RECIT. "On n'a fait que du Tetris" : on vous raconte l'histoire secrète de la cérémonie d'ouverture des Jeux de Paris, un an après
Les neuf tableaux de la cérémonie d'ouverture du 26 juillet 2024 sont le fruit d'années de travail : 160 caméras, 6 kilomètres de spectacle, 20 000 personnes mobilisées le jour J, dont 4 000 artistes, sur 3 000 m² de scènes, avec 85 bateaux sur la Seine. Un an après le début des Jeux olympiques de Paris, voici les coulisses du plus grand spectacle jamais réalisé en France, qui a captivé un milliard de personnes.
Tableau 1 : "Humidité"
Thomas Jolly part se coucher le cœur léger. Après avoir assisté aux ultimes répétitions de Céline Dion, l'homme-orchestre de la cérémonie a consulté une dernière fois l'appli météo de son téléphone. "Des nuages, mais pas de pluie", lui assure-t-elle. "Je me suis dit : 'c'est top, c'est beau un coucher de soleil avec des nuages, un ciel zinzolin'..." Le hic, c'est qu'il a conservé comme ville par défaut Rouen, là où habitent ses parents.
Cinq heures, Paris s'éveille et le verdict tombe. Après avoir vérifié pour la millième fois les modèles météo, l'équipe de prévisionnistes de permanence assure que la soirée du 26 juillet sera arrosée. "Les jours précédents, nos modèles nous assuraient une probabilité de 30% de pluie sur la soirée, ce qui n'était pas négligeable. Et ce chiffre n'a fait que monter au cours de la nuit", résume Alexis Decalonne, du pôle sports de Météo-France. Décision est prise d'activer le plan pluie lors du briefing de 7 heures.
Au palais de l'Elysée, les volets s'entrouvrent. Tasse de thé en main, Emmanuel Macron envoie quelques textos à ses interlocuteurs à Paris 2024. A Tony Estanguet, le président du comité d'organisation, "Grosse journée !"
Au même moment, Philippe Frénoi serre le frein à main de son food-truck en face du Louvre. Le champion du monde de frites 2023 est parti dans la nuit de Linselles (Nord), anticipant bouchons et contrôles. Pourtant, lui et ses 800 kg de pommes de terre se posent quai François-Mitterrand comme une lettre à la poste. "Pas un flic n'a même contrôlé mon QR code. Imaginez si j'avais planqué une bombe dans les patates ?"
"En face de moi, des yeux baissés. Quelques larmes." Lourde tâche que celle d'Alexis Decalonne, qui présente ses cartes météo lors de la réunion de crise avec les équipes cornaquées par le patron des cérémonies de Paris 2024, Thierry Reboul, au Bourget. "Tout le boulot va partir dans les égouts avec l'eau de pluie", se lamente Jean-François Perfetti, le producteur exécutif. La cérémonie commence dans douze heures.
"C'est la fin du monde."
Jean-François Perfetti, producteur exécutif de la cérémonieà franceinfo
Coup de chaud aussi pour Pierre-Yves Guillerm. Le prévisionniste de Météo-France, qui s'occupe également de Roland-Garros, arrive en gare de Brest pour gagner la capitale. Il est attendu à 14h30. Sur les écrans de la SNCF, du rouge cramoisi. Une mystérieuse panne paralyse le réseau ferré. "On s'est débrouillés."
Tony Estanguet, briefé dès potron-minet, est l'invité de la matinale de France Inter et prépare les esprits au "scénario catastrophe" détaillé quelques minutes plus tôt par l'expert de Météo-France : "J'annonce qu'il risque de pleuvoir un peu le soir..." De retour à l'hôtel vers 9h30, le patron des Jeux peut souffler : enfin une bonne nouvelle ! Marie-Jo Pérec et Teddy Riner viennent d'accepter d'être les derniers porteurs de la flamme. Ils ont eu un petit indice. La veille au soir, le patron des Jeux leur avait envoyé un SMS sibyllin : "On s'appelle demain matin."
Tableau 2 : "Formalités"
"Qui a du scotch ?" Le CIO, qui a débarqué au Conseil économique, social et environnemental (Cese) avec ses valises et ses exigences il y a quelques jours, poursuit son installation. Prière de masquer toutes les marques qui ne sponsorisent pas l'événement. La climatisation installée au plafond ? La marque des ascenseurs ? "A cacher." Idem pour le distributeur de café, les téléviseurs des salles de réunion et même le presse-agrume de la cafétéria.
Salim Akacem sèche. A dix heures de la parade, le drapeau sur le pont de son bateau, le Buci, amarré quai d'Ivry, ne lui dit rien. Du rouge, des sortes de vagues, un soleil… "Les Kiribati", lui souffle un officiel. "Je ne savais même pas où c'était. J'ai dû chercher sur Google."
Christine Bravo, elle, a "chopé le gros lot". Le capitaine du Frou Frou, son bateau, vient de l'informer : "Ce sera la Syrie." L'animatrice télé bondit. "Franchement, quelle chance j'avais de tomber sur un pays problématique ?"
"La famille Assad va monter à bord !"
Christine Bravo, propriétaire du bateau de la délégation syrienneà franceinfo
Pas tout à fait, mais des proches du régime, certains placés sous sanctions économiques, protégés par des hommes surarmés planqués dans la soute. "Fallait que ça tombe sur moi."
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13h26. Tranquillement posé dans la cuisine de son appartement parisien, Paul savoure en cliquant sur le bouton "Poster". Pour la photo, "j'ai pris toutes les affaires que je pouvais dans mes placards, et même une boîte de cornichons pour brouiller les pistes", se marre le coordinateur à Médecins du monde, engagé dans le collectif anti-JO Le Revers de la médaille. "Ça m'a fait mourir de rire d'imaginer la réunion de crise. On m'a dit qu'ils allaient fouiller les catacombes au cas où des plongeurs se seraient cachés."
Il n'est pas loin de la réalité : "Ça faisait partie des scénarios que nous avions envisagés", insiste l'entourage du ministre de l'Intérieur de l'époque, Gérald Darmanin.
Tony Estanguet, lui, est déjà derrière son pupitre. La copie conforme de celui derrière lequel il posera ses fiches dans quelques heures. "J'ai lu et relu mon discours des dizaines de fois, parfois changé une phrase, un mot. Je voulais qu'il soit le plus concis et le plus impactant possible." Au cours de cette session bachotage dans sa chambre d'hôtel, son conseiller spécial Benjamin Brun émet une suggestion : "Tu devrais quand même ajouter une phrase sur la pluie."
Tableau 3 : "Fébrilité"
"Houston, on a un problème." Le bateau qui supporte le cheval argenté ne peut pas accoster dans le 13e arrondissement, au point de rassemblement avant la cérémonie. La coque est trop basse et risque de passer sous le quai. "Pas le choix, faut le tenir, sinon il se fracasse par-dessous", soupire l'ingénieur Madeg Ciret-Le Cosquer. Pendant sept longues heures, son équipe se relaie, cordage à la main et les jambes tendues pour maintenir la coque à bonne distance.
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16h30, alerte générale chez Aéroports de Paris. Le gros-porteur de la compagnie French Bee qui doit décoller d'Orly pour Fort-de-France est planté sur le tarmac. Le voyant de la jauge du réservoir fait des siennes. La course contre la montre commence : le ciel parisien doit être désert à 18 heures. Sinon, il faudra héberger en urgence les 400 passagers… alors que les hôtels du secteur sont pris d'assaut. "C'est un incident comme il en arrive tous les jours dans un aéroport", tempère Perrine Duglet, directrice des opérations de Paris-Orly. "Mais au pire moment." L'appareil décolle finalement trente minutes avant le gong.
Le ciel a l'air d'être tombé sur la tête de Tony Estanguet. L'homme-sandwich des Jeux de Paris sait qu'il sera jugé sur la qualité du spectacle proposé ce soir. Celui qui ne se départit jamais de son sourire en public depuis sept ans est livide quand il arrive à l'Elysée pour rejoindre Emmanuel Macron et les chefs d'Etat qui vont assister à la cérémonie. "Alors que les équipes mettaient toute leur énergie pour résoudre les problèmes, je devais jouer un rôle protocolaire, trépigne-t-il. C'était mon rôle. Mais c'était difficile. J'ai toujours préféré être dans l'action." Ce n'est que lorsqu'il découvre la haie de policiers, plantés tous les trois mètres le long des quatre kilomètres qui séparent le cortège officiel du Trocadéro, qu'il s'autorise une blague : "On se croirait dans Star Wars."
C'est le moment pour Lady Gaga et ses danseurs. Sur les marches glissantes des quais de Seine, la chanteuse commence à 17 heures. "On a tourné sept fois la scène dans le créneau imparti, le plus vite possible", souffle Jean-François Perfetti. Lancées en même temps, les séquences de BMX resteront, elles, à tout jamais dans un tiroir. Un problème de raccord entre le soleil de 17 heures et le déluge cinq heures après. "Ça ne marchait pas", soupire le directeur artistique de Paris 2024.
"On n'a fait que du Tetris. La seule chose dont on était à peu près sûrs, c'est que Céline Dion allait chanter, poursuit Jean-François Perfetti. On avait un début et une fin." Les danseurs sur les toits de Paris ? Trappés. Les drones et les hélicoptères ? Cloués au sol.
"On ne pouvait plus faire de 'beauty', de plan large de Paris. Il a fallu repenser le conducteur pour déterminer ce qu'on allait montrer à la place."
Jean-François Perfetti, producteur exécutif de la cérémonieà franceinfo
Encore une nouvelle version de la cérémonie, retravaillée en continu depuis trois ans.
Le téléphone de l'Elysée chauffe. Le Qatar réclame une rallonge de sièges pour sa délégation en tribune officielle. C'est non, comme pour tous les demandeurs de dernière minute. Le plan de table a été finalisé la veille par le "Château", au prix de savants arbitrages diplomatiques.
Dans le rush final, tout le monde se met au service du collectif. Atelier arts plastiques et loisirs créatifs pour Bruno de Lavenère, l'un des deux scénographes de la cérémonie. "J'ai passé l'après-midi à chercher du tissu pour camoufler les bateaux. Ça ne se voit pas, mais on a fait cette cérémonie avec des bouts de ficelle. Cet ADN du bricolage, ça nous vient du théâtre, de l'univers de Thomas Jolly."
Système D aussi pour Johan Tonnoir. Le champion de parkour est l'un des neuf mystérieux porteurs masqués, véritable fil rouge entre chaque tableau de la cérémonie le long de la Seine. Problème, une fine pellicule de pluie s'incruste sur la balustrade du Pont-Neuf, où il est censé sprinter. Hors de question de risquer la glissade. "J'ai trouvé un bar, au coin de la rue sur le quai, et je leur ai emprunté un balai-brosse."
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La RATP a aussi briqué de fond en comble les rames de métro choisies pour la ligne éphémère Trocadéro-Etoile, un tronçon de la ligne 6 réservé aux VIP comme Serena Williams, Lilian Thuram ou Philippe Etchebest. "Pas de tags, pas de fauteuil abîmé", liste Pierre Guichard, le manager d'exploitation ferroviaire. Trafic fluide prévu tout au long de la soirée.
"Je m'étais dit : 'Tant pis, c'est une fois dans une vie.'" Quand elle arrive sur son siège en tribune autour de 19 heures, Anne-Marie espère en avoir pour son argent. Cette cadre fondue des Jeux a acheté deux places en face du Grand Palais à 2 700 euros pièce. "C'était le cadeau d'anniversaire de mon mari, et j'ai renoncé à en prendre pour les enfants." A ce tarif, des petits fours et un majordome en livrée jaune qui tient le parapluie ? "Rien du tout, on était sous la flotte comme tout le monde, et on a payé à prix d'or un sandwich goût carton mouillé…"
Tableau 4 : "Intensité"
Plus qu'un quart d'heure avant le début du show. Une chape de plomb s'abat sur le QG des têtes pensantes de la soirée. "On n'arrivait même plus à se regarder, décrit le scénographe Bruno de Lavenère. On était terrorisés." Juste à côté, l'historien Patrick Boucheron annonce : "Ce qu'on va voir, ce sera plus un plan A prime. Quelque chose qu'on va adapter au fur et à mesure. Mais on ne va pas faire le plan B."
"A 19h28, j'étais encore en train de danser avec le public. A 19h30, on me dit : 'On arrête tout'." La cérémonie commence à peine, mais pour Louis-Maël Bastié, elle est déjà finie. Son costume de Phryge, la mascotte des JO, n'est pas imperméable et est alimenté par une batterie pour son aération. "C'était terriblement frustrant." Vous ne verrez jamais les huit Phryges censées animer les bords de Seine. La mascotte n'apparaîtra que quelques secondes à l'antenne… sur la séquence de Lady Gaga, enregistrée deux heures plus tôt.
"C'est mort." Les trombes d'eau douchent le moral de Franck Royer. Le patron de l'entreprise La Consignerie s'est démené pour dégoter en six semaines 80 stands, restaurants, brasseries et food-trucks, 600 chapiteaux et des groupes électrogènes, "là où il aurait fallu neuf mois en temps normal". Tout ça pour ça. "Qui veut acheter des frites quand votre seule priorité, c'est de trouver un abri ? Cette cérémonie, on la rembourse encore."
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20 heures. Le mystérieux porteur de flamme grimpe sur le toit de Notre-Dame. En surplomb, Quasimodo accroché à une girouette. Sous le costume, qui a reconnu Thomas Jolly en personne ? D'ailleurs, qui a reconnu sa voix annonçant les tableaux de la cérémonie ?
Paris 2024 a tenté de la jouer à l'économie pour le buffet des grands de ce monde. L'Elysée a empêché in extremis qu'on serve des chips et des cacahuètes dans des assiettes en carton au gratin de la planète. Le buffet élyséen servi sous un barnum judicieusement placé, au pied de la tribune VIP, devient the place to be…
Pour Aurélie Halbwachs, le dress code, c'était chemisette. La porte-drapeau mauricienne ne s'est pas réjouie longtemps de ce choix. "On nous a distribué des K-Way qui ressemblaient à des sacs-poubelle." Tant pis, elle garde ses manches courtes jusqu'au bout. Une demi-heure plus tard, Florent Manaudou et Mélina Robert-Michon vont aussi regretter d'avoir dit non au poncho. "On ne s'en rend pas compte à la télé, mais je vous promets, c'est le déluge, glisse la lanceuse de disque. A la toute fin, ça caillait. L'horreur."
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"Ah ça iraaaaaaaa !" rugit Joseph Duplantier, le chanteur de Gojira. Des Marie-Antoinette à tête coupée surgissent des fenêtres de la Conciergerie. Initialement, elles devaient sortir de guillotines géantes dans des gerbes de sang… avant que l'Elysée ne mette le holà. Non qu'Emmanuel Macron craigne de froisser les têtes couronnées, mais l'équipe présidentielle martèle devant les équipes de Thomas Jolly sa volonté de trouver un équilibre sur chaque tableau.
Et dire que ce numéro a failli passer à la trappe. Lors de l'ultime répétition, le courant de la Seine était tel que les bateaux se retrouvaient obligés de naviguer à 11 km/h au lieu des 9 initialement prévus. Conséquence : ils arrivaient 8 minutes en avance. "On nous a demandé de réfléchir à quel tableau on pouvait couper, se remémore Patrick Boucheron. Parmi les artistes qui n'étaient pas habillés par LVMH, si possible. Ça mettait Gojira en tête de liste." Heureusement pour les fans de metal, tout rentre dans l'ordre le jour J.
Perché à 34 mètres de haut, sur le toit de la Samaritaine, Nathan Paulin s'engage sur son fil de 350 mètres tendu jusqu'à la Monnaie de Paris. Vingt minutes d'équilibrisme avant que le funambule ne tombe de haut. "Désolé, on ne t'a pas vu sur les écrans", lui annonce son équipe. "Ça a été une grosse déception." Débordée par la densité du spectacle, la réalisation n'a pas diffusé la séquence.
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Tableau 5 : "Ubiquité"
Dans la tribune officielle, tous les grands de ce monde sont rapatriés dans la partie abritée. Tous ? Trois irréductibles Gaulois continuent à se blottir sous leur cape de plastique pour tenter d'apercevoir la suite des festivités. Oubliés par le protocole, les trois anciens Premiers ministres Edouard Philippe, Jean Castex et Elisabeth Borne. Le maire du Havre envoie paître l'émissaire élyséen. "Si le président voulait qu'on monte [dans la tribune abritée], il aurait envoyé quelqu'un nous chercher plus tôt !" Il faudra qu'une de ses ex-collaboratrices, passée à l'Elysée, se déplace pour que le trio abandonne son siège.
Ni vu, ni connu. Quelques invités de prestige s'éclipsent des gradins VIP. Amélie Mauresmo, Jean-François Lamour, Emilie Le Pennec… Evaporés dans des vans noirs. "On a tracé dans les rues de Paris", souffle la championne olympique de gymnastique. Direction le Louvre.
Sans maîtrise, la puissance n'est rien, vantait une célèbre marque de pneus. Le slogan est aussi valable pour un champion de parkour par temps humide. "J'ai testé le bois du pont des Arts mouillé avant mon entrée en scène", raconte Maxence De Schrooder, l'un des neuf porteurs de flamme masqués. "J'aurais aimé faire un salto avant, mais je n'ai pas pris le risque. C'était avant tout un tableau artistique, pas athlétique. J'avais l'obligation de finir mon numéro à la seconde près."
Aya Nakamura et la garde républicaine entament le duo le plus iconique de la cérémonie en reprenant du Aznavour. Dans le plan initial, l'interprète de Djadja enquillait ses tubes, mais l'Elysée s'en est mêlé : pourquoi Céline Dion et Lady Gaga sacrifieraient-elles au répertoire classique hexagonal et pas elle ? "J'ai répondu au président que pour moi, ses titres faisaient déjà partie du patrimoine, vu que ce sont les chansons francophones les plus écoutées dans le monde", nuance Thomas Jolly. Un compromis est trouvé in extremis avec un medley Pookie/For me formidable entré dans la légende. Le directeur artistique, qui a le dernier mot après consultation de l'Elysée, du CIO et de la Mairie de Paris, se rappelle une tenace rumeur de reprise d'Edith Piaf par Aya Nakamura. Il l'avait promise à Céline Dion. "Je voulais la garder pour la fin."
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Sur une barge mobile, trois gigantesques malles Louis Vuitton, Martin Fourcade et Michael Phelps saluent la foule massée près de la Monnaie de Paris. On ne peut pas rater le monogramme, propriété de Bernard Arnault, principal mécène de la cérémonie. "On nous parle beaucoup des ingérences politiques, constate Patrick Boucheron. A côté des exigences du CIO et de LVMH, ce n'était pas grand-chose." Les bagages devaient être lancés de danseur en danseur entre la Monnaie de Paris et la barge. Veto du leader mondial du luxe : "Une malle Vuitton, ça ne se lance pas." Que le groupe se rassure, personne ne les loupera. "Sur quatre heures de spectacle, une minute trente de pub, c'est un moindre mal", observe Patrick Boucheron.
Et plouf La Joconde ! Encore un coup des Minions, fleuron de l'animation tricolore. Pierre Coffin, leur créateur, a réalisé le film dans le plus grand secret. Un seul gag sera retoqué. Initialement, ces diables de petites bestioles jaunes traçaient une cible à la peinture sur le tableau de Léonard de Vinci. Un geste qui faisait un peu trop écho aux jets de soupe de militants écologistes sur des œuvres d'art. "J'ai parfaitement compris, commente Pierre Coffin. Ma technique, c'est de forcer le trait jusqu'à ce qu'on me dise stop. Et cette fois, nous n'étions que trois dans la chaîne de décision. Le politiquement correct n'est jamais rentré en ligne de compte."
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Toute la soirée, Thomas Jolly et Thierry Reboul, casque sur les oreilles, micro allumé et paquet de bonbons comme unique réconfort, prennent arbitrage sur arbitrage. Comme pour la cantatrice Axelle Saint-Cirel, prévue pour chanter La Marseillaise sur le toit du Grand Palais. Vu la météo, on envisage le plan pluie : "La rapatrier sur le pont Alexandre-III", décrit Thomas Jolly. Le hic, c'est que le plus beau pont de Paris est prêt... pour les épreuves de triathlon le lendemain. Y ont été installées une tribune et la signalétique des Jeux qui ôtent un peu de solennité au lieu. Ce plan B fleure bon la série Z. Plan C : Thierry Reboul se retourne vers son acolyte, une lueur dans les yeux, à 20 heures : "Et si on la faisait monter sur le Grand Palais dès maintenant ?" La pluie n'a pas encore rendu le chemin vers le toit trop glissant, mais il faut que la diva accepte de poireauter une heure dans le vent et le crachin. "Elle a dit oui !", se félicite Thomas Jolly. "C'est le genre de décisions qu'on a prises toute la soirée. Et on a sauvé 90% de la cérémonie."
Rémy Savary a le cœur qui bat la chamade dans son préfabriqué avec vue sur la Seine. Dix statues dorées, conçues et fabriquées par son entreprise CMDS Factory, doivent fendre les flots. Dix ? A l'écran, seules neuf apparaissent. "Le réalisateur a zappé la n°4", soupire le chef de projet. La caméra a dû filer au secours d'un cadreur qui ne pouvait pas passer un coup de torchon sur son objectif en plein direct. "Mais au bruit, j'ai entendu les spectateurs saluer la sortie de Simone de Beauvoir."
Les hélicoptères censés rythmer la séquence de plans aériens sont restés au sol, et ça fait dix minutes que défilent les drag-queens Paloma, Nicky Doll et Piche, entourées du chanteur Philippe Katerine badigeonné de bleu, dans le tableau conçu autour de la DJ Barbara Butch. En tribune, Emmanuel Macron sort son téléphone de sa poche. Texto de sa garde rapprochée : "On a un sujet, là." Réponse du président : "Non, liberté artistique."
Tableau 6 : "Générosité"
Six talkies-walkies devant lui. Et pas un qui grésille alors que l'heure du top départ est sans doute passée. Les dernières consignes de Paris 2024 avant qu'il embarque sur son Zodiac étaient claires : "Si vous êtes en retard de dix secondes sur le timing, vous ne passerez pas." Madeg Ciret-Le Cosquer ne barguigne pas : il prend sur lui de donner le go à la pilote Morgane Suquart, juchée à quelques encablures devant lui sur le cheval de fer. "On lance à 60 km/h un bateau de deux tonnes à travers un rideau d'eau sans savoir ce qu'il y a derrière." Soixante kilomètres/heure ? Il y a prescription, maintenant : "Sous le pont d'Austerlitz, elle a mis les gaz à deux fois la vitesse autorisée pour rattraper son retard."
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Les doigts crispés sur le manche, l'étrier qui s'enfonce dans son ventre, le volontaire porteur du drapeau français, Pierre-Louis Tilly, n'oubliera jamais ses deux minutes trente de gloire. "On s'était entraînés à marcher au pas cadencé tout l'après-midi, dix mètres derrière le cheval pour ne pas l'effrayer…" Des consignes que les cadreurs d'OBS, la société de production des Jeux, n'ont pas reçues. "A un moment, je vois un caméraman qui nous filme se fracasser sur un cheval de la garde républicaine. Catastrophe !" Le choc est visible en direct, le technicien perd brièvement le contrôle de la caméra. "Imaginez, si le cheval s'était emballé…"
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22h38. Tony Estanguet va monter sur scène. Il a fini par trouver la formule qui fait mouche pour évoquer cette fichue météo : "Quand on aime les Jeux, on ne se laisse pas impressionner par quelques gouttes de pluie." A la télé, personne ne le remarque, mais son staff a planqué des fiches de secours partout, à l'intérieur et sous le pupitre. "On avait un jeu de secours, et le jeu de secours du jeu de secours", sourit Benjamin Brun, son conseiller.
Le sèche-cheveux est une denrée rare sous cette tente, près de la tribune présidentielle, où Mélina Robert-Michon a trouvé refuge, juste avant de réciter le serment olympique.
"Et là, sur qui je tombe ? Nadia Comaneci, Serena Williams, Carl Lewis, Rafael Nadal… Tous sont en train de se sécher à l'aide de serviettes. Comme moi, ils sont TREM-PÉS."
Mélina Robert-Michon, championne de lancer de disqueà franceinfo
Trop occupée à mendier un tee-shirt sec, la vice-championne olympique de Rio en 2016 ne fait pas le rapprochement. "J'ai papoté avec Nadal, très sympa. Mais, vous n'allez pas me croire, je n'ai jamais pensé à lui demander pourquoi il était là."
Lui et ses compagnons montent dans un Zodiac qui file à toute vitesse sur la Seine. Si vite que la cadette des Williams semble tout près de rendre les petits fours qu'elle vient d'avaler. Impression trompeuse, dément Nadia Comaneci : "Personne n'avait le mal de mer. Même Serena."
Dans le quartier du Louvre, les derniers porteurs de la flamme sont en place. Sauf une. Marie-José Pérec, en 20e et dernière position, sait qu'elle sera accompagnée d'un autre athlète pour l'allumage final. Mais qui donc ? "Elle cherchait à savoir qui était son binôme, se souvient Emilie Le Pennec. Alors elle venait nous voir un par un : 'Tu as quel numéro ?'" Equipée d'une oreillette, la gymnaste, n°11, "attend le go". La championne olympique d'Athènes saisit la torche, et fait quelques pas jusqu'à David Douillet, le porteur suivant…
Hors caméra, la bande du Louvre ne contient plus ses larmes. "On ne l'a pas vu à la télé, mais après l'allumage de la vasque, on s'est tous serrés les uns contre les autres, confie Emilie Le Pennec. Laura Flessel pleurait, Amélie Mauresmo pleurait. On a fait plein de photos pour immortaliser ce moment."
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"C'est génial ! J'avais pas tout saisi au début, mais maintenant, je comprends ta vision." Le créateur des Minions, Pierre Coffin, envoie ce texto à Thomas Jolly quand Teddy Riner et Marie-Jo Pérec embrasent la vasque. "Attends, il y a un dernier truc", lui répond, énigmatique, le grand ordonnateur de la cérémonie. "Et dire que j'ai failli éteindre la télé à ce moment-là ! sourit le réalisateur. C'est quand même dingue qu'il trouve le temps de me répondre pendant la cérémonie…"
Tableau 7 : "Eternité"
Une minute avant la prise d'antenne, le préposé au parapluie quitte le champ de la scène où Céline Dion va se produire. Ça suffit à ce que le piano de Scott Price dégouline d'eau quand les lumières s'allument. "Ce n'était rien à côté de ce qu'on avait eu comme vent la veille au soir, quand on a répété jusqu'à 2 heures du matin, confie le complice de la star québécoise. Elle tenait vraiment à participer, les Jeux représentent beaucoup pour elle. Il aurait neigé, elle aurait chanté quand même."
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Un silence. Céline Dion, discrètement équipée d'un baudrier sous sa robe Dior, échange un regard avec Scott Price. "L'orchestre était en bas de la tour Eiffel, on n'avait aucun retour. Et d'un coup, au loin, une clameur." 23h29. Le public salue le vibrato de la diva qui conclut la cérémonie. "J'enlève le mode avion de mon téléphone, poursuit le directeur musical de la chanteuse. Des centaines de messages, dont certains de personnes à qui je n'avais plus parlé depuis des années. Comme on dit au Québec, elle avait 'livré la marchandise'."
"C'était bien, hein ?" Une lueur de reconnaissance point dans les yeux du mari d'Anne-Marie, une fois le grand barnum achevé. "Je n'ai rien osé lui dire, soupire la spectatrice. On a à peine vu quelques bateaux, le numéro raboté des gars du BMX, le cheval argenté en express, Nadal et ses amis sur leur Zodiac en plus des bouts de l'écran géant." Et monsieur n'est "toujours pas" au courant du prix de la soirée à 24 euros la minute.
0h20. Dix minutes avant le bouclage, le directeur adjoint de la rédaction de L'Equipe, Jean-Philippe Leclaire, pense tenir sa une, une photo des porte-drapeaux tricolores, et son titre, "Ça ira". "A ce moment-là, un collègue se pointe pour me montrer une autre photo sur son téléphone. 'Tu as vu celle-ci ? Elle circule pas mal sur Twitter.'" Sur l'écran, les ombres miniatures de Marie-José Pérec et Teddy Riner qui se détachent sur le fond incandescent de la vasque tout juste allumée. "On change tout !" Titre compris. Direction l'imprimerie.
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Pour Franck Royer, qui chapeaute une armée de food-trucks et de restos éphémères, la cérémonie est loin d'être terminée. Maintenant que Céline Dion a lâché le micro, c'est l'heure de remballer. Des épreuves se déroulent près de la Seine dès le lendemain, notamment la course cycliste. "Le démontage a duré trente-cinq heures d'affilée. On n'est rentrés à Lille que le mardi."
C'est l'heure où le président de la République, débarrassé des mondanités, s'empresse de saluer les équipes dans le centre de commandement installé au Cese. Comme il le fait dans les vestiaires de foot ou de rugby, Emmanuel Macron écluse une bière en serrant les paluches. Gérald Darmanin, lui, reste à l'eau. "Il savait que ce n'était que le début", glisse son entourage.
Quand vient l'heure d'organiser un débrief dans une pizzeria pour l'état-major de Paris 2024, pas mal de contraintes logistiques se dressent entre les corps fatigués et leur réconfort houblonné. "On n'a pas pu aller dans un rade du Trocadéro à pied, sourit Bruno de Lavenère. On avait toutes les accréditations, mais les policiers ne voulaient rien savoir." La dizaine de convives commande donc… un taxi pour parcourir 500 mètres et ainsi déjouer la surveillance des pandores.
Au comptoir, "une petite bière, car malgré la chute brutale d'adrénaline, on savait que ce n'était pas fini." La cérémonie repasse sur les écrans. Thomas Jolly se retrouve à discuter avec d'autres clients noctambules : "Ils nous ont demandé : 'Vous avez vu la cérémonie ?' On a répondu : 'Non, on l'a faite !' Ils ne m'ont pas cru. Je leur ai dit : "tapez 'Thomas Jolly JO' sur Google !'" "On s'est quittés au moment de rejoindre les matinales radio, se souvient Patrick Boucheron. On a fait une nuit blanche, une de plus." Il est 5h32, Paris s'éveille encore.