« Je ne sais pas s’il est vivant » : au Texas, la chasse aux migrants de Donald Trump sème la panique

Houston, Texas (États-Unis), correspondance particulière.

« Cela fait un mois que je suis sans nouvelles de lui, se désespère Johanny Sánchez en parlant de son mari. Je ne sais pas s’il est vivant. Je ne sais même pas dans quelles conditions il est détenu. Je n’ai vu ni photo ni vidéo, rien du tout. En ce moment même, au Venezuela, ma famille manifeste, organise des veillées pour demander sa libération. » Pour le couple, tout bascule début février. Le mari, Franco Caraballo, 26 ans, se rend sans inquiétude à un rendez-vous de routine avec les services de l’immigration de Dallas, où il réside. Son épouse l’accompagne. Le couple, originaire du Venezuela, est entré illégalement aux États-Unis fin 2023, laissant derrière lui deux enfants. Ils disposent désormais d’un statut légal de demandeurs d’asile. Une audience est même programmée pour le 19 mars.

Johanny s’inquiète lorsque son mari ne ressort pas du rendez-vous, alors que les bureaux s’apprêtent à fermer. « J’ai demandé à un agent où il était, raconte-t-elle à l’Humanité. On m’a dit qu’il allait être détenu. J’ai demandé pourquoi, mais ils ont refusé de me donner la moindre explication. Ils m’ont juste remis un papier avec le nom du centre de détention où il serait transféré. J’étais sous le choc, en larmes. L’agent m’a dit de rester calme, que mon mari allait m’appeler. »

Disparu du suivi des détenus

Vêtu d’un uniforme orange, Franco Caraballo est transféré de centre en centre. Il est autorisé à appeler plusieurs fois sa femme. « Il m’a dit qu’on les traitait horriblement. Dehors, un panneau indiquait : « criminel, terroriste, dangereux »… Il m’a aussi dit qu’on lui avait posé des questions sur son tatouage. »

Comme beaucoup de jeunes Vénézuéliens de son milieu, Franco Caraballo a fait tatouer un condensé de sa vie sur son corps, et notamment une lame de rasoir, emblème de son métier : il est barbier depuis l’âge de 13 ans. Les autorités états-uniennes ont interprété cela comme un signe d’appartenance à un gang, malgré des casiers judiciaires vierges aux États-Unis et au Venezuela. Disparu du système de suivi des détenus des États-Unis, Franco Caraballo est probablement désormais détenu au Salvador, dans le Centre de confinement du terrorisme, une prison mise à la disposition des États-Unis qui y ont déjà envoyé plus de 200 personnes.

Parmi eux également, Kilmar Armando Abrego Garcia, que les autorités états-uniennes admettent avoir expulsé par erreur, tout en soutenant face aux injonctions des juges qu’elles ne peuvent le faire revenir. Interrogé lundi à Washington dans le bureau Ovale, le président salvadorien Nayib Bukele a ri lorsqu’une journaliste lui a demandé s’il comptait le renvoyer aux États-Unis, le qualifiant de « terroriste » et refusant également sa libération.

Pourtant, le président états-unien peine à concrétiser les déportations massives promises à ses électeurs. En mars, 12 300 personnes ont été renvoyées chez elles, contre 12 700 en mars 2024. En revanche, par son interprétation et son application des lois, tout immigré, légal ou pas, devient déportable. Le 9 avril, on découvrait le cas d’Alfredo Orellana, titulaire d’une green card, la précieuse carte de résident permanent. Depuis des décennies, ses détenteurs ne sont expulsés que pour des crimes graves, même si, sur le papier, la loi n’est pas si clémente. Résidant en Virginie, cet homme de 31 ans a été envoyé dans un centre de détention au Texas pour une escroquerie de 200 dollars… commise il y a huit ans.

Angoisse généralisée pour les immigrés

Quelques jours plus tôt, un juge confirmait que l’étudiant pro-Palestiniens de l’université Columbia, Mahmoud Khalid, était expulsable en vertu des pouvoirs extraordinaires accordés au secrétaire d’État Marco Rubio, qui estime que sa présence sur le territoire remet en cause la politique étrangère états-unienne de lutte contre l’antisémitisme. Aucune infraction ne lui est pourtant reprochée.

Détenteur lui aussi d’une green card, il a été transféré dans un centre de détention en Louisiane, État connu pour ses juges coopératifs avec les services de l’immigration. Le 14 avril, un autre étudiant pro-Palestiniens de la même université, Mohsen Mahdawi, a été arrêté lors d’un rendez-vous avec les services d’immigration. Là encore, aucun délit ne lui est reproché. Ses avocats affirment que les mêmes méthodes que pour Mahmoud Khalid sont utilisées pour le faire expulser.

Un climat d’angoisse généralisée règne maintenant parmi les immigrés du pays. « Nos consignes sont claires pour tous les étudiants sous visa : ne pas aller aux manifestations », explique Meekhail, membre d’un groupe pro-Palestiniens à l’université de Houston. « Une de nos paroisses hispanophones a vu sa fréquentation chuter de 60 %. Elle partage son bâtiment avec les forces de l’ordre », rapporte la révérende Eileen O’Brien de l’église épiscopale St. James, au Texas.

« Je regarde la messe sur Youtube »

« Depuis l’élection, plusieurs de nos congrégations hispanophones se sont vidées. Beaucoup de gens ne veulent plus sortir, de peur d’être arrêtés. Ils craignent que l’église, comme les banques alimentaires ou d’autres lieux, ne soit plus un refuge, mais une cible », explique-t-elle. Avec d’autres groupes religieux nationaux, son église se bat sur le front judiciaire pour que les lieux de culte soient préservés des raids des services de l’immigration. Le 11 avril, à Washington, une juge fédérale nommée par Trump lors de son premier mandat leur a donné tort.

À El Paso, Mirna Cabral, elle, ne va plus à l’office qu’une fois par mois. « Les autres dimanches, je regarde la messe sur YouTube. C’est une façon d’être prudente », explique cette mère de famille de 37 ans, arrivée illégalement à l’âge de 5 ans. Dans la classe de collège de sa fille, six élèves sur quarante ont disparu. « Certains parents ont peur d’être arrêtés sur le chemin de l’école. D’autres ont rejoint un proche expulsé. L’école nous a annoncé qu’elle suspendait les activités extérieures, faute de participants. »

Bien qu’ayant un statut légal, cette mère de deux enfants états-uniens, veuve d’un citoyen états-unien, reste sur ses gardes. « J’évite les endroits où il y a beaucoup de patrouilles d’immigration. Je me renseigne aussi sur nos droits constitutionnels, juste au cas où. » Mais elle note que même les réunions Zoom des associations d’aide aux immigrés attirent moins de monde : certains craignent qu’elles soient contraintes, un jour, de livrer leurs noms.

Environ 600 000 sans-papiers à Houston

À Houston, à l’autre bout du Texas, le constat est le même. « Pour certains, la peur est paralysante. On a entendu parler de gens qui n’osent même plus aller faire leurs courses », rapporte Cesar Espinosa, directeur exécutif de l’association Fiel à Houston. Entré illégalement enfant aux États-Unis il y a trente-trois ans, il est résident permanent depuis un an. Il estime que la métropole de Houston compte environ 600 000 sans-papiers.

Une population que la ville ne protège pas : le mois dernier, les services de l’immigration ont demandé à la police locale les noms et adresses de toutes les personnes arrêtées sans permis de conduire depuis 2023. La municipalité les a aussitôt transmis. « La confiance entre la communauté et la police s’effondre, regrette le militant associatif. On a travaillé pendant des années à encourager les victimes de crimes à se manifester, mais aujourd’hui on ne sait plus si la police va les arrêter au lieu de les aider. »

« J’avais peur d’être arrêtée, confie Elena*, une Mexicaine de 48 ans sans papiers, mère de deux enfants états-uniens. Mon médecin m’a dit d’arrêter d’y penser, que j’allais tomber malade. J’ai fini par me dire : « Que Dieu décide. » Ce n’est plus entre mes mains. Je ne peux pas rester enfermée, sinon on devient fou. » Aujourd’hui, dit-elle, elle n’a plus peur. « Si on m’expulse, je serai à la fois triste et heureuse. Triste de laisser mes filles (de 17 et 19 ans), heureuse de revoir ma mère. » Elle ne l’a pas vue depuis son arrivée aux États-Unis, il y a vingt-trois ans. Son père, lui, est mort en novembre dernier, loin d’elle.

*Le prénom a été modifié.

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