Le gouvernement poursuit sa stratégie des petits pas. Face aux longs débats sur le volet recettes du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale, la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, a annoncé lundi 3 novembre que le gouvernement transmettrait au Sénat "tous les amendements" votés, même si le temps finissait par manquer pour terminer l'examen du budget. Il reste aux députés environ 2 300 amendements à examiner du 12 au 17 novembre, week-end compris.
La Constitution fixe en effet une durée de quarante jours de discussion sur le projet de loi de finances. Passé ce délai, le gouvernement peut transmettre au Sénat la copie initiale, purgée de toutes les modifications votées dans l'hémicycle du Palais-Bourbon. En faisant la promesse de ne pas choisir cette voie, Sébastien Lecornu veut envoyer une marque de respect aux députés.
Un levier légal, mais "très peu utilisé"
Dans les couloirs de l'Assemblée, l'annonce du gouvernement a été plutôt bien accueillie mardi. "C'est un signe d'ouverture", salue Harold Huwart (groupe Liot). "C'est très peu utilisé en pratique", rappelle de son côté Benjamin Morel, professeur de droit public et secrétaire général du Laboratoire de la République, présidé par l'ancien ministre de l'Education nationale macroniste Jean-Michel Blanquer. Le politologue mentionne un précédent : en 2023, la réforme des retraites n'avait pas été votée en première lecture à l'Assemblée et le gouvernement d'Elisabeth Borne avait transmis une version remaniée de son texte initial, pour y ajouter ses amendements.
"Sébastien Lecornu veut une copie qui soit transformée par les deux chambres", explique un conseiller de l'exécutif. "Cela permet de répondre à ceux qui font monter la musique des ordonnances. Si on a renoncé au 49.3, ce n'est pas pour passer par cette voie", poursuit cette source.
Avant les débats budgétaires, le Premier ministre a ainsi déclaré qu'il n'utiliserait pas cet alinéa de la Constitution, qui permet de faire adopter un texte sans vote, mais avec le risque d'une censure. Cependant, une partie des oppositions pense que le gouvernement passera par des ordonnances pour faire adopter sa version du budget, comme la Constitution l'y autorise, à l'expiration du délai de soixante-dix jours d'examen.
"Sébastien Lecornu fait les concessions nécessaires", assure un député du camp macroniste. "C'est assez logique et légitime. Que cela nous plaise ou non, l'Assemblée s'est prononcée clairement", abonde un autre élu du parti présidentiel. "Il n'est pas illogique que le travail des députés soit pris en compte, même si les délais ne permettent pas un vote sur le texte final."
"Avant, tout était écrasé par le 49.3"
Du côté des socialistes, on se réjouit d'une autre concession faite aux parlementaires, après le renoncement au 49.3. "C'est une bonne chose pour que tout ne tombe pas", estime un influent député du PS. "C'est positif, le gouvernement dit : 'Je ne mets pas à la poubelle ce qui a été fait par les députés'", ajoute un sénateur du parti. "Ça ouvre un nouveau champ des possibles. Avant, tout ce qui était voté à l'Assemblée était écrasé par le 49.3", salue Mélanie Thomin, porte-parole du groupe à l'Assemblée.
S'ils ont échoué à faire voter la taxe Zucman, les socialistes mettent en avant plusieurs victoires, de la création de l'impôt sur la fortune improductive à la non-fiscalisation des indemnités pour les personnes atteintes d'une affection longue durée (ALD). "Nous avons réussi en partie à vider le musée des horreurs", estime Mélanie Thomin.
"C'est de nature à ne pas nous irriter", sourit du bout des lèvres un député écologiste. "C'est la moindre des choses" que le gouvernement conserve les amendements votés par les députés, ajoute-t-il.
"Ce n'est pas un cadeau de leur part : ils sont faibles, sous la menace d'une censure permanente. Or, ils nous présentent ça comme si c'était une largesse !"
un député écologisteà franceinfo
Tous les parlementaires interrogés par franceinfo prédisent toutefois que la droite sénatoriale, majoritaire au palais du Luxembourg, détricotera largement le texte, qu'elle doit examiner dès le 26 novembre. Jean-François Husson, rapporteur du budget au Sénat, a qualifié mercredi de "monstruosités" les mesures adoptées par l'Assemblée. "Ça va être la boucherie, on aura une copie très à droite, Bruno Retailleau [leader de la droite au Sénat et patron des Républicains] va se déchaîner", craint déjà un sénateur socialiste. De quoi relativiser la décision du gouvernement. "C'est un geste politique à peu de frais", lâche un macroniste, car "il y aura un nettoyage au Sénat puis en commission mixte paritaire", l'instance chargée de trouver un compromis en cas de désaccord entre les deux chambres.
Le gouvernement espère aussi éviter un rejet du premier volet du budget à l'Assemblée nationale, car, en cas d'échec, "la pratique constante et établie veut que la version initiale du projet de loi soit transmise au Sénat, précise Benjamin Morel. Ce choix peut inciter les députés à ne pas voter contre le texte".
Le PS en veut davantage
"On sait qu'au Sénat les mesures prises par la gauche ont peu de chances de survivre, admet Mélanie Thomin. Mais elles y seront débattues, et c'est nouveau." En parallèle, le Premier ministre multiplie les concertations avec les socialistes et les autres groupes parlementaires. La recherche du compromis se jouera aussi lors des discussions sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), qui doivent se poursuivre jusqu'au vote, le 12 novembre.
Le texte contient déjà la plus grosse concession faite aux socialistes par Sébastien Lecornu : la suspension de la réforme des retraites. Le Premier ministre a également mis sur la table l'abandon du gel des pensions de retraites et des minima sociaux. Mais le PS, qui veut d'autres gages, comme l'abandon du doublement des franchises médicales, continue de brandir la menace de la censure. "Si on sent que ce débat nous échappe, on va réclamer des comptes au gouvernement", assure Mélanie Thomin.
Si la proposition du gouvernement permet donc de mettre un peu d'huile dans les rouages des négociations, elle ne résout pas l'épineuse équation du vote au Parlement. Or aucun groupe ne se dit prêt à voter le budget en l'état. "C'est intelligent d'un point de vue politique, mais ce n'est pas sûr que ça aboutisse, confirme Benjamin Morel. On ne voit pas l'atterrissage. Ça donne des gages aux socialistes pour éviter peut-être la censure, ou légitimer les ordonnances".
Un scénario ubuesque est en effet déjà évoqué par certains : pour faire adopter un budget contenant les concessions faites au PS, et obtenir sa non-censure, le gouvernement aurait finalement intérêt à utiliser les ordonnances... ou le 49.3. Mais bien avec l'assentiment des socialistes, cette fois.