Arrestation du maire d'Istanbul : "Ce sont les élections mêmes qui sont directement menacées", estime le chercheur Bayram Balci
"Ce sont les élections mêmes qui sont directement menacées" en Turquie, estime lundi 24 mars sur franceinfo Bayram Balci, chercheur au centre de recherches internationales de Sciences Po et ancien directeur de l'Institut français d'Études Anatoliennes à Istanbul. La contestation se poursuit en Turquie après l'incarcération du populaire maire d'opposition d'Istanbul, Ekrem Imamoglu.
"Ce que ça nous dit, c'est que cette fois-ci, la population en Turquie ne veut pas se laisser faire. Jusque-là, toutes les mesures prises par Erdogan pouvaient passer, car il y avait un contexte sécuritaire très grave en Turquie, dans la région. Or ce n'est plus le cas, et j'ai le sentiment qu'Erdogan a pris une mesure qu'il va probablement regretter, parce qu'elle va se retourner contre lui." Il prédit au président turc "des moments assez difficiles" dans les semaines à venir.
Il souligne "une contestation dans tout le pays" due au fait que ce n'est pas un problème propre à Istanbul. "La population turque considère que cette décision est grave pour l'ensemble du pays", et il parle d'une "dérive autoritaire qui devient beaucoup plus grave". "Même s'il y a une dérive autoritaire depuis plusieurs années, il y avait quand même un certain respect des institutions, des élections, une certaine compétition. Or là, tel que c'est parti, la population en Turquie craint qu'il n'y ait plus d'élections. De ce fait, il y aura probablement une mobilisation dans l'ensemble des provinces, je pense que ça va se développer", avance-t-il.
Le chercheur estime que cette crainte de ne plus voir d'élections est "justifiée, car Erdogan est un peu trop sûr de lui. Depuis quelques mois, tout va très bien pour la Turquie : il a réussi à régler la question kurde, la guerre en Syrie s'est terminée avec les faveurs de la Turquie, le contexte géopolitique international est favorable à la Turquie. Erdogan a pensé qu'une telle mesure allait passer, mais ça ne passe pas, car les Turcs résistent. Il y a une résistance démocratique comme on en voit ailleurs, on l'a vu en Serbie récemment."
"Quoiqu'il fasse, il est en difficulté"
Selon lui, l'arrestation du maire d'Istanbul a fédéré plusieurs oppositions à Erdogan : il évoque notamment les quinze millions d’électeurs turcs qui ont participé dimanche à la primaire symbolique organisée par le parti CHP d'Ekrem Imamoglu. "Il y a même des gens pas du tout de ce parti qui se sont déplacées pour apporter leur soutien". Il ajoute qu'"au sein de l'AKP, cette mesure passe très mal. Ce qui est rassurant, c'est qu'il n'y a pas de contre-manifestations : les pro-AKP, les pro-Erdogan ne sont pas dans les rues, ce qui prouve que quelque part, ils sont embarrassés par rapport à la décision prise par Erdogan."
Pour lui, "cette mesure est tellement impopulaire que ça donne toute sa chance à l'opposition, que ce soit avec Imamoglu ou quelqu'un d'autre." "S'il recule, il se discrédite. S'il va encore plus loin dans la répression, il se discrédite. Quoi qu'il fasse, il est en difficulté", analyse Bayram Balci.
Enfin, le chercheur juge que le président turc "a été un peu inconscient" au vu de la nouvelle donne géopolitique mondiale. "Avec une telle dérive autoritaire, il perd toute crédibilité aux yeux des Européens. Ils vont désormais se demander comment bâtir une grande union entre l'Union européenne et la Turquie contre la Russie, ce ne sera pas crédible. Il va regretter sa décision", estime-t-il. Pour lui, le président turc "sera obligé de changer sa politique."