Que change la reconnaissance d'un Etat palestinien par la France, décidée par Emmanuel Macron ?

Paris s'aligne sur Madrid, Dublin, ou encore Oslo. Emmanuel Macron a annoncé, jeudi 24 juillet, sa décision d'une reconnaissance de l'Etat de Palestine au nom de la France. "J'en ferai l'annonce solennelle à l'Assemblée générale des Nations unies, au mois de septembre prochain", a écrit le président français sur X et Instagram. Ce choix intervient alors que les critiques internationales sur le blocus humanitaire imposé par Israël à Gaza, entraînant une famine de masse, se multiplient. "L'urgence est aujourd'hui que cesse la guerre à Gaza et que la population civile soit secourue", estime Emmanuel Macron, qui avait déjà fait part en avril de sa volonté de reconnaître l'Etat palestinien. 

Cette annonce, qui a provoqué des réactions contrastées au sein de la classe politique française, a été aussitôt décriée par Israël comme une "récompense de la terreur". Elle, a sans surprise, été "fermement" rejetée par les Etats-Unis. Elle a, en revanche, été saluée par le vice-président de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), Hussein al-Cheikh.

Mais concrètement, qu'est-ce que cette reconnaissance de l'Etat palestinien par la France peut changer ?

Un impact juridique limité

Du point de vue du droit international, la Palestine est considérée comme un Etat, car elle coche toutes les cases : "Un territoire, un peuple, un sentiment national, des institutions formant un gouvernement [l'Autorité palestinienne], et la volonté d'être reconnue", liste Bichara Khader, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe contemporain à l'université de Louvain (Belgique), auprès de L'Echo. Proclamé en novembre 1988 par l'Organisation de libération de la Palestine, l'aspect étatique de ce territoire – qui comprend la Cisjordanie et la bande de Gaza – n'a pourtant été reconnu que progressivement par une partie de la communauté internationale. Au total, 147 nations membres de l'ONU définissent aujourd'hui la Palestine comme un Etat, d'après le ministère des Affaires étrangères de l'Autorité palestinienne.

Pour exister, l'Etat de Palestine n'a néanmoins pas besoin d'être reconnu par le reste du monde, comme l'explique Romain Le Bœuf, professeur de droit international à l'Université d'Aix-Marseille, à Télérama : "La reconnaissance ou la non-reconnaissance d'un Etat est sans effet sur ses droits et ses obligations internationales." Une étape inutile, donc ? Pas tout à fait, car "en pratique, tant qu'un Etat n'est pas reconnu, il est peu probable que ses droits soient respectés", ajoute ce spécialiste. "Plus on attend, plus Israël poursuit sa colonisation et son annexion rampante", estime ainsi Bichar Khader, en référence à la flopée de colonies israéliennes installées en Cisjordanie.

Des colonies israéliennes en Cisjordanie aperçues depuis la ville de Ramallah, le 27 octobre 2015. (MYRIAM TIRLER / HANS LUCAS / AFP)
Des colonies israéliennes en Cisjordanie aperçues depuis la ville de Ramallah, le 27 octobre 2015. (MYRIAM TIRLER / HANS LUCAS / AFP)

D'un point de vue purement juridique, "ça ne devrait pas changer grand-chose, car la Palestine est déjà reconnue comme un membre observateur par l'ONU et fait partie d'organisations internationales", pointe Frédérique Schillo, historienne et co-autrice de Sous tes pierres, Jérusalem. Elle est par exemple membre de la Cour pénale internationale depuis 2015, et de l'Unesco depuis 2011.

Certes, la Palestine pourrait espérer devenir membre à part entière des Nations unies, ce qui lui permettrait de voter les projets de résolution. Il faut pour cela que le Conseil de sécurité de l'ONU fasse une proposition dans ce sens, puis que l'Assemblée générale vote pour. "Ce serait difficile pour la France de s'y opposer après avoir reconnu la Palestine comme un Etat", avance l'historienne. Mais la proposition risquerait de se heurter au veto américain, comme ce fut déjà le cas en avril 2024.

"Le peuple palestinien peut y voir une forme de soutien"

Reconnaître la Palestine en tant qu'Etat est donc surtout "un geste hautement symbolique", soutient Frédérique Schillo. Et ce, d'autant plus venant de la France, juge l'historienne : "La reconnaissance par l'Espagne [en mai 2024] n'avait pas vraiment de conséquences. [De la part de] la France, ça pourrait entraîner une dynamique diplomatique avec d'autres Etats", notamment occidentaux, estime-t-elle. 

"Cela donnerait de la légitimité aux Palestiniens dans le jeu des négociations avec Israël."

Frédérique Schillo, historienne

à franceinfo

D'après Sylvaine Bulle, sociologue à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, ce geste est aussi "important pour le peuple palestinien, qui peut y voir une forme de soutien". Pour Emmanuel Macron, l'envisager est également un moyen de "pacifier les militants propalestiniens en Europe en essayant de donner une perspective autre que la destruction de la bande de Gaza", avance la sociologue.

Ramener la solution à deux Etats sur la table

En mai 2024, le ministère des Affaires étrangères avait d'ailleurs affirmé que cet objectif de reconnaissance ne relevait "pas seulement d'une question symbolique ou d'un enjeu de positionnement politique, mais d'un outil diplomatique au service de la solution à deux Etats vivant côte à côte, en paix et en sécurité". C'était le compromis sur lequel s'étaient mis d'accord Israéliens et Palestiniens lors de la signature des accords d'Oslo, en 1993, qui ont finalement échoué.

Face à la guerre que se livrent Israël et le Hamas depuis l'attaque du 7 octobre 2023, reconnaître la Palestine "est aussi le seul moyen de redonner espoir au processus de paix", affirme Johann Soufi, avocat et ancien chef du bureau juridique de l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens à Gaza, à France 24. "Lorsque l'on parle d'une solution à deux Etats comme seule alternative crédible à la guerre, il faut qu'il y ait deux Etats."

"Si nous ne reconnaissons pas l'un des deux Etats, il ne peut y avoir de solution à deux Etats."

Johann Soufi, avocat

à France 24

D'autant qu'Emmanuel Macron ne se lance pas dans cette initiative "tout seul ou au nom de l'Europe", pointe Frédérique Schillo, alors que la France doit assister fin juillet à New York à une conférence internationale avec l'Arabie saoudite, alliée des Etats-Unis. "Si Ryad et les pays du Golfe font pression pour déclencher le processus de paix, ce sera un revers pour le plan de Donald Trump pour la bande de Gaza, poursuit l'historienne. Le président américain réfléchirait à deux fois à la suite des événements, car il a tout intérêt à entraîner les Saoudiens dans la médiation à Gaza." Reste que le président français avait bien insisté en avril sur le principe de "réciprocité". Impossible de savoir s'il maintiendra sa décision d'une reconnaissance de la Palestine si les pays arabes, dont l'Arabie saoudite, n'acceptent pas de faire la même démarche pour Israël.