Les deux pays ont un destin commun. Leur relation doit être à l’abri des contingences politiciennes. Elle ne peut se limiter aux obligations de quitter le territoire français et aux visas.
Erwan Davoux
Ancien membre de la DGSE, chargé de mission à l’Élysée, directeur de la publication de Geopolitics.fr
La relation France-Algérie doit être abordée de manière professionnelle et au niveau opportun. La France a souvent reproché à l’Algérie de faire de la relation bilatérale un enjeu de politique intérieure, une variable d’ajustement dans les luttes internes au sein du pouvoir algérien. C’est exactement le travers qui se manifeste aujourd’hui, en France, témoignant de dysfonctionnements institutionnels et interrogeant sur la maîtrise et l’importance des enjeux internationaux par le personnel politique. L’obsession dont fait preuve Bruno Retailleau s’inscrit, au-delà de préjugés bien ancrés de la droite antigaullienne, dans la stratégie partisane de conquête du parti « Les Républicains ».
Malheureusement il n’est pas seul. Il est devenu commun de créer des polémiques sur le pouvoir algérien mais aussi, plus grave, sur l’Algérie, les Algériens, les Franco-Algériens sans aucune distinction. Après que son premier ministre se fut pris les pieds dans le tapis, Emmanuel Macron a sifflé la fin de la récréation, tardivement, en raison de contingences de politique intérieure. La relation entre la France et l’Algérie est passionnelle et complexe. Elle doit être traitée à un haut niveau et par des personnalités qui connaissent intimement l’Algérie et la psychologie algérienne. Très attachée à sa souveraineté et respectant celle des autres, disposant d’une diplomatie reconnue, l’Algérie ne peut répondre au rapport de force… que par le rapport de force. Un perdant-perdant est engagé.
Nos exportations de blé vers l’Algérie sont quasi nulles pour 2024. L’Italie a pris la place de la France. L’Algérie est désormais son premier partenaire commercial sur le continent africain et son premier fournisseur de gaz naturel. C’est dans des configurations restreintes que se règlent les contentieux et les irritants, et non à travers des invectives dans les médias. Cela relève du niveau du président de la République, secondé par son ministre des Affaires étrangères et un Quai d’Orsay replacé dans un rôle central.
Il est urgent d’arrêter de jouer le Maroc contre l’Algérie et vice versa. La reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental a entraîné une crispation algérienne prévisible, d’autant qu’elle survenait au moment où se préparait une visite d’État du président Tebboune en France. Pour une fois, le « en même temps » macronien s’imposait. Il eût été bienvenu de faire un geste concomitant envers l’Algérie. Jacques Chirac avait su, lui, entretenir d’excellentes relations avec chacun des pays du Maghreb.
Enfin, la relation bilatérale ne doit pas se réduire à la question des visas et des obligations de quitter le territoire français (OQTF). Nous avons un destin partagé. Tout y concourt : la géographie, l’histoire tragique, les binationaux, l’usage encore répandu du français en Algérie, les enjeux économiques et sécuritaires. Dans l’immédiat, l’urgence est d’éviter une rupture. Au prochain président de la République de s’atteler, avec son homologue algérien, à reconstruire, progressivement, une relation de confiance.
Il faut redonner sa place au droit, d’un côté comme de l’autre, pour abaisser les pressions sur une relation aux nombreux intérêts communs
Adlene Mohammedi
Chercheur et enseignant en géopolitique
Depuis quelques semaines, l’Algérie s’est invitée au cœur des débats politiques français. À Paris, c’est d’ailleurs le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qui semble avoir pris la main sur la gestion de la relation bilatérale. Comme s’il fallait élargir les prérogatives d’un ministre qui doit probablement sa nomination à l’ascension électorale d’un autre parti que le sien – le Rassemblement national. François Mitterrand, ministre de l’Intérieur de la IVe République, pouvait déclarer en novembre 1954 « l’Algérie, c’est la France ».
On pourrait facilement imaginer son lointain successeur nous dire : « L’insécurité en France, c’est l’Algérie. » Quelques « influenceurs » menaçants (notamment vis-à-vis des opposants algériens), un assaillant schizophrène à Mulhouse qui faisait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, et voilà l’Algérie érigée en slogan favori d’une droite française encline à y voir la parfaite synthèse entre insécurité et immigration.
Cette crise fait (re) surgir trois phénomènes : la tentation du sacrifice des deux côtés de la Méditerranée (comme si les millions de gens directement concernés par cette relation et les nombreux intérêts communs étaient négligeables) ; le déclassement dans un monde instable (les deux pays font face à des défis géopolitiques comparables, notamment au Sahel) ; le recul de l’État de droit – et de la langue du droit en général. En Algérie, cela passe par la répression arbitraire à l’encontre de nombreux prisonniers d’opinion. Et la querelle franco-algérienne est un facteur de crispation : la défense des libertés publiques vient se heurter à une mentalité d’assiégé.
En France, toutes proportions gardées, le dédain pour le droit international et pour l’État de droit s’est rarement autant fait sentir. Rappelons que la brouille diplomatique a commencé par la reconnaissance française de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental – une position adoptée dans des conditions douteuses (sans concertation au Parlement et sans gouvernement de plein exercice) et qui fait fi du droit international.
Puis vint le nouveau ministre de l’Intérieur (et de l’Algérie) : un homme qui exprime volontiers son scepticisme à l’égard de l’État de droit dès sa nomination en septembre. Et, comme il a de la suite dans les idées, il tente d’expulser quelques mois plus tard un « influenceur » suivant une procédure d’urgence que la justice française jugera finalement injustifiée. Désormais, ce communicant peu sensible aux contraintes juridiques voudrait s’attaquer à l’accord franco-algérien de 1968 – le totem du moment. Pour lui, c’est une affaire de rapport de force, et certainement pas une question de droit des traités.
Devant les risques d’une dérive arbitraire encouragée par une tension diplomatique ou des faits divers, la plus grande vigilance s’impose.
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