Cadences infernales des footballeurs : la Coupe du monde des clubs est-elle la compétition de trop ?

Les rumeurs de grève se sont tues. Mais pas la grogne qui règne au sein du monde du football alors qu'a débuté, samedi 14 juin, la Coupe du monde des clubs, une nouvelle compétition glissée par la Fifa dans un calendrier déjà surchargé, notamment pour les grands clubs européens. Au minimum, le Paris Saint-Germain, sacré champion d'Europe le 31 mai, va disputer trois matchs, face à l'Atlético de Madrid d'Antoine Griezmann, dimanche 15 juin, le club brésilien de Botafogo, le 20 juin, et les Seattle Sounders, le 23 juin.

Si Paris va au bout de ce Mondial des clubs et remporte la finale, le 13 juillet, le club de la capitale aura disputé 68 matchs dans une saison étirée sur onze mois, d'août 2024 à juillet 2025. Et encore, le PSG a la chance d'évoluer en France, où le nombre d'équipes du championnat de France (Ligue 1) a été réduit de 20 à 18 en 2023 et la Coupe de la Ligue rayée d'un trait de plume en 2020.

Les tout meilleurs joueurs concernés

"Pour un joueur, jouer 80 ou 90 matchs, ce n'est pas possible", mettait déjà en garde Aurélien Tchouaméni, qui évolue au Real Madrid, en octobre 2023, avant une salve de rencontres internationales. Jugez plutôt avec le calendrier bien rempli d'un joueur du PSG et de l'équipe de France : le nombre de plages de repos dépassant trois jours pleins entre deux matchs sont réduites à peau de chagrin, notamment à l'automne et au printemps.

Ce ne sont évidemment pas les joueurs de clubs de milieu de tableau, non engagés dans des compétitions européennes, qui sont concernés par ces cadences infernales, mais les cracks des meilleures équipes. Ce qui représente quand même en volume "5 ou 6% des meilleurs joueurs", chiffrait en septembre dernier David Terrier, président du syndicat des footballeurs européens (FIFPro Europe), auprès de franceinfo. Ceux qui jouent dans des équipes qui vont loin en Ligue des champions, qui vont loin dans les coupes domestiques et qui cumulent aussi des sélections en équipe nationale. Pour illustrer cette inflation de matchs, regardez, dans le graphique qui suit, le cas de quatre joueurs majeurs de l'équipe de France ces dernières saisons : Kylian Mbappé (PSG puis Real Madrid), Antoine Griezmann (Barcelone puis Atlético de Madrid), Ousmane Dembélé (Barcelone puis PSG) et Jules Koundé (Séville puis Barcelone).

Selon le syndicat des joueurs, la FIFPro, la charge de travail excessive pour les joueurs se situe une fois la barre des 55 matchs joués en une saison franchie. Un stakhanoviste comme Antoine Griezmann, quasiment jamais blessé et qui s'approche, à 34 ans, de la fin de sa carrière, s'est résolu à arrêter l'équipe de France en octobre dernier, pour réduire la cadence. Le désormais ex-coach du Real Madrid, Carlo Ancelotti avait de son côté évoqué l'été dernier l'idée d'imposer des vacances forcées à ses stars en cours de saison.

Plus de matchs, de plus en plus jeune

"Le haut niveau est comme une machine à laver, vous jouez tout le temps et vous ne vous arrêtez jamais", avait imagé Raphaël Varane, au moment de raccrocher les crampons à 31 ans à peine, car prématurément usé par des saisons à rallonge après avoir débuté sa très riche carrière très jeune. C'est un fait : dans le football moderne, on joue beaucoup, et de plus en plus tôt. On le constate aisément en comparant le total de minutes jouées par Kylian Mbappé avant ses 25 ans avec le temps de jeu de ses illustres devanciers sur le front de l'attaque de l'équipe de France.

On voit sur ce graphique que Kylian Mbappé dépasse de très loin les vedettes des générations précédentes. Certes, Olivier Giroud ou Franck Ribéry ont percé sur le tard, après des débuts dans des clubs de division inférieure. Mais, même pour Thierry Henry, lancé très jeune dans le grand bain du professionnalisme avec Monaco, puis en Ligue des champions et en équipe de France (il a été sacré champion du monde en 1998 à seulement 20 ans), le nombre de matchs dans les années 1990 n'avait rien à voir avec ce qu'il est aujourd'hui.

Le cas des attaquants tricolores est tout sauf isolé. La star anglaise Jude Bellingham avait joué à 20 ans six fois plus de matchs que David Beckham au même âge, relevait une étude du cabinet d'assurances Howden pour la FIFPro. Même chose pour le prodige allemand Florian Wirtz, qui a disputé 11 501 minutes sur le rectangle vert avant ses 21 ans, contre 4 175 pour Michael Ballack, le même profil de joueur, deux décennies plus tôt.

Disputer toutes ces compétitions aux quatre coins du monde n'est pas sans impact sur la fatigue des joueurs et donc sur les risques de blessures. Un phénomène accentué pour les non-Européens évoluant dans les top clubs du Vieux Continent. Un joueur comme le capitaine du PSG, Marquinhos, fait régulièrement des aller-retours avec le Brésil pour disputer ses matchs en sélection, pour une moyenne de 96 000 km parcourus (essentiellement en avion) pour exercer son métier lors des cinq dernières saisons, selon les calculs de la FIFPro. Mohamed Salah, l'attaquant star de Liverpool a lui englouti 67 000 km de classe affaires chaque année.

Mais même Kylian Mbappé, embarqué dans le barnum du Real Madrid après celui du PSG, parcourt 31 000 km en moyenne pour faire rêver les foules et vendre des maillots et des écrans publicitaires. Des chiffres à garder en tête alors que la Coupe du monde des clubs se dispute entre les côtes est et ouest des Etats-Unis. 

Le Mondial des clubs, un bouc-émissaire un peu facile

Ce serait cependant un peu facile de faire porter à la seule Fifa la charge d'avoir alourdi le calendrier international. Les clubs s'en occupent très bien eux-mêmes. Regardez le total de matchs du Real Madrid, qui évolue dans le championnat d'Espagne, au nombre d'équipes inchangé depuis vingt ans et avec une seule coupe nationale depuis toujours. Les dirigeants merengue ont pu imposer une douzaine de matchs amicaux, parfois des tournois sans réelle valeur organisés au bout du monde à leurs joueurs, pour faire rentrer l'argent dans les caisses. La saison 2024-2025 du PSG aurait, elle aussi, pu être plus longue si une tournée en Chine couplée au Trophée des champions n'avait pas été annulée fin juillet, relève Le Parisien.

"Je ne suis pas contre les nouvelles compétitions. Je suis contre le manque de temps de récupération entre les saisons", pestait en décembre 2023 l'entraîneur de Manchester City, Pep Guardiola, sur beIN Sports, après l'annonce du nouveau format du Mondial des clubs (32 clubs réunis pour une compétition d'un mois). Moins d'un tiers des joueurs observés par la FIFPro ont eu droit à quatre semaines de repos estival entre deux saisons, la durée de récupération recommandée en 2019-2020 et 2020-2021. Avec des records extrêmes, comme les six petits jours accordés à l'attaquant espagnol Mikel Oyarzabal entre la finale des Jeux olympiques de Paris et la reprise de l'entraînement avec son club de la Real Sociedad, observait le syndicat des joueurs dans son rapport annuel.

Fin mai, Manchester United a poussé le mercantilisme jusqu'à obliger l'équipe à sauter dans un avion pour la Malaisie, au lendemain de la dernière journée de l'harassant championnat d'Angleterre – achevé à une épouvantable 15e place – pour une tournée post-saison lugubre en Asie diffusée en pay-per-view sur la chaîne officielle du club, raconte le Guardian.

La FIFPro n'était pourtant pas la première à tirer la sonnette d'alarme. En 2002, le médecin des Bleus Jean-Marcel Ferret alertait : "Plus de soixante matchs dans une saison, pour un joueur, cela devient dangereux". A l'époque, l'intensité des matchs joués par Zidane, Djorkaeff et consorts n'avait rien à voir avec le foot ultrarythmé des années 2020 : le nombre d'actions réalisées à haute intensité a ainsi augmenté de 50% en 20 ans dans la prestigieuse Premier League, le championnat d'Angleterre, selon les conclusions de chercheurs de l'académie anglaise de Sunderland.

Encore plus loin de nous, si on compare avec l'époque du roi Pelé (1956-1977 sur le terrain), on se rend compte que le nombre de passes a augmenté de 35% et la vitesse de la balle de 15%, relève une étude de l'université de Franche-Comté. N'empêche, le légendaire joueur brésilien avait déjà expérimenté des cadences infernales, des vraies, avec la bagatelle de 104 matchs disputés en 1959. L'homme aux mille buts n'a pas tenu longtemps à ce rythme : après une grave blessure en 1962 qui l'a contraint à suivre la Coupe du monde depuis les tribunes, il a nettement réduit ses apparitions après 1965.