« Vacances de ouf ». La phrase, imprimée en lettres capitales blanches sur des casquettes et tee-shirts, s’affiche partout dans le petit local du comité du Secours populaire français (SPF) de Bagnolet, en Seine-Saint-Denis. Les yeux encore mi-clos, une dizaine d’enfants attendent sagement l’annonce du départ. Autour, c’est le branle-bas de combat. Les bénévoles s’agitent, réglant les derniers détails de ce qui doit être une journée inoubliable.
« Il doit y avoir cinq enfants par accompagnateur », rappelle Danielle à l’assistance. À bientôt 66 ans, la retraitée, bénévole depuis un an, coordonne le groupe bagnoletais. « Tous les comités du Secours populaire de la Seine-Saint-Denis ont rendez-vous au Jardin des plantes, pour aller visiter la ménagerie », glisse-t-elle, l’œil malicieux.
Tout juste arrivée, Hawa dépose ses aînés, Abdoulaye, 9 ans, et Bakary, 8 ans. Intimidés, les deux garçons se faufilent discrètement vers leur accompagnatrice, Kheira. Bénévole au SPF depuis près d’une décennie, elle participe à 40 ans à sa deuxième Journée des oubliés des vacances : « J’avais fait celle de 2015, à Paris, à l’occasion du 70e anniversaire du Secours populaire. Mais j’avais travaillé uniquement sur la partie logistique. Cette fois, je vais pouvoir accompagner les enfants ! »
78 % des cadres supérieurs partent en congé contre 47 % des ouvriers
Hawa, tenant la main de sa cadette, couve du regard ses deux fils. La mère de famille a découvert le Secours populaire par hasard, un jour où elle effectuait des courses dans son quartier. « Je ne connaissais pas du tout. J’ai découvert des valeurs qui m’ont tout de suite plu, notamment la culture de l’entraide. » Depuis elle participe régulièrement à des activités organisées par l’association.
Elle et son mari, Diallo, sont même devenus bénévoles depuis peu. Pour des raisons économiques, le couple n’a pas pu s’offrir de vacances cette année : « Il y a cinq ans, nous sommes retournés au Mali pour visiter la famille. Mais c’est très cher et nous ne pouvons pas nous permettre de le faire tous les ans. Grâce au Secours populaire, nous avons eu la chance d’aller à Dieppe et d’envoyer les garçons en colonie de vacances. Ils ont adoré la mer ! »
Comme Hawa et sa famille, 40 % des Français ne sont pas partis en vacances en 2025, selon les données publiées par l’Observatoire des inégalités. « Seuls 42 % des personnes aux revenus inférieurs à 1 285 euros mensuels ont quitté leur domicile, contre 76 % de celles qui disposent de plus de 2 755 euros », souligne l’organisme.
Le départ en vacances dépend largement du milieu social. 78 % des cadres supérieurs partent en congé contre 47 % des ouvriers, d’après les données 2024 du Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie).
Une journée placée sous le signe du partage
Le groupe ne doit plus traîner. Abdoulaye et Bakary regardent Danielle fermer le rideau de fer du local. « Vous restez bien près de vos accompagnateurs », lance-t-elle aux enfants, une fois dans le métro. « Nous allons à la tour Eiffel ? » demande l’un d’eux. « Pas tout de suite, nous allons d’abord à la ménagerie, où vous allez découvrir plein d’animaux », répond la bénévole.
Bakary s’interroge : « Est-ce qu’il y a des piverts ? » Décontenancés et ne sachant que répondre, les accompagnateurs éclatent de rire. Arrivée à la gare d’Austerlitz, l’équipe bagnoletaise peut compter sur des dizaines d’autres bénévoles pour les guider vers le Jardin des plantes. Postés tous les cinquante mètres, vêtus de tee-shirts bleus, ils orientent les centaines de groupes venus de Seine-Saint-Denis.
« J’ai envie de voir les singes », avoue Bakary. Tania, bénévole depuis plus de dix ans, observe avec tendresse la joie qui règne chez les enfants. « C’est ma quinzième Journée des oubliés des vacances ! » précise-t-elle fièrement. Depuis qu’elle a pris sa retraite en 2010, cette ancienne Atsem de 65 ans est de tous les événements du Secours populaire.
« Je voulais m’engager car j’ai connu l’association au moment où j’étais en galère, seule avec mes cinq enfants à charge. Maintenant, c’est moi qui rends la pareille », raconte-t-elle avec émotion. Dans l’enceinte de la ménagerie, la visite est libre. Le groupe a une heure et demie pour tout voir.
Après avoir rapidement dépassé l’enclos des nandous, la petite troupe fonce vers le bâtiment des primates. Derrière d’immenses vitres, de petits singes noirs se balancent en observant les visiteurs. « Pourquoi il nous montre ses fesses ? » s’interroge un enfant. Le groupe s’esclaffe. « Cercopithèque de l’Hoest », épelle attentivement Abdoulaye, concentré sur l’image qui illustre le cartel.
Pour eux, Paris est (toujours) une fête
L’attention de la troupe est vite accaparée par deux orangs-outans. Alors que des soigneurs sont affairés à nettoyer la cage d’à côté, l’un des primates, assis sur un tonneau, s’empare d’un chiffon et commence à nettoyer la vitre qui le sépare du public. Des exclamations suivent le bras de l’animal.
« C’est impressionnant, même les animaux sont intelligents », s’étonne Bakary. Émerveillé, il ne décolle pas les yeux de Nénette. « C’est la mascotte de la ménagerie. C’est l’un des orangs-outans les plus vieux du monde », précise Aude Bourgeois, docteure vétérinaire et directrice de la ménagerie.
Réquisitionné pour la Journée des oubliés des vacances, le site zoologique s’est mis au diapason des enfants : « Des soigneurs et vétérinaires sont répartis un peu partout, pour aider nos visiteurs à mieux comprendre les animaux qu’ils observent. Il y a un vrai échange, où les enfants prennent le temps de découvrir de nouvelles espèces. D’autant plus que la ménagerie accueille principalement des animaux peu connus, et menacés de disparition. »
Après un bref passage dans le bâtiment des félins, le groupe atterrit devant l’enclos des diables de Tasmanie. « Nous sommes les seuls à posséder un couple en France », confie Aude Bourgeois. Le visage collé à la vitre, Bakary et Abdoulaye sont happés par les deux marsupiaux, qui se jaugent tout en poussant des cris stridents. Il est temps de quitter les animaux pour se diriger vers le Champ-de-Mars.
Saluant les flamants roses, le groupe s’engouffre dans le métro. Une demi-heure plus tard, il arrive enfin devant la tour Eiffel. « Qu’elle est belle ! s’exclame Tania en regardant la Dame de fer. Je ne m’en lasse pas. » Un podium est visible au loin. De la musique retentit déjà. « Vous êtes prêts à danser ? » lance Danielle. Une exclamation de joie retentit. La fête ne fait que commencer.
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