Emmanuel Macron avait promis qu’il serait disruptif. Qu’il innoverait. Qu’il ferait de la politique autrement. Et c’est vrai qu’il y a quelque chose de totalement inédit, dans l’histoire de France, à voir un gouvernement tomber au bout de 14 heures et 26 minutes seulement, nuit comprise.
Même les citoyens qui scrutent, documentent et analysent l’interminable pourrissement du macronisme sont restés cois devant la chute éclair de Sébastien Lecornu, qui a remis lundi sa démission au président de la République, quelques heures seulement après composé une équipe gouvernementale qui a explosé en vol. L’éphémère premier ministre préparait pourtant sa copie depuis plus de trois semaines.
Tout cela pour ne quasiment rien changer au casting par rapport au gouvernement de François Bayrou. Et pour tomber quand même à une vitesse prodigieuse, tant le maintien forcené des politiques macronistes devient radioactif, y compris pour celles et ceux qui en partagent le projet.
Le ministre de l’Intérieur et président des LR Bruno Retailleau peut en témoigner, lui qui servait depuis des mois de béquille au chef de l’État avant de précipiter cet effondrement – au motif ahurissant que la nomination de Bruno Le Maire en tant que ministre des Armées ne lui avait pas été communiquée.
Montages institutionnels brinquebalants
C’est ainsi à un terrible vaudeville que ressemble ce séisme politique. Emmanuel Macron s’est toujours cru un talent fou pour sans cesse retomber sur ses pieds, puisant dans les pires instruments de la Ve République pour répondre par des montages institutionnels brinquebalants et cyniques à des problèmes politiques et démocratiques de fond. L’édifice ne pouvait que s’effondrer.
L’hôte de l’Élysée, en bonimenteur qui a perdu la main, croyant toujours pouvoir s’en sortir, rejouant et reperdant sans cesse jusqu’à la nausée, ne pouvait que finir par se vautrer de façon magistrale et historique. Après un Michel Barnier censuré par le Parlement fin 2024, et un François Bayrou qui s’est vu refuser la confiance des députés début septembre, Sébastien Lecornu n’aura même pas eu le temps de prononcer son discours de politique générale avant de démissionner.
La plupart de ses ministres, déjà en poste sous Bayrou, se retrouvent dans la position ubuesque d’être doublement démissionnaires. Et toujours en poste, pour gérer les affaires courantes. Au final, cet exécutif concocté par Sébastien Lecornu et Emmanuel Macron n’est pas seulement le plus court de toute la Ve République, mais s’impose aussi comme le plus court de toute l’histoire républicaine !
Une performance sidérante qui dégoûte même des macronistes du premier cercle. « Cette situation est affligeante. Nous sommes collectivement en train d’écœurer les Français », s’est inquiétée Maud Bregeon, députée Renaissance et ancienne porte-parole du gouvernement. « Comme beaucoup de Français, je ne comprends plus les décisions du président de la République. Il y a eu la dissolution et depuis des décisions qui donnent le sentiment d’un acharnement à vouloir garder la main », a même tancé l’ancien premier ministre Gabriel Attal, qui est également président du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale et… secrétaire général du parti politique fondé par Emmanuel Macron.
À ce sujet, l’historien des droites Gilles Richard note que le chef de l’État est aujourd’hui « un président dans l’impasse politique la plus complète, qui s’acharne. Il n’a même pas de parti, puisque Renaissance est désormais en partie autonome de l’Élysée, et piloté par Gabriel Attal ».
On ne peut plus isolé sur son Olympe déserté, Jupiter a demandé à Sébastien Lecornu de mener « d’ultimes négociations » en 48 heures en vue de sauver ce qui peut l’être. L’intéressé a accepté la mission, tout en affirmant qu’il ne souhaitait pas être renommé à Matignon. Un énième coup de théâtre, qui amène à ce qu’un premier ministre démissionnaire prépare le terrain à un potentiel gouvernement… qu’il ne dirigera même pas.
La réussite, ou non, de cette mission de la dernière chance n’est pas encore connue. Mais dès lundi soir, l’Élysée assurait que le président prendra ses « responsabilités » en cas d’échec des négociations. Sauf que ces pourparlers n’intéressent pas, mais alors pas du tout les oppositions.
Le Rassemblement national a fait savoir que l’heure était à ses yeux au retour aux urnes, et que tout nouveau premier ministre, quel qu’il soit, serait censuré par ses soins. « Le chef de l’État dispose de deux voies possibles : soit la démission, soit la dissolution », a affirmé Marine Le Pen, qui se montrait jusque-là conciliante avec la Macronie.
« Ubuesque, dystopique, orwellienne »
Une bonne partie de la droite et du centre estime elle aussi que le président de la République doit démissionner, telle la présidente LR de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, le président centriste de la région Normandie Hervé Morin, ou encore le président LR de l’Association des maires de France, David Lisnard.
Et nombre d’élus locaux, de tous bords, se disent inquiets « face à l’accroissement du sentiment antidémocratique » dans le pays et même effarés « face à tant d’incompétence », à l’image d’Alain Rousset, président PS de la région Nouvelle-Aquitaine d’ordinaire assez taiseux, qui se dit « dépité » devant une situation « ubuesque, dystopique, orwellienne » et un président de la République qui « récolte ce qu’il sème ».
Un front commun de la gauche à la peine
Face à cette crise de régime inédite dans toute l’histoire de la Ve République, qui ressemble de plus en plus à une monarchie présidentielle décadente, la gauche peine à faire front commun. Jean-Luc Mélenchon a été le premier à s’exprimer pour appeler soit à la destitution, soit à la démission d’Emmanuel Macron.
L’insoumis ne croit (ne veut ?) plus à la possibilité de voir nommer un premier ministre de gauche à Matignon, ce qu’Emmanuel Macron s’était refusé de faire après les législatives de 2024, malgré l’arrivée du Nouveau Front populaire en tête lors du second tour. Le président promettait le chaos en cas d’exercice du pouvoir par la gauche. Il en est désormais le principal artisan.
« Il y a un an, on nous décrivait exactement la situation actuelle si la gauche était à Matignon. Il n’est pas trop tard pour respecter les résultats de 2024. Toutes les forces de gauche qui avaient permis de tenir l’extrême droite en échec doivent dialoguer et se tenir prêtes », a pour sa part déclaré Lucie Castets, ancienne candidate du NFP au poste de première ministre, et à l’époque écartée par un piètre garant des institutions uniquement guidé par la peur de voir notamment la réforme des retraites abrogée, le Smic augmenté, et l’ISF restauré.
Une gifle et un déni démocratique envoyés à la face du pays, qui n’a rien de définitive pour une large partie de la gauche. Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, la secrétaire nationale des Écologistes, Marine Tondelier, et le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, exhortent en effet Emmanuel Macron à appeler la gauche à gouverner, ou bien à dissoudre l’Assemblée. « Le président de la République doit nommer enfin un premier ministre et un gouvernement de gauche qui mettront le plus rapidement possible à l’ordre du jour du Parlement des mesures d’urgence », insiste le dirigeant communiste.
Tous les trois se disent prêts à aller chercher des majorités texte par texte, pour des réformes d’intérêt général, notamment sur la taxe Zucman, plébiscitée par les Français, qui réclament davantage de justice fiscale et soutiennent massivement les mesures qui vont dans ce sens.
Il faudrait pour y arriver convaincre une partie des députés Renaissance, plus que jamais déboussolés, la droite et l’extrême droite se disant hostiles à l’idée. Il faudrait aussi qu’Emmanuel Macron entende enfin raison, lui qui se refuse à reconnaître sa défaite de 2024.
Reste à savoir ce que décidera de faire le président, lui qui arrive à toujours plus s’enfoncer dans une impasse, même quand il semble avoir exploré le moindre centimètre d’une voie sans issue. Emmanuel Macron prononcera-t-il une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale ?
Ira-t-il chercher un énième article lui permettant de passer outre la colère populaire et la défiance des députés ? Quelle que soit sa décision, son deuxième mandat ressemble chaque jour un peu plus à un interminable chemin de croix solitaire, et emmène tout le pays dans une crise politique profonde, qui tient de la plus pure crise de régime.
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