux États» au Proche-Orient - palestinien et israélien -, initialement prévue en juin, avait été reportée à la dernière minute en raison de la «guerre des Douze-Jours» entre Israël et l’Iran, elle aura finalement lieu en septembre, à l’occasion de l’Assemblée générale de l’ONU. Un rendez-vous annuel dont le président de la République profitera pour reconnaître au nom de la France, l’État de Palestine, a-t-il annoncé ce jeudi soir sur le réseau social X. Geste diplomatique que le chef de l’État avait déjà laissé entrevoir en avril dernier.
Avec en toile de fond la situation humanitaire désastreuse dans la bande de Gaza, où l’armée israélienne mène depuis plus de vingt et un mois sa réplique militaire aux attaques terroristes du 7 octobre 2023 perpétrées par le Hamas, Emmanuel Macron affirme que son initiative s’inscrit dans l’«engagement historique pour une paix juste et durable au Proche-Orient» auquel il se dit «fidèle». Par-dessus tout, le président espère que sa démarche contribuera à «assurer la viabilité» de la Palestine et à «permettre qu’en acceptant sa démilitarisation et en reconnaissant pleinement Israël, (elle) participe à la sécurité de tous au Proche-Orient». Un argumentaire qui sans surprise fracture la classe politique, elle-même fortement polarisée - à l’image de la société, autour du conflit au Proche-Orient.
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Passer la publicitéÀ commencer par la gauche, historiquement engagée dans la défense de la population civile gazaouie. Alors que La France Insoumise (LFI) a fait du militantisme propalestinien l’axe principal de sa stratégie politique, y voyant un puissant levier de mobilisation électorale, ses cadres saluent le geste présidentiel... même si la méfiance reste de mise. En fin de soirée, Jean-Luc Mélenchon a évoqué une «victoire morale», tout en taclant l’aspect «technique des annonces différées de Macron». «Depuis des mois ce type de comportement encourage la durée du crime à Gaza. Pourquoi en septembre et pas maintenant ? Et l’embargo sur les armes ? Et la rupture de l’accord de coopération ?», a fustigé le leader de LFI, appelant le chef de l’État à adopter «une politique globale et cohérente» et à prendre «un engagement clair et immédiat» contre les supposés «crimes» israéliens.
Mêmes applaudissements du côté de Mathilde Panot. «Macron annonce qu’il va ENFIN reconnaître l’État de Palestine. 22 mois après le début du génocide, c’est INDISPENSABLE et c’est une victoire de la mobilisation populaire», s’est réjouie la chef de file des députés LFI. Dans le même temps, elle exhorte le président à «ne pas attendre» le mois de septembre pour agir et à «prendre des mesures concrètes et immédiates» contre l’État hébreu. Objectif : faire en sorte que «cette reconnaissance n’advienne pas quand il n’y aura plus de Palestiniens». Un mois et demi après avoir tenté de rallier Gaza à bord de la «flottille de la liberté», l’eurodéputée LFI Rima Hassan l’a affirmé sans joie : «La reconnaissance de la Palestine n’est pas une faveur c’est un devoir», a écrit la militante franco-palestinienne, estimant que Paris d’être «bien à la traîne sur ce sujet». Faisant fi des conditions imposées par le chef de l’État pour une telle reconnaissance, Rima Hassan considère que les «Palestiniens n’ont pas à se soumettre à un diktat colonialiste et impérialiste».
Du côté des Écologistes, sa secrétaire générale Marine Tondelier «espère» que l’annonce d’Emmanuel Macron, «dans l’attente de sa concrétisation à la rentrée», puisse «aider dès à présent les Gazaouis victimes d’un génocide en cours». Reste que si le parti à la fleur «salue la décision d’Emmanuel Macron, aussi tardive soit-elle», il fait valoir que «reconnaître ne suffit pas : il faut protéger les Palestiniens». «Sans action concrète et de sanction contre Israël, la situation demeurera un enfer à Gaza», ajoute le mouvement dans un communiqué. Quant au chef des communistes, Fabien Roussel, il a également sommé le chef de l’État de passer «aux actes pour sauver le peuple palestinien» et de «sanctionner» le gouvernement israélien de Benyamin Netanyahou. Même tonalité chez le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, qui appelle à «mettre fin à cette tragédie à Gaza et permettre le retour des otages israéliens encore vivants auprès de leurs familles». «Assez de sang. Assez de larmes», a ajouté l’élu de Seine-et-Marne.
À l’autre extrémité de l’échiquier politique, la position est tout autre. Sur X, le président du Rassemblement national (RN) Jordan Bardella a dénoncé une «décision précipitée, davantage motivée par des considérations politiques personnelles que par une sincère recherche de justice et de paix». Si le dauphin de Marine Le Pen prend soin de rappeler la ligne de son parti - celle d’«une solution à deux États» - le geste d’Emmanuel Macron «accordera» selon lui, «une légitimité institutionnelle et internationale inespérée» au Hamas, mouvement qu’il qualifie, contrairement aux Insoumis, de «terroriste islamiste». Dans un registre plus direct, le député RN Julien Odoul, connu pour ses positions pro-israéliennes, a jugé que «c’est le plus beau cadeau offert au Hamas depuis le soutien financier et militaire du Qatar». Tandis qu’il reste une cinquantaine d’otages dans la bande de Gaza, et que, selon lui, «la sécurité d’Israël n’est pas assurée», cette reconnaissance, cingle-t-il, «est une incitation au terrorisme et aux pires abominations».
Jeudi soir, pratiquement aucune voix soutenant ou issue de la coalition gouvernementale, qui réunit macronistes et figures LR, ne s’est exprimée sur cette annonce. Seul le député LR Ian Boucard a dit être «totalement d’accord avec cette déclaration du président de la République», estimant que «la France doit s’engager pleinement dans cette solution à deux états pour une paix durable». Une prise de position qui pourrait mettre en porte-à-faux le ministre de l’Intérieur et patron des Républicains Bruno Retailleau, tenu par la solidarité gouvernementale mais potentiellement en désaccord avec l’initiative d’Emmanuel Macron, avec qui les relations sont tendues depuis quelques jours.