Droits de douane américains : "Si c'est vraiment 25% sur les importations, ça aura un impact très sérieux" affirme le président de l’Académie des Technologies
Depuis l'arrivée au pouvoir de Donald Trump le 20 janvier 2025, les relations internationales se sont considérablement crispées. Engagé dans une nouvelle guerre commerciale censée inaugurer un nouvel "âge d'or américain" selon ses propres mots, le président républicain doit annoncer mercredi 2 avril une liste non négligeable de produits qui devraient être taxés à l'importation. Un climat d'incertitude qui déstabilise déjà les marchés et les perspectives d'investissement à long terme, s'inquiète Patrick Pélata, président de l’Académie des Technologies.
franceinfo : Patrick Pélata, vous êtes à la tête de l’Académie des Technologies, et vous êtes ancien numéro 2 de Renault du temps de Carlos Ghosn. Quel peut être l'impact sur l'économie européenne des mesures douanières qui seront annoncées ce mercredi 2 avril par Donald Trump ?
Patrick Pélata : Si c'est 25% sur l'ensemble des biens exportés de l'Europe vers les États-Unis, c'est un impact très sérieux. D'autant plus qu'il y aura des mesures de rétorsion, évidemment, qui vont aussi gêner les exportations et les importations. Ce qu'on ne sait toujours pas, c'est si c'est pour lui un instrument de négociation ou s'il veut l'installer dans la durée. Si c'est le cas, cela va avoir beaucoup d'impact sur l'économie des États-Unis, sur son inflation, et sur le commerce mondial.
Comment faut-il répondre ? Est-ce qu'il faut répondre à la hauteur des mesures qui seront annoncées ? Œil pour œil, dent pour dent ?
À l'Académie, nous ne sommes pas tellement spécialistes sur ces sujets-là. Mais je pense que s'il y a quelque chose qui est très net maintenant, c'est que la souveraineté technologique et la souveraineté industrielle de l'Europe sont des choses essentielles.
"On avait trop tendance à penser que si le grand frère, ou le cousin américain, avait des technologies importantes, ce n'était pas pas très grave pour nous de ne pas les avoir. Je crois que ça, c'est fini. C'est fini dans la défense, mais aussi dans l'industrie et dans les technologies."
Patrick Pélata, président de l'Académie des Technologies
Il faut retrouver partout une souveraineté technologique. Il faut travailler avec ceux qui sont comme nous – les Japonais, les Coréens et d'autres pays – et qui sont prêts à collaborer avec nous. On ne peut pas, quand on a besoin de faire quelque chose, demander la permission aux États-Unis.
Vous avez signé une tribune : "Face à un scénario encore inimaginable il y a peu, il est aujourd'hui plus que jamais essentiel de se fédérer pour faire reculer la défiance". Vous pouvez préciser ?
Ça, ça vaut sur les sciences, mais aussi sur le numérique. On a beaucoup insisté sur le climat, sur la santé, sur l'énergie tout autant, mais par contre sur le numérique, c'est une attaque directe sur l'Europe et le reste du monde.
C’est-à-dire que les Etats-Unis de Donald Trump et d'Elon Musk profitent des faiblesses européennes ? À quoi pensez-vous ?
Aux médias sociaux, par exemple. Le discours du vice-président JD Vance à Munich était une attaque directe contre les lois européennes qui réglementent les médias sociaux, en particulier sur la mésinformation et les mensonges de grande échelle. Il y a maintenant un certain nombre de lois en Europe et en France qui nous permettent de lutter contre ça. On les utilise moyennement, je dirais.
Il y a quand même un arsenal qui existe aujourd'hui, avec un certain nombre de lois qui ont été passées au niveau européen, donc ça existe.
Ça existe mais on s'en sert peu.
"Les Etats-Unis luttent contre [la régulation] parce que ça les gêne. Ils veulent déréguler chez eux, mais aussi en Europe pour que leur industrie, là où elle est forte, c’est-à-dire dans le numérique, puisse se développer, aller prendre les données qu'ils veulent sur les citoyens européens".
Patrick Pélata, président de l'Académie des Technologies
Sur les bases de données, on est obligé d'utiliser leur infrastructure ; on n'a pas une infrastructure propre en Europe, on n'a pas de cloud européen, en tout cas de la même échelle. Nous avons des atouts, mais nous n'avons pas ce que nous appelons le "continuum numérique".
Cela signifie que pour répondre à la logique de Donald Trump, il faut répondre souveraineté, et notamment souveraineté technologique ? Et c'est ça, la stratégie que vous êtes en train d'essayer d'impulser à la tête de l'Académie des technologies ?
Tout à fait, avec ce qu'on appelle, donc, le continuum technologique. Pour ça, il faut le cloud, des data centers, des systèmes de communication protégés en cybersécurité, des microprocesseurs, des supercalculateurs, des architectures qui permettent de conserver les données chez nous, parce que l'intelligence artificielle, notamment, a besoin de données propres. Si ce n'est pas vous qui possédez ces données, vous ne savez pas quels résultats vous allez avoir. Donc c'est essentiel de maîtriser cette infrastructure aujourd'hui.
S'il faut fixer une priorité en termes de stratégie, en termes financiers, c'est là-dessus qu'il faut insister aujourd'hui, au niveau européen ?
C'est important à deux égards. C'est important pour notre industrie et pour notre niveau de vie, mais c'est aussi important pour nos valeurs, pour la démocratie.
"On ne peut pas laisser faire Elon Musk, qui intervient dans des élections comme il veut en Europe, en Allemagne, en Angleterre, peut-être en France bientôt. Ce n’est pas possible, ça".
Patrick Pélata, président de l'Académie des Technologies
On défend des valeurs de vérité. C'est l'Europe des Lumières, l'Europe de Descartes et d'Alembert. On a lutté contre l'obscurantisme, cela fait deux siècles et demi que l'Europe des Lumières s'est construite et s'est développée, et on ne peut pas laisser un pouvoir externe à l'Europe effacer ça.
Vous pensez qu'on en prend le chemin ? Que justement l'action de Donald Trump, et notamment ces droits de douane dont on va connaître l'ampleur ce mercredi 2 avril, c'est un moment de vérité pour l'Europe, qui doit se prendre en main et notamment d'un point de vue technologique ?
Tout à fait. Je pense qu'il y avait déjà eu des prémices avec le rapport Draghi, et là je dirais que la foudre qui tombe depuis les Etats-Unis fait prendre conscience, quand même, que c'est une affaire sérieuse. Il faut y mettre des moyens. Le rapport Draghi disait : 800 milliards d'euros pour l'Europe par an en plus pour l'innovation et les technologies, dont le numérique. On dit un peu la même chose pour la défense, mais aussi pour la transition énergétique afin d'avoir une énergie décarbonée.