"Conclave" sur les retraites : au-delà d'un retour à 62 ans, quels sont les critères sur lesquels patronat et syndicats négocient ?
François Bayrou a-t-il torpillé le "conclave" sur les retraites ? Le Premier ministre, qui a chargé en janvier les syndicats et le patronat de retravailler la très contestée réforme des retraites de 2023, a fermé la porte, dimanche 16 mars sur France Inter, à un retour de l'âge de départ à 62 ans, contre 64 ans dans la nouvelle loi. "Je ne crois pas que la question (…) de dire : 'Voilà l'âge pour tout le monde' (…) soit la seule piste", s'est justifié le chef du gouvernement, dont les déclarations ont provoqué l'indignation, voire la colère, des syndicats et de la gauche.
Il faut dire que François Bayrou avait promis de rouvrir le dossier des retraites en discutant "sans aucun totem" ni "tabou" de tous les sujets, et notamment du recul à 64 ans de l'âge de départ à la retraite. Un retour à 62 ans figure parmi les principales revendications de la CGT, la CFDT et des syndicats chargés de trouver un accord avec le patronat jusqu'à fin mai.
Cette principale revendication est-elle définitivement enterrée ? Le ministre de l'Economie, Eric Lombard, a estimé dimanche qu'il incombait "aux partenaires sociaux de décider", alors que François Bayrou, interrogé sur la possibilité de permettre un départ à la retraite à 63 ans au lieu de 64, a botté en touche, affirmant que l'âge n'était pas le seul levier de négociations. Le Premier ministre a justifié sa position en évoquant le déficit du système des retraites qui atteindra près de 15 milliards en 2035, selon la Cour des comptes.
Meilleure prise en compte de la pénibilité et emploi des seniors
Malgré cette sortie polémique de François Bayrou, d'autres sujets restent sur la table. "Les sujets abordés comme l'égalité salariale, les droits familiaux, les carrières longues [ou] la pénibilité sont importants et tout cela mérite que le 'conclave' puisse continuer", a énuméré Cyril Chabanier, président de la CFTC. Le syndicat appelle ainsi à une meilleure prise en compte de la pénibilité, en améliorant "les conditions de travail" des salariés exerçant un métier pénible et en leur permettant de partir plus tôt à la retraite. Comme la CFDT, il demande ainsi la réintégration au compte professionnel de prévention de quatre critères de pénibilité supprimés en 2018 par Emmanuel Macron : le port de charges lourdes, les vibrations mécaniques, les postures pénibles et l'exposition aux agents chimiques dangereux.
L'emploi des seniors figure aussi parmi les revendications des syndicats, alors que les actifs en fin de carrière éprouvent des difficultés à trouver du travail. Pour augmenter les recettes du système de retraites, la CFDT mise sur une augmentation du nombre de personnes en activité et souhaite créer "une cotisation employeur" si ces derniers n'embauchent pas davantage de seniors.
Plusieurs syndicats veulent aussi s'attaquer aux inégalités salariales entre les femmes et les hommes. La CGT souhaite notamment la création d'une contribution technique temporaire pour les entreprises en faveur de l'égalité femmes-hommes, qui pourrait rapporter près de 6 milliards d'euros par an, selon elle. Le syndicat veut aussi soumettre à cotisations certaines primes comme la participation et l'intéressement, mais aussi augmenter de 0,5 point les cotisations retraites payées par les employeurs. La CFTC pousse, quant à elle, pour une augmentation de 0,15 point des cotisations retraites patronales et salariales. La CGT souhaite par ailleurs revenir sur le rallongement de la durée de cotisation pour bénéficier d'une retraite à taux plein, qui doit atteindre 43 ans en 2027.
Au-delà de la question de l'âge, le patronat, qui avait soutenu la réforme portée en 2023 par Elisabeth Borne, souhaite lui introduire une part de capitalisation dans le système des retraites, qui repose actuellement sur un système de répartition. La CPME, l'Union des entreprises de proximité et le Medef y sont favorables. La CPME suggère d'augmenter le temps de travail hebdomadaire d'une heure pour financer cette part de capitalisation. Le Medef, par la voix de son président Patrick Martin, a aussi proposé de supprimer l'abattement fiscal pour frais professionnels de 10 % dont bénéficient les retraités.
Des clarifications du Premier ministre particulièrement attendues
Ces multiples propositions font actuellement l'objet de discussions tous les jeudis. Mais les déclarations de François Bayrou pourraient-elles mettre fin à ce "conclave" ? Alors que le syndicat Force ouvrière a claqué la porte dès la première réunion, la CGT, qui a dénoncé une "trahison des engagements du Premier ministre", doit se réunir lundi et mardi pour se positionner sur la suite des négociations.
Denis Gravouil, chargé des négociations sur les retraites, a prévenu sur franceinfo que cette sortie pourrait compromettre la participation de la CGT. La CFTC attend elle "des clarifications à Matignon" tandis que la CFDT, "attachée à un bougé sur l'âge sur la base des 62 ans", compte demander au Premier ministre "s'il confirme ses propos" lors d'une rencontre avec lui prévue mardi.
Si les partenaires sociaux parviennent à un accord, même partiel, François Bayrou s'est engagé mi-janvier à présenter leur texte au Parlement pour amender la réforme. Mais "si personne ne se met d'accord (…) on en restera au système antérieur, défini en 2023", avait aussi prévenu, à l'ouverture du "conclave", le Premier ministre. Celui-ci avait aussi avoué que "le référendum [était] une issue". L'épineux dossier des retraites n'a donc pas fini de faire parler de lui.