ENTRETIEN. Rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine : "Il y a beaucoup de nervosité et beaucoup de craintes chez les Ukrainiens", affirme Aline Le Bail-Kremer, journaliste et cofondatrice de Stand With Ukraine

Vendredi 15 août, Donald Trump et Vladimir Poutine vont se rencontrer en Alaska pour discuter de la guerre en Ukraine. Un sommet qui inquiète les Européens et les Ukrainiens, non conviés. Invitée sur franceinfo jeudi 14 août, Aline Le Bail-Kremer, journaliste et cofondatrice de Stand with Ukraine, témoigne de "la crainte des Ukrainiens" concernant l'absence d'un cessez-le-feu ou d'une levée des sanctions. "Il existe deux craintes absolues chez les Ukrainiens : qu'il n'y ait pas de cessez-le-feu, donc que les massacres continuent, et qu'il y ait une levée des sanctions", explique-t-elle.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription du reportage ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.

Franceinfo : Selon Emmanuel Macron, Donald Trump a partagé avec les Européens trois objectifs : la possibilité d'un cessez-le-feu, le fait qu'aucun échange territorial ne sera négocié demain et puis la sécurisation du territoire ukrainien. Est-ce que ces trois objectifs, partagés visiblement par Donald Trump, vous ont rassurée ?

Aline Le Bail-Kremer : Je pense que d'ici le 15 août, ça va être compliqué de rassurer complètement les Ukrainiens parce qu'il y a beaucoup de nervosité et beaucoup de craintes. Ces pistes-là, notamment sur la question de l'intégrité territoriale, de la souveraineté et des frontières inviolables par la force ont rassuré. Il a également été question, notamment par la voie d'Emmanuel Macron, des prisonniers et du retour des enfants. C'est un sujet souvent mis de côté, mais on ne se rend pas compte à quel point c'est crucial pour la société que cette question-là soit aussi mise dans les discussions.

Si l'objectif affiché en fin de soirée  est d'obtenir un cessez-le-feu, c'est intéressant pour les Ukrainiens. Mais il y a aussi la peur que ce sommet ne serve strictement à rien et qu'il serve surtout à Vladimir Poutine de gagner du temps et de voir une levée des sanctions. Il existe deux craintes absolues chez les Ukrainiens : qu'il n'y ait pas de cessez-le-feu, donc que les massacres continuent, et qu'il y ait une levée des sanctions ou une partie des sanctions. Ce qu'il ne faut pas faire.

Vladimir Poutine a indiqué qu'il fallait une paix durable et stable entre l'Ukraine et la Russie. Quel crédit apportez-vous à ce genre de propos ?

Aucun. Il ment. Il y a plusieurs couches à toute la propagande du Kremlin qui est déployée en ce moment avec un basculement narratif qui consiste à faire passer l'agresseur pour l'agressé. C'est la Russie qui attaque donc l'Ukraine est obligée de se défendre. Si Vladimir Poutine veut la paix, il y a quelque chose de très simple qui peut prendre même moins de 24 heures, d'après les délais annoncés initialement par Donald Trump : qu'il arrête de tirer, qu'il retire ses troupes et qu'il arrête d'occuper, de torturer. C'est vraiment quelque chose qui est insupportable à entendre pour les Ukrainiens.

Est-ce que vous pensez que Donald Trump est capable de ne pas être manipulé ou influencé par Vladimir Poutine ? Le président américain a déclaré, hier, qu'il y aurait des graves conséquences si son homologue russe n'accédait pas à sa demande d'un cessez-le-feu.

Ce sont des signaux plutôt rassurants. Mais il y a tellement eu de changements qu'on parle d'optimisme prudent. Tout le monde retient un peu son souffle. Que va-t-il se passer ? Parce que si c'était vraiment le cas, pourquoi n'a-t-il pas appliqué les sanctions dès le 8 ? On comprend donc bien que Vladimir Poutine et son orchestre ont réussi à négocier ce rendez-vous qui est une forme d'avancée de pions ainsi que toute la propagande d'inversement des narratifs.

D'autant plus que Vladimir Poutine continue d'avancer ses pions militairement avec des percées assez significatives dans l'est de l'Ukraine.

Oui et non. La situation sur le front est extrêmement compliquée et difficile. Ça ne va pas bien, c'est une réalité. Ce qu'ils essaient de faire par des avancées de quelques kilomètres, c'est de diffuser et de disséminer le poison aussi dans l'espace informationnel, pour faire croire que la victoire de Poutine est inévitables Mais ce n'est pas vrai, parce que si Poutine veut aussi obtenir ses levées de sanctions, c'est qu'elles fonctionnent. Les Russes sont quand même très angoissés d'une éventuelle date butoir sur l'application de sanctions plus radicales qui marcheraient vraiment. Leur objectif, c'est de dire à tout le monde : regardez, nous sommes super forts, nous avons gagné la guerre, ce qui n'est pas vrai. Il est bon de rappeler quand même que les villes dont on parle sont des villes de 60 000 habitants. À Pokrovsk, ça fait un an qu'on nous dit qu'elle va tomber demain. Un an plus tard, elle n'est toujours pas tombée. Donc certes, il y a eu une pénétration préoccupante, selon les mots des militaires. Mais il ne s'agit pas encore d'une percée. Il faudrait que ce soit une infiltration, une occupation stratégique, c'est-à-dire transformer le tactique en stratégique. Pour l'instant, à l'heure où l'on parle, ça n'est pas le cas.