"On ne peut pas repousser sans cesse le sujet Zucman", confiait, mercredi 29 octobre en fin d'après-midi, un influent parlementaire macroniste. L'attente d'une date pour l'examen à l'Assemblée du très médiatique projet de taxe imaginé par l'économiste du même nom, qui vise à imposer à hauteur de 2% les personnes possédant au moins 100 millions d'euros de patrimoine, a tenu en haleine la représentation nationale depuis le début de l'ouverture des débats sur la partie "recettes" du projet de loi de finances (PLF). Elle sera finalement débattue vendredi. Le gouvernement a décidé d'accélérer l'agenda parlementaire pour examiner en priorité le sujet explosif de la taxation des hauts patrimoines.
Le samedi précédent, l'exécutif avait pourtant fait le choix inverse, bouleversant le calendrier et repoussant à plus tard l'examen de la taxe Zucman. Raison officielle invoquée : le déplacement du ministre de l'Economie et des Finances, Roland Lescure, à Toronto (Canada) pour le G7, mercredi, et la nécessité qu'il soit dans l'hémicycle, avant son départ, pour l'examen des articles du PLF le concernant. "Je sais que vous êtes déçus, mais ne vous inquiétez pas, vous retrouverez très vite la ministre [Amélie] de Montchalin [en charge du Budget] très vite", avait assuré, sourire aux lèvres, le patron de Bercy, s'attirant des cris d'indignation sur les bancs de la gauche. "Le gouvernement conserve le contrôle de l'agenda parlementaire et a pu repousser de plusieurs jours l'étude de la taxe Zucman", fustige la présidente du groupe écologiste, Cyrielle Chatelain.
"Il faut du temps et on n'en a pas"
"On peut légitimement avoir une suspicion" sur la stratégie du gouvernement, appuie le président La France insoumise de la commission des Finances, Eric Coquerel, qui se demande si ce décalage n'a pas été fait "pour essayer de négocier" avec le Parti socialiste. Sans que cela soit très concluant, puisque la macronie et le parti d'Olivier Faure n'ont pas trouvé d'accord à ce sujet. "On a traîné de façon volontaire pour ne pas entamer le fameux article 3 [et la taxe Zucman] samedi soir [le 25 octobre]", reconnaît une députée du groupe Ensemble pour la République. "Depuis lundi, on n'avance pas très vite sur les articles appelés en priorité, mais ce n'est pas volontaire de notre part."
La mission des députés semblait très difficile dès l'ouverture des débats, le 24 octobre. Au fil des jours, elle s'est révélée impossible. Il s'agissait d'examiner les plus de 3 700 amendements déposés sur la partie "recettes" du projet de loi de finances (PLF) avant le 4 novembre, date du vote solennel sur cette partie. Devant la presse, mercredi midi, Eric Coquerel a mis fin au suspense : les débats reprendront finalement après le 12 novembre, et l'examen du budget de la Sécurité sociale, pour un vote espéré entre le 14 et le 16 novembre.
Le président de la commission des Finances a en tête la date du 23 novembre, jour où expirera le délai constitutionnel des 40 jours pour que l'Assemblée nationale se prononce en première lecture sur le budget. Si elle ne le fait pas, "le gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours", dispose l'article 47 de la Constitution. "On court après le temps. On ne va pas assez vite avec cette ligne d'arrivée pour le PLF", assure encore Eric Coquerel. Sur tous les bancs, ils sont nombreux à reconnaître un certain enlisement des débats. "On ne peut pas dire qu'on a pris le Concorde, là, mais plutôt un avion vieillissant", s'amuse un ancien ministre macroniste. "On n'a pas suffisamment de temps pour bâtir du compromis", observe un influent parlementaire de droite. "Il faut du temps et on n'en a pas."
"Objectivement, les débats sont longs. On a passé deux heures sur les bateaux à voile et trois heures trente sur le crédit d'impôt services à la personne."
Un parlementaire de droiteà franceinfo
Dans les travées du Palais-Bourbon, certains députés décrochent. Ici, un élu du MoDem regarde discrètement un match de rugby sur son smartphone, caché sous le pupitre. Là, un député EPR sort quelques amandes à grignoter. Sans compter le nombre d'élus plongés dans les pages du Monde, du Figaro, ou sur les réseaux sociaux.
"C'est un concours de lenteur", observe encore un cadre important du PS, qui pointe "une forme de désorganisation". Mais, à gauche, ils sont nombreux à dénoncer la responsabilité du socle commun – l'alliance du bloc central et de LR – sur ce point. "Les débats s'enlisent à la suite du dépôt d'un nombre important d'amendements par LR et EPR et des ministres très bavards", dénonce Cyrielle Chatelain. Dans les rangs macronistes, on réfute la critique sur le nombre d'amendements, et on renvoie au temps passé par LFI pour défendre les siens. Le groupe insoumis conteste. "Vous nous emmenez tout droit vers les ordonnances", soit un passage en force du gouvernement, attaque Mathilde Panot, la cheffe de file des députés LFI, jeudi, dans l'hémicycle. "Non, le scénario n'est pas d'y aller", assure Amélie de Montchalin.
Qui pour voter le Budget ?
Les députés devraient arriver au terme de l'examen des amendements restants sur les recettes, mais l'incertitude est plus grande sur le vote final de cette partie du budget. Sans compter qu'il apparaît, à cette heure, "tendu", selon un fin connaisseur de l'Assemblée, que les députés parviennent à se prononcer sur la partie "dépenses" avant le 23 novembre. Reste que la question du vote des différents groupes politiques agite les couloirs du Palais-Bourbon. "On est la seule famille politique à s'engager à voter le budget à la fin de l'année", affirmait devant la presse, lundi, la députée EPR Prisca Thevenot. Mais c'était avant le vote, mardi en début de soirée, d'un amendement visant à "taxer les bénéfices des multinationales proportionnellement à leur activité réellement réalisée en France", porté par LFI et censé rapporter 26 milliards d'euros, un chiffre contesté par le gouvernement.
La mesure a fait bondir le bloc central. "Nous venons d'assommer l'économie", a dénoncé le député EPR Pierre Cazeneuve. "C'est le début des vrais problèmes", confie un influent député macroniste. "Comment voter, même au nom du compromis, une P1 [la partie "recettes" du Budget] manifestement délirante ?" "Je suis très dubitatif. En l'état, ce texte devient totalement invotable", prévient mercredi le patron des députés MoDem, Marc Fesneau, en conférence de presse.
A l'inverse, cette mesure, ainsi que celle du gouvernement visant à limiter la baisse de la surtaxe des entreprises, ou encore la multiplication par deux de la taxe Gafam sur les géants de la tech, pourraient-elles faire basculer les groupes de gauche au moment du vote final de la partie recettes ? Pas chez LFI, qui maintient le "contre". "L'abstention n'est pas sur la table chez nous. Des horreurs sont encore à examiner", assure Eric Coquerel. Le gouvernement table sur une abstention du reste des groupes, ou tout du moins du PS. Mais les socialistes ne se prononcent pas sur cette question, et maintiennent officiellement leur menace de rupture si le sujet de la taxation des hauts patrimoines n'aboutit pas.
"Si les macronistes ne se dépêchent pas de trouver un compromis avec nous, on aura un texte que personne ne pourra voter, y compris eux."
Un député socialisteà franceinfo
Mais, en coulisses, les socialistes ont fait le deuil de la taxe Zucman, mais aussi de la "Zucman light", toutes deux rejetées par le gouvernement et sans chances d'être votées. "On a reformulé le débat en disant qu'il nous fallait 15 milliards d'euros" sur la taxation des hauts patrimoines, sans nécessairement créer une nouvelle taxe, confie mercredi midi un élu PS. Et, si rien n'aboutit sur ce sujet vendredi, il n'est pas certain qu'Olivier Faure mette immédiatement sa menace de censure à exécution. "A la fin de cette semaine, nous saurons si nous allons à la dissolution ou pas", avait pourtant mis en garde le Premier secrétaire du PS dimanche, sur LCI. "On se dirige vers une décision en fin de débat, confie finalement un cadre du parti, quand on aura une vue globale sur le montant des recettes prélevées sur les grandes entreprises, les hauts revenus et patrimoines." Si le projet de loi de finances venait à être rejeté par les députés, c'est la copie du gouvernement qui serait envoyée au Sénat. Tout ce qui a été voté par les députés irait alors dans les poubelles du Palais-Bourbon.